Courrier des lecteurs

Autisme : 1 % des enfants !

Publié le 10/06/2022

En cette période où la guerre en Ukraine, les échéances électorales françaises et les soubresauts interminables de la crise Covid dominent l’actualité, la journée nationale de l’autisme du 2 avril 2022 n’a guère attiré l’intérêt des médias. En faisant lecture du « point d’étape » du 22 mars 2022, rapport annuel publié sous l’égide de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme présidée par Mme Claire Compagnon, il me paraît intéressant de rappeler quelques chiffres. Un pour cent des enfants qui naissent aujourd’hui en France sont ou seront atteints de troubles du spectre autistique.

Qu’est-ce que 1 % à l’heure des sondages fluctuants et aléatoires qui tentent d’esquisser les choix politiques de notre pays ? Ce sont près de 7 500 enfants qui naissent chaque année, dont l’avenir et celui de leurs familles seront durablement marqués par ces troubles et conditionné par l’aide qui leur sera allouée pour l’accueil, l’éducation, la formation et l’accompagnement tout au long de leur vie ; et ce quel que soit le niveau de leur dépendance et d’autonomie.

Première cause de handicap chez l'enfant

Il ne s’agit pas d’une maladie orpheline. Il s’agit en France de la première cause de handicap chez l’enfant. Certes, cette pathologie s’inscrit dans une palette « entre gris clair et gris foncé » : Certains enfants, assez rares, sont atteints de formes mineures qui ne les pénaliseront que peu dans leur insertion sociale ou professionnelle et dans leur histoire personnelle ; mais la plupart d’entre eux sont atteints de formes qui affectent profondément leurs capacités de communication et donc d’apprentissage et génèrent des troubles déficitaires et de comportement qui entraveront définitivement leur insertion socioprofessionnelle et leur autonomie.

La précocité du diagnostic – sur laquelle l’accent a été porté à juste titre ces dernières années — est essentielle parce qu’elle conditionne l’avenir, plus en termes d’accompagnement et prise en charge que de « traitement/réparation ». Mais c’est surtout la qualité de l’accompagnement et des moyens mis en œuvre au quotidien qui comptent pour ces enfants et leurs familles. C’est là que, quels que soient les efforts déployés sous le premier mandat d’Emmanuel Macron, certains chiffres critiques doivent être rapportés : car si une famille sur deux estime qu’il y a eu un retard au diagnostic, la même proportion considère que les conditions de scolarisation/inclusion ne sont pas satisfaisantes ; et surtout, plus de 80 % des parents déclarent avoir besoin de « répit » et ne pas trouver de structure institutionnelle pour soulager et apaiser la lourde charge qui leur incombe.

En tant que pédiatre exerçant dans un département « défavorisé », au sein d’une consultation hospitalière qui accueille ces enfants pour une évaluation à visée diagnostique et tente de contribuer à la prise en charge en coordination avec l’éducation nationale, et les structures de soins dévolues de type « CMP » (centres médico-psychologiques), ce sont ces derniers chiffres que je trouve particulièrement alarmants.

Explosion de TSA

On ne peut faire le reproche à l’État, ni d’avoir pu rattraper ces dernières années un coupable retard institutionnel d’aide publique, ni d’avoir su anticiper les effets d’une inquiétante explosion démographique des enfants atteints de TSA. Quitte à être accusé de démagogie ou d’artifice, en tant que soignant témoin de la souffrance humaine et sociale de l’enfance handicapée, je citerai et rapprocherai quelques chiffres : moins de 500 millions d’euros par an sont affectés au « plan autisme » pour un problème de santé publique majeur à court, moyen et long terme, touchant un enfant sur cent ; dans la même année 10 milliards ont été dépensés par la sécurité sociale pour la prise en charge de la crise Covid… et 40 milliards ont été alloués au budget défense.

D’après le dernier « point étape » 40 000 enfants souffrants de TSA seraient globalement scolarisés quand 7 500 naissent chaque année. Il existerait environ 1 000 places sur toute la France en UEMA (unités d’enseignement en école maternelle dévolues aux enfants de 3 à 6 ans présentant des TSA) dont 30 en Seine Saint-Denis… soit environ une place pour 25 enfants qui pourraient ou devraient en bénéficier. Dans le même département, on estime qu’il existe une place en IME (institut médico-éducatif dévolu aux enfants lourdement handicapés, âgés de 6 à 18 ans) pour… trois enfants qui en relèvent : les 2/3 d’entre eux sont donc sur « sur liste d’attente » c’est-à-dire « sur le carreau » !

Après avoir fait peser un coût moral et financier sur les familles pendant des décennies par l’impasse du tout « psychiatro-analytique », nous sommes entrés en début de 21° siècle dans une nouvelle impasse, guidés par l’illusion de la génétique et des rééducations comportementales. Les dépenses allouées à l’accueil quotidien des enfants, qui sont et resteront dépendants, demeurent très insuffisantes, ce qui pénalise violemment la qualité de vie de ces enfants et celle de leurs parents.

En pratique enseignants et soignants doivent se contenter de « bricoler ». Ces enfants sont « fictivement inclus » dans des classes ordinaires par dogmatisme, au-delà de tout réalisme et ne le sont souvent que quelques heures par semaine. L’espoir d’accueil des enfants, de « réparation » et de répit que les parents en attendent, s’oriente alors vers des structures de soins type CMP ou exceptionnellement hôpitaux de jour pédopsychiatriques. Espoir et répit y sont différés après des mois voire années d’attente et seulement alors pour un accueil de quelques heures par semaine. La souffrance de ces enfants et l’épuisement de ces parents mériteraient plus d’attention et détermination de ce deuxième mandat présidentiel et des ministres de tutelle.

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Dr Bruno Jeandidier, Pédiatre, Bondy (93)

Source : Le Quotidien du médecin