Douleur chronique

BON USAGE DES OPIOÏDES

Publié le 08/06/2018
Article réservé aux abonnés

La prise en charge de la douleur chronique non cancéreuse justifie parfois le recours aux opioïdes. Mais tout le modèle bio-psycho-social doit être pris en charge pour traiter la douleur-maladie.

J’EXPLIQUE

La douleur chronique non cancéreuse (DCNC) a plusieurs caractéristiques : elle dure depuis au moins trois mois malgré un traitement antidouleur ; elle persiste même si sa cause a disparu ; elle altère significativement la qualité de vie. Elle est souvent multifactorielle, avec des facteurs d’entretien psychologiques, sociaux et culturels, et des conséquences physiques, psychiques et socio-professionnelles (perte d’autonomie, handicap, isolement).

• Les DCNC ne jouent pas/plus leur rôle de signal d’alarme. Ce sont des maladies à part entière.

• Au moins 12 millions de Français souffrent de douleurs chroniques ; sans traitement approprié pour 70 % d'entre eux. 7 % des douleurs chroniques ont des caractéristiques neuropathiques, et le plus souvent elles sont mixtes.

• La prévalence de la douleur chronique augmente avec l’âge pour atteindre 67 % des personnes âgées de 85 ans ou plus.

• 75 % des dépressifs ont des douleurs chroniques, et 30-50 % des douloureux chroniques sont déprimés (trois fois plus qu’en population générale) ; 50-65 % sont anxieux. Les troubles du sommeil et les addictions sont les autres pathologies psychiatriques associées.

JE MONTRE

J’INFORME

• La prise en charge de la DCNC s’appuie sur un trépied : des médicaments pour diminuer l’intensité douloureuse et/ou traiter un syndrome anxiodépressif associé, une reprise d’activité physique, un soutien psychothérapeutique. L’objectif est de retrouver une qualité de vie satisfaisante, physique, affective et sociale.

• La prise en charge non médicamenteuse permet d’intégrer diverses composantes (sensorielle, affective, cognitive, comportementale) de la douleur chronique : techniques de contre-irritation (acupuncture, stimulation électrique, auriculothérapie, physiothérapie, yoga, qi gong…) et psychocorporelles (thérapie cognitivo-comportementale, psychothérapie, hypnothérapie, art-thérapie, relaxation).

JE PRESCRIS

• Le palier 2 de l’OMS désigne les opioïdes faibles : tramadol, codéine et poudre/extrait d’opium, recommandés pour soulager des douleurs modérées à sévères et en cas d’échec du paracétamol. En termes d’efficacité, les trois opioïdes faibles ont une puissance équivalente sur la douleur nociceptive. Par contre, le tramadol est plus efficace sur une douleur mixte.

• Les opioïdes forts ont montré une efficacité modérée dans les DCNC de l'arthrose des membres inférieurs et des lombalgies chroniques réfractaires, après l'échec des traitements de première intention : 46 % des patients obtiennent une antalgie d’au moins 50 % à long terme. Sur les douleurs neuropathiques, il faut traiter quatre patients par opioïdes forts pour obtenir un malade soulagé à plus de 30 %. Et sur six patients traités, un seul sera soulagé à plus de 50 %.

J’ALERTE

• “Opioïdes faibles” ne riment pas avec faible risque iatrogène ! Codéine et tramadol ont une vitesse d’élimination variable, sous influence génétique (métaboliseurs rapides vs métaboliseurs lents). La poudre d’opium n’est pas concernée.

• Sous opiacés, la constipation est fréquente (30 % malgré les laxatifs), et systématique chez les plus âgés. La somnolence (10 %) est favorisée par d’autres sédatifs et doit faire vérifier la fonction rénale. 20 % des patients souffrent de nausées, 10 % de vomissements.

• Il est déconseillé de poursuivre le traitement des opioïdes forts au-delà de trois mois en l'absence d'amélioration de la douleur (≥ 30 %), de la fonction ou de la qualité de vie. Il faut éviter de dépasser 150 mg d’équivalent morphine/j. Un avis spécialisé est recommandé au-delà.

• Les opioïdes forts ne sont pas recommandés pour traiter les migraines : ils peuvent majorer les nausées, favoriser le risque de céphalée chronique quotidienne et aggraver un tableau dysfonctionnel type fibromyalgie. 

• Le risque de comportement déviant concomitant à l’usage d’opioïdes forts est estimé entre 5 et 24 % chez les lombalgiques chroniques. Il est favorisé chez les jeunes (16-45 ans), les hommes et en cas de comorbidités psychiatriques et addictologiques (tabac, alcool, médicaments). Les facteurs de risque n’interdisent pas la prescription mais justifient un avis d’expert.

JE RENVOIE SUR LE WEB

Société française d’étude et de traitement de la douleur. “La douleur chronique, c’est quoi exactement ?” Vidéo disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=brD5SWy5IPs  

Dr Julie Van Den Broucke (médecin généraliste, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr