Courrier des lecteurs

C’est quoi « les jeux spéciaux » ?

Publié le 08/09/2023
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Après les J.O. pour les sportifs bien portants, les jeux paralympiques limités à deux courtes semaines se dérouleront du 28 août au 8 septembre 2024 : ils s’adressent aux athlètes ayant un handicap physique ou esthétique, et aptes à participer à des évènements multisports internationaux tels le tennis de table, le judo, la natation, etc. Mais que sont « les jeux spéciaux » qui se sont tenus à Berlin du 17 au 25 juin dernier ?

Alors que tous les discours vont dans le sens de faire accepter les différences, de ne plus stigmatiser la maladie mentale et d’intégrer les patients psychiatriques, à la radio un journaliste chargé d'une chronique sur le sujet prend soin de préciser « Les jeux spéciaux, ça n’est pas pareil ! » : il lui semble que le handicap psychique ne puisse être ni assimilé ni confondu avec les autres. Internet précise à son tour que « Les jeux olympiques spéciaux » sont à différencier des jeux paralympiques… Ils furent créés par Eunice Kennedy Shriver dont la sœur Rosemary souffrait d’un handicap mental. La première édition de ces jeux réunissait 1 000 athlètes ! Elle eut lieu en juillet 1968 à Chicago. Puis, pour les jeux d’hiver, il a fallu attendre février 1977 : ils se déroulèrent à Colorado Springs, toujours aux États-Unis. Et ça n’est qu’en 1988 que le CIO leur accorde enfin une reconnaissance officielle… Les actes contredisent toujours autant les mots.

En 2024 ? Les dates des JO « spéciaux » ne coïncident pas avec celles du Grand Évènement. Parce que décalés dans le temps, aucune visibilité médiatique ne leur est véritablement accordée. La devise attribuée à ces jeux « spéciaux » est la suivante : « Donnez-moi l’occasion de gagner. Mais si je n’y arrive pas, donnez-moi la chance de concourir avec courage. » Étonnant non ? Convient-il d’être inconscient ou ignorant pour ne pas éprouver le courage des patients psychiatriques à supporter et à vivre avec leur maladie ? Cela semble relever de l’inimaginable pour un être bien portant. Fallait-il que les décideurs introduisent la notion morale du courage, une valeur de fonctionnement social, et laisser ainsi croire que les malades mentaux en seraient dépourvus ? Quant à « l’occasion de gagner », c’est leur combat au quotidien. Ranimer la pulsion de vie et les désirs : pour eux, c’est l’affaire de chaque jour !

Un chemin encore long pour la maladie mentale et les patients

On nous parle de lever des a priori, des idées toutes faites et des préjugés. Pour ce qui est des images plaquées sur la maladie mentale et sur les patients, il semble que le chemin soit encore long… Fallait-il donc se démarquer de Pierre de Coubertin, et de la charte olympique dont le but est, rappelons-le, de : « mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. » Y avait-il là quelque chose à redire ? « Les jeux spéciaux » : un nom si bien mal choisi qu’il n’a pas lieu d’être.

En 2024, ils seront 10 000 à porter la flamme olympique tout au long du parcours, puis ils termineront sur les bords de Seine conscients de leur privilège. Pendant 80 jours et à Paris 100 ans après ! 1 000 paralympiques aussi à se passer la torche de mains en mains et à faire liens ! Et pour les « spéciaux » ? Rien n’est dit sur leur participation, puisque leurs jeux anticipés d’un an relèveront du passé. À croire qu’il est plus sage de les oublier ; de ne pas les montrer et de les laisser cantonnés entre eux. Pourtant, je vous l’assure, le handicap psychique n’empêche pas de courir 200 mètres.

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Dr Patricia Adam-Laubret Psychiatre à Tours, membre de l’Association française de psychiatrie et du Syndicat des psychiatres français

Source : Le Quotidien du médecin