Psychiatrie

LA DERMATILLOMANIE

Publié le 28/03/2022
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Ce comportement compulsif touche plus de 1 % de la population. Elle concerne presque toutes les parties du corps et induit souvent une culpabilité du patient. Le traitement repose sur les IRS et la thérapie cognitivo-comportementale.

Prurit au niveau du dos.

Prurit au niveau du dos.
Crédit photo : Dr Frances

Marie-Paule, 62 ans, consulte car depuis plus de 6 mois, elle présente un prurit au niveau du dos, des bras et des jambes. Son médecin traitant a effectué un bilan biologique qui s’est avéré normal. La prescription de traitements anti­histaminiques variés n’a pas amélioré la patiente.

Marie-Paule, qui est actuellement hébergée dans un foyer de sans-abris pour fuir son entourage très culpabilisateur, explique qu’elle a tendance à s’alcooliser, et elle prend régulièrement différentes drogues (cocaïne surtout).

Compte tenu des éléments médicaux et sociaux de cette patiente, nous avons pensé qu’elle présentait une dermatillomanie.

INTRODUCTION

La dermatillomanie concerne entre 1 et 5 % de la population, dont près de 38 % présentent un alcoolisme ou une consommation de drogues. Dans 75 % des cas, cette pathologie débute à l’adolescence et touche plus souvent des femmes entre 15 et 45 ans.

Chez près de 50 % des patients adultes consultés, les manifestations cliniques observées étaient présentes avant l’âge de 10 ans.

Par ailleurs, cette affection est associée à des idées suicidaires chez 12 % des patients, 11,5 % ont tenté de se suicider et, chez 15 % de ces patients, un suivi psychiatrique est effectué.

ÉTIOLOGIE

Concernant les étiologies, aucune n’est réellement identifiée de manière précise.
Le plus souvent, ce prurit fait suite à une situation de stress (comme après la perte d’un emploi).

Il s’agit d’une « adaptation » à d’importantes problématiques d’angoisse sur fond de mal-être, de perte de l’estime de soi avec honte conséquente.

Cette problématique s’inscrit parfois dans un cas de figure particulier où le patient a présenté une blessure cutanée qui a mis un retard pour cicatriser et qui a été à l’origine de ce comportement de prurit.

Bien entendu, on retrouve derrière cette envie irrésistible de se gratter parfois un trouble obsessionnel compulsif (TOC), comme la trichotillomanie ou l’onychophagie, ou encore une notion de dysmorphie corporelle dont le reflet psychotique est manifeste.

Pour certains auteurs, cette situation serait secondaire à une altération du système de récompense dépendant de l’histamine produite autour de la plaie et entraînant gêne et prurit, et de la dopamine (molécule du plaisir), notamment chez les patients consommateurs de certaines drogues comme les méthamphétamines.

SYMPTOMATOLOGIE

La localisation La dermatillomanie touche le visage, les bras, le dos, le cuir chevelu, l’abdomen, les épaules ou les phanères (atteintes des cuticules des ongles et de matrice parfois). Chez un même patient, ces zones peuvent ne pas toujours être les mêmes, cela d’autant plus que les manifestations cutanées engendrées par le prurit disparaissent.

Les caractéristiques cliniques Tout commence avec une lésion de petite taille (acné, folliculite, eczéma) qui est le siège d’un prurit mineur.

Secondairement, le patient s’acharne sur la lésion primitive et il n’hésite pas à recourir à certains instruments (pinces, ciseaux) pour obtenir un soulagement, qui est de courte durée.

Progressivement, la dermatillomanie monopolise le sujet, qui passe de longues heures à se triturer les lésions avec parfois autophagie des croûtes, pour obtenir une satisfaction.

Bien entendu, ce phénomène est à l’origine d’une culpabilité (tentatives de résister ou conscience des dégâts engendrés par ce comportement qui est à l’origine d’un évitement pour cacher certaines zones du corps).

La dermatillomanie est le témoin d’un problème affectif, mais aussi d’un manque d’estime de soi majoré par la solitude et la déprime.

Les manifestations de grattage intempestif surviennent le plus souvent le soir, période où le patient peut se décharger du stress de la journée.

PRISE EN CHARGE

Elle consiste à traiter les zones excoriées avec des antiseptiques et des émollients.

Pour améliorer l’état psychique du patient, il est possible de recourir à des traitements antidépresseurs (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou IRS).

Par ailleurs, les thérapies cognitivo-comportementales (techniques de renversement des habitudes à l’origine d’autres comportements plus acceptables) favorisent une prise de conscience de ce problème et donnent des pistes pour comprendre les situations responsables de ce comportement.

La dermatillomanie doit être prise en charge car si elle n’est pas traitée, elle peut être à l’origine d’infections cutanées (parfois même des septicémies), et parfois de cicatrices.

Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Dr Robert Gaubert (psychiatre, 53 avenue Giraudoux, Perpignan), Widad Gallaf (interne en médecine générale à Montpellier), Léa Satge (externe à Montpellier)

BIBLIOGRAPHIE
1. Misery L. Votre peau a des choses à vous dire. Ed. Larousse 2019.
2. Trybou V, Brossard B, Kédia M. Automutilations : comprendre et soigner.
Ed. Odile Jacob 2018.
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4. Francès P. Caractéristiques médico-sociales des patientes sans domicile. Poster. 15e Congrès Médecine Générale France 2022


Source : Le Généraliste