Pari gagné ? En tout cas, le directeur général de la Cnamts se montre satisfait. Dans l'interview qu'il nous a accordé, Frédéric Van Roekeghem se réjouit des résultats de la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP), que la cnamts a présenté jeudi. Avec un taux de réalisation de 60% chez les généralistes, «la progression a été assez forte», estime-t-il, même s'il admet qu'«on reste faible sur le volet prévention». Au-delà, le patron de la cnamts avance, sondages à l'appui, que la dynamique de paiement à la performance est désormais adoptée, tant par les médecins que par la population.
Le Généraliste. Deux ans après la mise en place de la ROSP, les médecins généralistes vous semblent-ils l’avoir définitivement adoptée ?
Frédéric Van Roekeghem. La perception des professionnels sur la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP), a évolué. En particulier, les généralistes qui sont les plus concernés par le dispositif. Quand nous avons inauguré cette dynamique en 2009, avec le CAPI, les médecins étaient partagés… Fin 2013, selon notre sondage BVA, ce n’est plus du tout le cas. Les fortes oppositions se sont dégonflées. Les deux tiers des médecins généralistes (67%) considèrent que l’Assurance Maladie, en mettant en place une relation contractuelle individualisée avec eux, est « dans son rôle ».
Avec la ROSP, la relation entre l’Assurance Maladie et les généralistes change de nature. Pour l’ensemble des objectifs fixés par les dispositifs, plus de 80% des médecins généralistes interrogés déclarent avoir fait évoluer leur pratique ou prévoient de le faire dans l’année qui vient. Ce n’était pas gagné, mais les lignes bougent : la ROSP est désormais entrée dans les mœurs pour les médecins comme pour les patients. Aujourd’hui, pas moins de sept Français sur dix considèrent que les principes d’une rémunération supplémentaire pour favoriser les meilleures pratiques est une bonne chose !
Quel bilan dressez-vous de l’atteinte des objectifs cette année ?
F.V.R. En moyenne, en 2013, les généralistes ont frôlé un taux de réalisation des objectifs de 60 % alors que celui-ci était de 51 % en 2012. La progression enregistrée a donc été assez forte. Et les 10 % de généralistes qui ont le mieux réussi leurs objectifs sont même à 78 % de taux de réalisation !
En ce qui concerne le volet organisation du cabinet, la progression est particulièrement remarquable avec un taux d’atteinte de 70 %, en progression de 12 points par rapport à 2012. Ceci confirme que les médecins étaient conscients du « retard français » et prêts à faire un effort en matière d’informatisation des cabinets.
La progression est plus nuancée pour la prescription et, surtout, le suivi des pathologies chroniques. Elle est de 8,2 points pour la première (63% de réussite) et de 6,6 pour la deuxième (56%)... Là où on reste faible, c’est sur le volet prévention. Malgré une légère progression de 5,4 points, le taux d’atteinte plafonne à 40%… De surcroît, sur ce volet, la progression est contrastée.
Certains items progressent, d’autres stagnent comme le dépistage du cancer du col par frottis (indicateur qui a été stabilisé en 2013 alors qu’il était encore en régression en 2012). Et d’autres encore se dégradent, c’est le cas pour le dépistage du cancer du sein et la vaccination antigrippale.
Au global, les résultats devraient se traduire par une augmentation de la prime des généralistes...
F.V.R. Oui, en effet. Si la prime moyenne pour l’ensemble des médecins rémunérés sera de 4 003 euros en moyenne par praticien, les omnipraticiens obtiendront 5?480 euros et les médecins généralistes (hors MEP)
5 774 euros... Une somme sensiblement plus élevée que l’année dernière quand la prime s’élevait à 4 982 euros. Dans l’ensemble, les médecins ont tendance à sous-évaluer les sommes qui leur seront versées. De fait, leur motivation première n’est pas financière. La ROSP leur permet surtout de prendre conscience de leurs pratiques, de se comparer par rapport aux autres : elle accompagne leur volonté de bien faire !
Et pour l’Assurance Maladie, quel retour d’investissement représente la ROSP ?
F.V.R. Le budget consacré cette année à la ROSP a augmenté. Mais il faut tenir compte des moindres dépenses consécutives à la fin du CAPI et à l’intégration, dans la ROSP, des aides à la télétransmission. Net de ces économies, il s’élève à 267 millions d’euros contre 253 millions d’euros l’an passé... Un investissement dont la rentabilité ne doit pas être mesuré en termes financiers mais de santé publique car il permet d’accroître, très nettement, l’efficience du système de soins au bénéfice des patients.
De fait, les économies réalisées sur les prescriptions permettent de mieux financer les actions de prévention et de suivi des pathologies chroniques. Grâce à cette dynamique, les cabinets se modernisent, la santé progresse et les patients sont mieux suivis.
L’insuffisance que vous pointez sur certains items va-t-elle vous amener à proposer des évolutions réglementaires ou des campagnes sanitaires ?
F.V.R. Maintenant qu’une dynamique positive s’est enclenchée, la question qui se pose est comment l’accélérer dans le cadre de la Stratégie nationale de santé définie par Marisol Touraine ? L’Assurance Maladie souhaite aborder cette question avec les syndicats de médecins.
Grâce au programme Sophia pour le suivi des patients diabétiques, nous nous sommes par exemple aperçus que, dans un certain nombre de territoires, se pose la question de l’accès géographique et financier à l’ophtalmologue. J’ai donc demandé à certaines CPAM d’expérimenter avec les professionnels de santé concernés la rétinopathie par télémédecine afin de commencer à faire bouger les lignes dès cette année.
Ce type d’actions est en cohérence avec les impulsions fortes données par Marisol Touraine, notamment dans le cadre du pacte territoire-santé. Dans certaines régions, comme la Franche-Comté, un accompagnement personnalisé a été mis en place auprès des populations défavorisées pour les inciter au dépistage du cancer du sein.
Autre enjeu de progrès : comment éviter que certains médecins soient pénalisés par le fait d’avoir une patientèle défavorisée ? Selon un travail de corrélation que nous avons mené indicateur par indicateur entre la précarité des patientèles (mesurée à travers la part de CMU-C) et les résultats de la ROSP, il se révèle que si, pour un certain nombre d’objectifs, le profil de la patientèle n’a pas d’influence sur le taux de réussite des objectifs, pour d’autres, notamment pour la prévention, cette différence existe. Il serait raisonnable de mettre l’ensemble des médecins à égalité. Nous sommes prêts à ouvrir cette discussion le moment venu. Même si certains médecins arrivent à de très bons résultats avec des patientèles peu favorisées sur le plan socio-économique...
Enfin, nous ne serions pas opposés à ce que, dans quelque temps, le résultat de la ROSP puisse être mis à la disposition de sa patientèle par le médecin. C’est une piste que nous pourrions évoquer lors de nos futures discussions avec les professionnels.
Comptez-vous élargir la ROSP à des nouveaux objectifs comme le suggèrent certains pour favoriser l’accessibilité des cabinets ou le travail d’équipe ?
F.V.R. Le sujet sera notamment abordé dans le cadre de la négociation sur les soins de proximité qui doit avoir lieu prochainement. Cependant, il faut bien avoir à l’esprit que la ROSP a été conçue comme une rémunération en fonction de l’atteinte d’objectifs. Avant de vouloir changer les choses, il faut déjà commencer par améliorer l’existant. Le taux d’atteinte est de l’ordre de 40 % sur le volet de la prévention alors que l’objectif de santé publique à partir duquel on fait levier – par exemple pour la vaccination antigrippale – est fixé à 75%. Il y a donc d’abord des marges d’amélioration.