Chez la femme enceinte, toute infection urinaire (IU) est à risque de complication et peut avoir des conséquences parfois néfastes pour la mère et pour le fœtus. Elle peut se manifester sous trois formes : colonisation urinaire gravidique (aussi appelée bactériurie asymptomatique), cystite aiguë gravidique et pyélonéphrite aiguë (PNA) gravidique.
UN FACTEUR DE RISQUE DE PNA
La prévalence de la colonisation urinaire pendant la grossesse se situe entre 2 et 10 %. Et contrairement à ce qui est constaté chez la femme en dehors de la grossesse, cette colonisation persiste en l’absence de traitement.
Depuis les années 1960, on sait que 20 à 40 % des colonisations urinaires gravidiques se compliquent d’une PNA. Et il a été prouvé depuis que leur traitement systématique entraîne une diminution du risque d’évolution vers une PNA. Il est donc essentiel de les rechercher et de les prendre en charge au cours de la grossesse.
En revanche, les liens entre la colonisation urinaire gravidique et la prématurité font l’objet de controverses depuis des dizaines d’années. De même, l’association bactériuries asymptomatiques gravidiques à un faible poids de naissance, a fait l’objet de travaux d’interprétation délicate car l’âge gestationnel à la naissance n’était pas toujours pris en compte.
LES FACTEURS FAVORISANTS DE L’IU
> Différents facteurs favorisants ont été individualisés :
- des modifications anatomiques : l’appareil urinaire est directement compressé par l’utérus gravide, en particulier du côté droit (par dextrorotation de l’utérus). La dilatation physiologique des cavités pyélocalicielles débute dès le premier trimestre et augmente de façon progressive jusqu’au troisième trimestre. Au fur et à mesure du développement de l’utérus, la vessie prend une position plus abdominale que pelvienne provoquant une dysurie, tandis que l’étirement des uretères favorise le reflux vésico-urétéral.
- des modifications hormonales. La progestérone aurait une action myorelaxante, favorisant une stase urétérale et une augmentation de la capacité vésicale.
- des modifications des propriétés physico-chimiques des urines. L’activité bactéricide des urines pourrait être diminuée par la dilution des urines et l’augmentation de leur pH.
- une immunodépression physiologique favorisant la présence de bactéries dans l’appareil urinaire (5).
> Les facteurs de risque individuels de colonisation urinaire gravidique sont les antécédents d’IU, l’activité sexuelle ainsi qu’un bas niveau socio-économique. En revanche, d’autres facteurs décrits dans des études anciennes (âge, âge gestationnel et multiparité) ne sont pas retrouvés dans les études plus récentes.
DÉPISTAGE ET DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE
Dépistage par bandelette urinaire (BU)
Le dépistage des colonisations urinaires par la BU est un sujet controversé, les études retrouvant une grande variabilité de sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive (VPP) et valeur prédictive négative (VPN) de cet examen au cours de la grossesse (voir tableau 1). Les recommandations françaises considèrent que la bonne VPN des BU associant leucocytes et nitrites permet de les recommander pour le dépistage de la colonisation urinaire pendant la grossesse, notamment chez les femmes sans facteur de risque d’IU, un ECBU n’étant réalisé qu’en cas de positivité (leucocytes ou nitrites positifs). Il n’existe pas en 2015 de donnée nouvelle justifiant de modifier cette recommandation.
L’ECBU
C'est l’examen de référence pour confirmer le diagnostic de colonisation urinaire gravidique, avec un seuil de bactériurie > 105 UFC/ml. Selon les dernières recommandations américaines et européennes, une colonisation urinaire est définie comme la présence, sur 2 cultures consécutives (réalisées à 1 ou 2 semaines d’intervalle), de la même bactérie à un seuil > 105 UFC/ml.
Afin de bien distinguer chez ces patientes asymptomatiques les colonisations vraies des contaminations dues à un prélèvement de mauvaise qualité, le seuil retenu est volontairement plus élevé que celui définissant l’IU chez les patientes symptomatiques (seuil qui varie entre 103 et 104 UFC/ml selon la bactérie en cause).
FAUT-IL DÉPISTER SYSTÉMATIQUEMENT CETTE BACTÉRIURIE ?
> Chez les femmes enceintes sans facteurs de risque
Dans les recommandations de la HAS de mai 2007, le dépistage d'une colonisation urinaire par BU est recommandé chez toutes les femmes enceintes aux consultations des 4e, 5e, 6e, 7e, 8e et 9e mois. Si celle-ci est positive (leucocytes ou nitrites positifs) un ECBU doit être réalisé. Il n’existe pas en 2015 de donnée nouvelle justifiant de modifier cette recommandation.
> Chez les femmes enceintes à risque d’infection urinaire, à savoir celles ayant :
- une uropathie sous-jacente organique ou fonctionnelle (uropathie malformative, troubles mictionnels)
- un diabète,
- des antécédents de cystite aiguë récidivante.
Selon la HAS, un ECBU est recommandé à la première consultation de début de grossesse, ainsi qu’aux consultations des 4e, 5e, 6e, 7e, 8e et 9e mois chez ces patientes.
L’intérêt d’un autodiagnostic systématique hebdomadaire des IU n’a pas été démontré chez la femme enceinte à risque.
FAUT-IL TRAITER ?
La nécessité du traitement des colonisations urinaires gravidiques est consensuelle. En effet, le risque de PNA gravidique justifie à lui seul le traitement des colonisations urinaires chez toutes les femmes enceintes. L’efficacité du traitement antibiotique pour éradiquer une colonisation urinaire a été montrée dans une méta analyse (14 études contrôlées randomisées, dont 11 anciennes).
> Même si les données sur le traitement de la colonisation à SGB sont limitées (une seule étude, sur de petits effectifs), la présence de cette colonisation est associée à des complications obstétricales, et est probablement à l’origine de PNA. Les colonisations urinaires à SGB ≥ 105 UFC/mL doivent dont être traitées, ce qui est en accord avec les recommandations internationales existantes.
D’autre part, puisque la colonisation urinaire à SGB pendant la grossesse est systématiquement associée à un portage vaginal, ces patientes doivent bénéficier de la prévention per-partum de l’infection materno-fœtale à streptocoque B.
DURÉE DE TRAITEMENT
La durée optimale de traitement des colonisations urinaires gravidiques est discutée. Les dernières méta analyses ne permettent pas de répondre à cette question. Il n’est pas démontré que les traitements en prise unique ou de durée courte sont aussi efficaces que les traitements prolongés, à l'exception du traitement par fosfomycine-trométamol en monodose.
Dans la population générale, il a été montré que les traitements prolongés sont plus efficaces en terme d’éradication bactérienne que les traitements en prise unique ou en traitement court.
Cela justifie de proposer un traitement prolongé de 7 jours, dans cette population pour laquelle les conséquences d’un traitement insuffisant peuvent être graves.
Un traitement prolongé par nitrofurantoïne ou SMX-TMP pendant toute la durée de la grossesse n’est pas supérieur aux traitements intermittents. Cela a été démontré dans une étude où les résultats obtenus avec un traitement continu ou un traitement de 14 jours de nitrofurantoïne ou de SMX-TMP étaient similaires. Une autre étude a montré qu'un traitement quotidien par nitrofurantoïne n'apportait pas de bénéfice par rapport à une surveillance rapprochée chez les femmes enceintes présentant des IU récidivantes. Ces traitements prolongés ne sont donc pas recommandés.
> En l’absence d’études de bonne qualité sur les traitements courts (3 jours), la durée de traitement recommandée est de 7 jours, à l'exception de la fosfomycine-trométamol en prise unique. Les traitements d'une durée supérieure à 7 jours ne sont pas recommandés.
L'ANTIBIOTHÉRAPIE EN PRATIQUE
Les données de la littérature ne permettent pas de définir un schéma de traitement optimal de la colonisation urinaire gravidique. Il est proposé de privilégier, lorsque c'est possible, les molécules ayant le spectre le plus étroit, le moindre impact sur le microbiote intestinal et la meilleure tolérance materno-fœtale.
= 1re intention : Amoxicilline (II-B)
= 2e intention : Pivmécillinam (II-B)
= 3e intention : Fosfomycine-trométamol (II-B)
= 4e intention : Triméthoprime (à éviter les deux premiers mois de la grossesse) (IVC)
= 5e intention (hiérarchie selon l’impact écologique, l’efficacité étant comparable)
- Nitrofurantoïne (traitements itératifs contre-indiqués) (II-B)
- SMX-TMP (à éviter les deux premiers mois de la grossesse) (IVC)
- Amoxicilline-acide clavulanique (II-B)
- Céfixime (II-B) ou ciprofloxacine (IV-C)
SUIVI APRES TRAITEMENT
Il est recommandé d’effectuer un ECBU de contrôle 8 à 10 jours après l’arrêt du traitement (la réalisation d’un ECBU trop précoce, par exemple à 48h de la fin du traitement, n’est pas recommandée, du fait d’un risque d’une culture encore négative à ce stade, rassurant à tort).
Une surveillance mensuelle de l’ECBU jusqu’à l’accouchement est conseillée (accord professionnel).
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