Courrier des lecteurs

Éthique

Publié le 11/06/2021

Dans Le Souper de Jean Claude Brisville, Talleyrand invite Fouché à « faire grandhonneur à son cognac », le duc d’Otrante le boit « cul sec »

- Si vous permettez ce n’est pas de cette façon qu’on doit boire le cognac… Regardez s’il vous plaît… On prend son verre dans le creux de sa main… On le réchauffe… On lui donne une impulsion circulaire afin que la liqueur dégage son parfum… Puis on le porte à ses narines… On le respire…

- Puis …

- Puis on le repose et on en parle…

Dans Wittgenstein La Rime et la Raison, science, éthique et esthétique pages 9, 11 et 12, Jacques Bouveresse, campe la position du Viennois sur son rapport à l’éthique ; « Ce que tous les ouvrages qui prétendent traiter de l’éthique ont en commun, pour des raisons intrinsèques, c’est le fait d’être condamnés à une sorte de mutisme prolixe ou de prolixité muette ; ils en sont réduits, d’une certaine manière, à conjurer l’absence de l’objet par la prolifération indéfinie du discours* ; mais à aucun moment ils ne parviennent à donner l’assurance qu’une question véritable a été posée et que quelque chose a été réellement dit. »

C’est du moins ainsi que Wittgenstein tendait à les considérer ; et s’il est relativement facile d’admettre en principe que le verbiage fait plus de tort à son objet que le silence, il est certainement difficile de se résigner définitivement à l’idée que tout discours sur l’éthique est nécessairement du verbiage et que la seule façon de rendre justice à l’objet est en l’occurrence de n’en rien dire »**… « Wittgenstein appartient à la catégorie des philosophes qui refuse de prendre le droit pour le fait, leurs désirs pour des réalités et leurs émotions pour des idées philosophiques » « Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que Wittgenstein (…) en expulsant une fois pour toutes l’éthique de l’univers du dicible, entendait avant tout la mettre définitivement hors d’atteinte, lui procurer le refuge le plus sûr qui soit contre toute espèce de doute, de discussion et de controverse ».

- Si vous permettez ce n’est pas de cette façon qu’on déguste l’éthique… Regardez s’il vous plaît… On prend ses idées dans le creux de son encéphale… On les agite afin d’en tirer la quintessence… O n les porte à sa Raison… On les hume…

- Puis ?

- Puis on se tait.

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* On pourrait dire : « L’abondance de la mitraille ne compense pas l’imprécision du tir »** «  Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence » (conclusion du Tractatus logico-philosophicus).
Exergue : En expulsant l’éthique de l’univers du dicible, Wittgenstein entendait la mettre définitivement hors d’atteinte

Dr Thierry Deregnaucourt Médecin généraliste, Sailly-en-Ostrevent (62)

Source : Le Quotidien du médecin