Benzodiazépines et risque de maladie d’Alzheimer ou de déclin cognitif : étude prospective en population générale.
Gray SL, Dublin S, Yu O, et al. Benzodiazepine use and risk of incident dementia or cognitive decline: prospective population based study. BMJ 2016 ; 352:i90 doi: 10.1136/bmj.i90.
CONTEXTE
Les benzodiazépines (BZD) sont largement utilisées pour traiter l’insomnie ou l’anxiété, en particulier chez les sujets âgés (1). Ces médicaments sont associés à une augmentation du risque de chute et de fracture, d’accidents de la circulation et de troubles psychopathologiques (2). Ils sont aussi suspectés d’augmenter le risque de maladie d’Alzheimer (MA) ou de déclin cognitif, mais les résultats des études sont contradictoires (3-5) et ne tiennent pas toujours compte de l’exposition cumulée à ces drogues.
OBJECTIF
Vérifier l’hypothèse selon laquelle l’exposition cumulée (dose + durée) aux BZD augmente le risque de maladie d’Alzheimer ou de déclin cognitif.
MÉTHODE
> Étude de prospective de cohorte d’une population couverte par une compagnie d’assurance santé à Seattle, débutée en 2004.
Les sujets inclus dans la cohorte devaient être âgés d’au moins 65 ans, présents dans la base de données depuis au moins 10 ans et indemnes de démence lors de la création de cette base en 1994. À partir de 2004, leur état cognitif a été évalué tous les deux ans à l’aide du Cognitive Abilities Screening Instrument (CASI) allant de 0 à 100.
> Les sujets avec un score ≤ 85 ont bénéficié d’une procédure diagnostique approfondie par une équipe pluridisciplinaire afin de déterminer s’ils étaient atteints d’une MA ou de déclin cognitif définis sur les critères du DSM4 (5).
L’exposition cumulée (dose + duré) aux BZD a été extraite des bases de données de délivrance des pharmacies. Quelle que soit la BZD délivrée, cette exposition a été uniformisée sous forme de posologie quotidienne standardisée multipliée par le nombre de jours de traitement aboutissant à une dose totale cumulée standardisée (DTCS).
Cette dernière a été catégorisée en quatre classes : 0, 1-31, 31-120 ou ≥ 121 DTCS. L’analyse statistique (risque relatif avec IC 95 %) a été effectuée à l’aide d’un modèle multivarié proportionnel de Cox ajusté sur de nombreux facteurs de confusion pertinents, en particulier l’âge et le niveau d’éducation.
RÉSULTATS
> 3 434 sujets ont été inclus dans la cohorte et suivis en moyenne pendant 7,3 ans.
L’âge moyen était de 74 ans, 60 % étaient des femmes et 66 % d’entre eux avaient une éducation au moins de niveau collège. 30 % des sujets avaient reçu au moins une délivrance de BZD dans les 10 années précédentes. En 7,3 ans 797 sujets (23,2 %) ont développé un déclin cognitif dont 637 (18,6 %) une MA.
> Comparativement à aucune exposition aux BZD, il n’y a pas eu de sur-risque dans le groupe très exposé (≥ 121 DTSC), ni sur l’incidence du déclin cognitif : RR = 1,07 ; IC 95 % = 0,83-1,37, ni sur celle de la MA : RR = 0,95 ; IC 95 % = 0,83-1,37.
Curieusement, il y avait un petit sur-risque de déclin cognitif : RR = 1,25 ; IC 95 % = 1,03-1,51 et de MA : RR = 1,31 ; IC 95 % = 1,00-1,71 chez les sujets très peu exposés (1-30 DTSC).
> Globalement, le risque de déclin cognitif augmentait faiblement (IC95 % = 1,1-1,4) jusqu’à ≤ 90 DTSC, mais disparaissait quand l’exposition cumulée aux BZD augmentait.
Il n’y avait aucun surrisque de MA, quelle que soit l’exposition cumulée, y compris > 365 DTSC (une dose standardisée par jour pendant 1 an).
COMMENTAIRES
Les essais randomisés en double insu BZD vs placebo sont toujours trop courts pour détecter une augmentation de l’incidence des troubles cognitifs ou de la MA liée aux BZD. De ce fait, il faut recourir aux études de cohortes pour tenter de détecter cette corrélation.
> Cette étude conclut curieusement à une corrélation minime pour les petites expositions cumulées et nulle pour les très importantes, ce qui va à l’encontre des discours français habituels.
En fait, ceci est probablement lié à une insuffisance de puissance (faible effectif) dans les groupes 1-30 et 31-120 DTSC. Il est conforme à celui d’une récente étude cas-témoin (5), mais contraire à celui de 2 études françaises (3,4), ce qui ne permet pas de trancher.
Cependant, quelle que soit la qualité d’une étude de cohorte, elle ne peut pas faire la preuve d’une relation causale pour de multiples raisons. En l’occurrence, dans celle-ci, certains facteurs confondants n’ont pas été pris en compte comme les antécédents familiaux démentiels des sujets ou leurs antécédents personnels d’anxiété ou de dépression. Par ailleurs, le fait de considérer que la délivrance d’une BZD correspond exactement à sa consommation effective (observance) est un biais inévitable.
> En pratique, cette étude ne doit pas lever la prudence nécessaire lors d’une première prescription de BZD chez un sujet âgé et encore moins lors de son renouvellement.
Si le débat sur le lien entre BZD et troubles cognitifs n’est pas clos, le risque d’effets indésirables graves des BZD (chute, fracture, accident, dépendance...) est réel et bien démontré (7).
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