Cardiologie

AU CŒUR DES ANTI-INFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS

Publié le 10/03/2017
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à sécurité d'emploi cardiovasculaire non inférieure, le celecoxib semble moins délétère sur le tube digestif que le naproxène et l'ibuprofène.

Sécurité cardiovasculaire du célécoxib, du naproxène et de l’ibuprofène dans le traitement de la douleur articulaire
Nissen SE, Yeomans ND, Lincoff M, et al for the PRÉCISION Trial Investigators. Cardiovascular Safety of Celecoxib, Naproxen, or Ibuprofen
for Arthritis. N Engl J Med 2016 ;375:2519-29.
 

CONTEXTE

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont divisés en deux classes isoformes inhibitrices de la cyclo-oxygénase (Cox1 ou Cox2). Elles ont la même efficacité sur l’inflammation et la douleur articulaire. Les effets indésirables digestifs des anti-inflammatoires non stéroïdiens sont liés à l’inhibition de la Cox1, et de ce fait les inhibiteurs sélectifs de la Cox2 sont considérés comme mieux tolérés sur le plan digestif (1). Cependant, le rofécoxib a été retiré du marché en 2004 à la suite d’une augmentation significative des événements cardiovasculaires (2-4). Avec l’étoricoxib (remboursé à 30 %), le seul inhibiteur sélectif de la Cox2 disponible à la prescription en France est le célécoxib. Nonobstant, les doutes subsistant sur sa sécurité d’emploi cardiovasculaire, la Food And Drug Administration (FDA) a imposé un essai de sécurité d’emploi au laboratoire titulaire de l’AMM de cet anti-inflammatoire non stéroïdien.

OBJECTIF

Démontrer la non-infériorité du célécoxib 200 mg/j vs le naproxène 750 mg/j et l’ibuprofène 1800 mg/j en termes d’évènements cardiovasculaires chez des patients souffrant d’arthrose ou de polyarthrite rhumatoïde.

MÉTHODE

Essai randomisé comparatif direct en double insu à trois bras ayant inclus des patients à haut risque cardiovasculaire (prévention secondaire ou primaire à haut risque) nécessitant des anti-inflammatoires non stéroïdiens pour traiter une arthrose ou une polyarthrite rhumatoïde (PR). Pour ces derniers, le célécoxib pouvait être augmenté à 400 mg/j, le naproxène à 1 000 mg/j et l’ibuprofène à 2 400 mg/j selon l’état du patient et l’avis de l’investigateur. L’aspirine à dose cardiopréventive était autorisée ainsi que les inhibiteurs de la pompe à protons. Le critère de jugement principal composite était constitué des décès cardiovasculaires, des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux non fatals adjudiqués en insu de la randomisation par un comité d’experts indépendant.

Le critère de jugement secondaire était constitué des composants du critère principal plus les revascularisations coronaires, les hospitalisations pour angor instable et les accidents ischémiques transitoires. Les principaux critères de sécurité d’emploi étaient les effets indésirables digestifs (saignements) et rénaux.

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► L’analyse statistique a été faite en intention de traiter (ITT) et en Per Protocol (PP) à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel ajusté sur les critères de stratification à la randomisation (arthrose ou polyarthrite rhumatoïde, aspirine ou non et région géographique). La non-infériorité était considérée comme démontrée, si le risque relatif (RR) sur le critère principal était ≤ 1,12 avec une borne supérieure de l’intervalle de confiance à 97,5 % < 1,40 dans les populations ITT et PP.

La première analyse a comparé le célécoxib au naproxène, la deuxième le célécoxib à l’ibuprofène et la dernière le naproxène à l’ibuprofène. Pour démontrer la non-infériorité, avec une incidence des évènements du critère principal estimée à 2 % par an, un taux d’arrêt de traitement de 40 %, une puissance de 90 % et un risque alpha unilatéral fixé à 0,25, il fallait inclure environ 20 000 patients et les suivre pendant au moins 18 mois ou jusqu’à observer 580 événements du critère principal pour l’analyse en ITT.

RÉSULTATS

► Sur 31 857 patients éligibles, 24 222 ont été randomisés entre octobre 2006 et juin 2014 et 24 081 ont été inclus dans l’analyse finale en ITT. Après randomisation, les caractéristiques des patients dans chacun des trois groupes étaient similaires : âge = 60 ans, 64 % de femmes, IMC = 32 kg/m2, 90% d’arthrose et 10 % de PR, 45 % des patients étaient sous aspirine et 23 % étaient en prévention cardiovasculaire secondaire. Le risque cardiovasculaire moyen à 10 ans de l’ensemble de la population était supérieur à 20 %.

► La dose moyenne d’anti-inflammatoire non stéroïdiens a été de 209 mg/j dans le groupe célécoxib (N = 8 072), 852 mg/j dans le groupe naproxène (N = 7 969) et 2 045 mg/j dans le groupe ibuprofène (N = 8 040). La durée moyenne de traitement a été de 20,3 mois et le suivi de 34,1 mois. Au cours des 10 ans de cet essai, 40 % des patients ont arrêté leur AINS dans l’année suivant la randomisation et 27,4 % n’ont pas eu un suivi complet, taux équitablement répartis entre les groupes.

► Sur le critère principal analysé en ITT, il y a eu 2,3 % (N = 188) évènements dans le groupe célécoxib vs 2,5 % (N = 201) dans le groupe naproxène : RR = 0,93 ; IC95 % = 0,76-1,13, p de non-infériorité = 0,001. Le RR du célécoxib vs l’ibuprofène (2,7 % d’événements, N = 218) était de 0,85 ; IC95 % = 0,70-1,04, p de non-infériorité < 0,001.

Enfin le naproxène a été également non inférieur à l’ibuprofène : 

RR = 1,08 ; IC95 % = 0,90-1,31, p = 0,02. La non-infériorité entre le célécoxib et ses deux comparateurs a également été démontrée dans l’analyse en per protocol. Il n’y a pas eu de différence significative entre les trois groupes sur chacun des composants du critère principal, ou sur la mortalité totale.

► Sur le critère de jugement secondaire, il y a eu significativement moins d’évènements dans le groupe célécoxib vs ibuprofène RR = 0,82 ; IC95 % = 0,69-0,97, pas de différence entre le célécoxib et l’ibuprofène et pas de différence entre le naproxène et l’ibuprofène. Il n’y a eu aucune différence entre les trois groupes sur chacun des composants de ce critère secondaire.

► Dans une analyse en ITT préspécifiée, il y a eu une augmentation significative des infarctus du myocarde non fatals dans le groupe ibuprofène vs naproxène : RR = 1,39 ; IC95 % = 1,01-1,91, p = 0,04.

Même si le soulagement de la douleur articulaire (mesuré par une EVA allant de 0 à 100 mm) n’était qu’un critère tertiaire (mais important pour le patient), il y a eu une différence significative en faveur du célécoxib versus le naproxène, mais cette différence de 0,89 mm n’était pas cliniquement pertinente (différence minimale cliniquement pertinente = 10 mm en France et 13,7 mm aux états-Unis).

► Sur les critères de sécurité d’emploi, il y a eu significativement moins d’anémies par saignement digestif dans le groupe célécoxib vs le naproxène : RR = 0,47 ; IC95 % = 0,31-0,71, p = 0,01 tout comme vs l’ibuprofène : RR = 0,51 ; IC95 % = 0,33-0,77, p = 0,002. Il n’y a pas eu de différence entre le naproxène et l’ibuprofène sur ce critère.

► Enfin, il y a eu une réduction significative des événements indésirables rénaux en faveur du célécoxib vs l’ibuprofène : RR = 0,61 ; IC95 % = 0,44-0,85, p = 0,004, et pas de différence sur ce critère entre le célécoxib et le naproxène.

COMMENTAIRES

Comparativement au placebo et au paracétamol, le sur-risque cardiovasculaire des anti-inflammatoires non stéroïdiens est bien documenté (5,6). Il est essentiellement lié aux posologies élevées et à la durée prolongée du traitement, ce qui incite à prescrire la plus faible posologie efficace pendant la période la plus courte possible, en particulier chez les patients âgés et/ou à haut risque cardiovasculaire. Le paracétamol à la bonne posologie est plus sûr.

► L’essai PRECISION est intéressant à plusieurs titres. C’est le premier qui a confronté, directement et en double insu, un coxib aux anti-inflammatoires non stéroïdiens classiques en termes de sécurité cardiovasculaire. Imposé par la Food and Drug Administration, il a été financé par le titulaire de l’AMM du célécoxib, ce qui pouvait inciter à la méfiance. Afin d’anticiper les critiques et d’asseoir sa démonstration, le laboratoire a accepté des impératifs inhabituels :

Il a fait appel un chercheur (et son équipe), joyeux pourfendeur renommé de l’industrie pharmaceutique. Steven Nissen est l’auteur de la méta-analyse qui a conduit au retrait du marché de la rosiglitazone en Europe (7,8), à celui du rofécoxib (9) dans le monde ; et il a également contribué à l’arrêt du développement du muraglitazar (10) (antidiabétique oral) et du torcetrapib (11), principe actif qui augmente fortement le HDL-c. Les auteurs ont rédigé le protocole, discrètement amendé par le laboratoire puis validé par la Food and Drug Administration. La base de données a été indépendamment analysée par les auteurs à la Cleveland Clinic. Enfin, par contrat, le laboratoire ne pouvait pas s’opposer à la publication des résultats.

► D’un point de vue méthodologique, biostatistique et pertinence des critères de jugement, l'essai PRECISION est un superbe travail. Sa limite principale est le fort taux d’arrêts de traitement, équilibré entre les groupes et compensée par une analyse statistique en stricte ITT. Il démontre clairement que la tolérance cardiovasculaire du célécoxib à 200 mg/j n’est pas moins bonne que celle du naproxène et de l’ibuprofène et que sa tolérance digestive est significativement meilleure que celle de ses deux comparateurs.► En pratique, le traitement de première ligne de la douleur arthrosique est le paracétamol jusqu’à 4 gr/j (posologie AMM maximale). En cas de soulagement insuffisant, les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont recommandés à la plus petite posologie efficace et pendant la durée la plus courte possible. Comme tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont une efficacité similaire sur la douleur, le choix de l’un d’entre eux devrait dépendre de sa tolérance. À sécurité d’emploi cardiovasculaire non inférieure à celle des anti-inflammatoires non stéroïdiens classiques, le célécoxib 200 mg/j semble moins délétère sur le tube digestif que le naproxène et l’ibuprofène.

 



Conflits d'intérêts : aucun

Bibliographie

1. Whittle BJ. COX-1 and COX-2 products in the gut: therapeutic impact of COX-2 inhibitors. Gut 2000;47:320-5.
2. Bombardier C, Laine L, Reicin A et al. Comparison of upper gastrointestinal toxicity of rofecoxib and naproxen in patients with rheumatoid arthritis. VIGOR Study Group. N Engl J Med 2000;343:1520-8.
3. Food and Drug Administration. FDA public health advisory: safety of Vioxx. September 30, 2004. www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/PostmarketDrugSafetyInformationforPatients…
4. Khara J, Topol EJ. The sad story of Vioxx and what we should learn from it. Cleveland clinic J Med 2004;71:933-9.
5. Patrono C, Baigent C. Nonsteroidal Anti-Inflammatory Drugs and the Heart. Circulation 2014;129:907-16.
6. Pfizer. Advisory committee briefing document: assessment of cardiovascular safety in non-steroidal anti-inflammatory drugs (NSAIDs). February 10-11, 2014. http://www.fda.gov/downloads/AdvisoryCommittees/CommitteesMeetingMateri…
7. Nissen SE, Wolski K. Effect of rosiglitazone on the risk of myocardial infarction and death from cardiovascular causes. N Engl J Med 2007;356:2457-71.
8. Nissen SE, Wolski K. Roziglitazone Revisited. An Updated Meta-analysis of Risk for Myocardial Infarction and Cardiovascular Mortality. Arch Intern Med 2010;170:1191-1201.
9. Mukherjee D, Nissen SE, Topol EJ. Risk of Cardiovascular Events Associated With Selective Cox2 Inhibitors. JAMA 2001;286:954-9.
10. Nissen SE, Wolski K, Topol EJ. Effect of Muraglitazar on Death and Major Adverse Cardiovascular Events in Patients With Type 2 Diabetes Mellitus. JAMA 2005;294:2581-6.
11. The ILLUMINATE Investigators. Effects of Torcetrapib in Patients at High Risk for Coronary Events N Engl J Med 2007;357:2109-22.

 

Dr Santa Félibre, Généraliste enseignant

Source : lequotidiendumedecin.fr