Peut-on faire rimer « liberté tarifaire » avec « un meilleur accès aux soins » ? Est-ce laisser supposer que « désertification médicale » rimerait aussi avec « difficulté d’accès aux soins » ? La question nous a été posée tout l’été : ouvrir le secteur 2 dans les zones sous-denses peut-il faire reculer les déserts médicaux ? Comment les décideurs politiques posent-ils le sujet, comment y réfléchissent-ils quand six à huit millions de Français s’y confrontent chaque jour ? Suffirait-il donc de régler l’un des points pour résoudre enfin l’accès de tous aux soins ?
Ainsi l’URPS d’Île-de-France proposait (voir newsletter du Quotidien du médecin du 26 juillet 2024) « pour le maintien d’un tissu médical (…) pour redonner de l’attractivité à l’activité libérale » de permettre, sans condition de titres, une liberté tarifaire aux médecins libéraux. Ceci pendant trois ans, puis de clore l’expérience par une évaluation… Le « Tous en secteur 2 ! », cet appel d’air pour les médecins libéraux, a-t-il de l’attrait pour les patients ?
Généraliser le principe d’ouverture du secteur 2 dans les zones sous-denses ferait-il reculer les déserts médicaux ? Raisonnement en trompe-l’œil et duperie
Généraliser le principe d’ouverture du secteur 2 dans les zones sous-denses ferait-il reculer les déserts médicaux ? Raisonnement en trompe-l’œil et duperie puisqu’à ce jour toutes les régions de France se déclarent être en densité médicale insuffisante ! Quand la grande majorité des internes ne peut prétendre au secteur 2, imaginez le nouveau diplômé aux tarifs ainsi libérés ! Sera-t-il enclin à visser sa plaque là où la densité médicale est particulièrement faible à l’exemple du Centre-Val de Loire, de la Seine-et-Marne ou de la Seine-Saint-Denis ? Je reste persuadée qu’il opterait pour Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon ou PACA. Et hors Hexagone, quelles mesures incitatives imaginer pour que Mayotte puisse l’attirer ? Jusque-là, les incitations financières n’y ont rien fait.
Le risque du renoncement aux soins
La proposition de l’URPS Île-de-France aurait, de manière évidente, l’intérêt de ne pas faire peser sur les finances publiques le maintien d’une activité médicale libérale. Mais ceci ne serait envisageable que pour les Français qui en auraient les moyens ; car « liberté tarifaire » rime également avec le « chacun pour soi » : chacun choisit et finance pour lui-même l’assurance complémentaire au remboursement des actes pris en charge par la Sécurité sociale. Tous les Français n’étant ni en ALD (et c’est tant mieux !), ni bénéficiaires de la CMU, un nouveau pas serait fait vers encore moins de solidarité. Ainsi, à ne pas vouloir faire peser sur les finances publiques le système de santé, celui-ci pèserait encore plus sur le porte-monnaie de chacun : pour certains, de toute évidence, cela rimera avec le renoncement aux soins.
En proposant en région Île-de-France d’expérimenter l’accès pour tout médecin au secteur 2, fallait-il donc jeter de l’huile sur le feu dans un été déjà enflammé, et faire craindre l’accentuation des inégalités ?
Puisque c’est ainsi, je remets une bûche dans le foyer…
Face à l’estimation de six à huit millions de Français concernés par la désertification médicale et les difficultés d’accès aux soins, ne conviendrait-il pas, à l’avenir, de réguler l’installation des médecins ? Dans les territoires considérés les mieux dotés, ne plus les y autoriser, et ne conventionner les praticiens qu’en fonction des nécessités du terrain ? Doit-on permettre à nouveau l’accès direct aux spécialistes pour éviter les retards de diagnostic ou les erreurs, puisqu’en psychiatrie 14 % des troubles anxiodépressifs ne sont pas traités dans les trois premières années (Article sur le congrès de l’Encéphale 2024 : « Dépression : résistance ! », dans le Quotidien du Médecin du 7 mars 2024) ? Primes à l’installation, exonérations fiscales, dénonciation du paiement à l’acte, puis au final l’accuser… Évoquer les forfaits et le paiement à la capitation, accentuer encore plus les délégations de tâches… Puisque jusque-là, rien n’y a fait !
Allons jusqu’à faire feu de tout bois ! Plutôt que « liberté tarifaire », si le salariat des médecins devenait une des solutions aux déserts médicaux et aux difficultés d’accès aux soins ?
L’ouverture du secteur 2 à tous les praticiens est tentante et réjouissante pour les médecins… à condition d’admettre de fermer l’accès aux soins à ceux qui ne peuvent financer leur santé.
Pas plus que des idées extrêmes, ni quelque sourde idolâtrie, n’apporteront de solution, seuls la réflexion collective et le dialogue nous guideront, mixant sûrement les pistes ici interrogées. Et cessons de commencer à raisonner sur nos manques en offre de soins : depuis toujours, nous les connaissons ! Examinons les besoins en santé et en médecine préventive, en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : la priorité des politiques est d’en prévoir le financement. Et pour les médecins, de ne jamais oublier le serment fait d’un accès universel aux soins.
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