Le développement prématuré des seins chez la fille, l’apparition d’une pilosité pubienne et/ou l’accélération anormale de la vitesse de croissance chez le garçon comme chez la fille motivent le plus souvent une consultation pour suspicion de puberté précoce (PP). Ce développement prématuré peut correspondre à une PP pathologique ou à une PP non pathologique appelée parfois "dissociée" ou "partielle" ou encore "variante de la puberté normale". La PP peut être d’origine centrale (PPC ou PP vraie) par une activation prématurée de l’axe hypothalamo-hypophysaire ou périphérique (pseudo PP) secondaire à une sécrétion primitive anormale de stéroides sexuels d’origine ovarienne ou surrénalienne.
Après un rappel sur la puberté normale, nous envisagerons successivement les PP centrales, les PP périphériques et la conduite du diagnostic chez la fille et chez le garçon.
LA PUBERTÉ NORMALE
La puberté est une période qui se caractérise par des modifications endocriniennes, morphologiques, physiologiques et psychologiques. Cette maturation sexuelle se manifeste par la croissance des gonades, le développement des caractères sexuels secondaires et une accélération de la vitesse de croissance staturale. Ces manifestations sont secondaires à l’activité de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique entraînant la sécrétion des hormones sexuelles stéroidiennes et l’aptitude à la procréation.
-› L’âge d’entrée en puberté est génétiquement déterminé mais il peut être modulé par divers facteurs tels que la nutrition (via la leptine) et l’environnement (lumière, stress, maladies chroniques, perturbateurs endocriniens. La décharge pulsatile de LHRH (hypothalamique) induit des stimulations successives de l’ante-hypophyse (FSH, LH), des gonades (oestradiol, testostérone) puis des tissus cibles périphériques. Une sécrétion d’androgènes par la surrénale précède d’un à deux ans l’apparition des premiers signes pubertaires.
-› Le calendrier pubertaire :
- Chez la fille, le développement mammaire signe l’entrée en puberté, en moyenne vers l’âge de 10 ans, 10 ans et demi ; la pilosité pubienne accompagne ou suit ; la pilosité axillaire est plus tardive. Cinq stades définissent les phases du développement pubertaire (Stades de Tanner) pour les seins (S1-S5) et la pilosité pubienne (P1-P5). Le délai entre l’apparition des seins et les premières règles est en moyenne de deux ans ; les règles ne deviennent cycliques qu’après une à deux années et les premiers cycles sont anovulatoires. Les données de l’échographie pelvienne complètent les données cliniques : une longueur de l’utérus supérieure à 35 mm, un rapport corps/col supérieur à 1 avec un aspect piriforme et l’apparition d’une ligne de vacuité sont considérés comme des signes d’imprégnation hormonale.
- Chez le garçon, le signe indiquant le démarrage pubertaire est l’augmentation du volume testiculaire. Des dimensions testiculaires supérieures à 25X15 mm indiquent une activation de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Une gynécomastie est fréquente au cours de la première année de la puberté (50 %) et est le plus souvent transitoire.
-› Croissance et puberté : la vitesse de croissance augmente à la puberté : le gain statural annuel passe de 5-6 cm avant la puberté à 8-9 cm lors du pic de croissance pubertaire (12 ans chez la fille et 14 ans chez le garçon). Le gain statural pubertaire moyen est de 22 à 25 cm chez la fille et de 24 à 28 cm chez le garçon. Les filles peuvent prendre de 5 a 7 cm après les premières règles qui surviennent en moyenne à la fin de la deuxième année de la puberté.
PUBERTÉ PRÉCOCE CENTRALE
Définition
Le développement pubertaire précoce de l’enfant est défini par l’apparition des premiers caractères sexuels secondaires avant 8 ans chez la fille (seins et/ou pilosité pubienne) et 10 ans chez le garçon (augmentation de la taille des testicules). Les PPC sont 8 fois plus fréquents chez la fille que chez le garçon.
Données cliniques
Chez la fille, les éléments en faveur d’une PP pathologique sont l’association de deux signes (sein, pilosité pubienne, accélération staturale) ou l’apparition isolée d’un développement mammaire après l’âge de 3 ans ou encore la survenue de règles indépendamment de tout autre signe clinique. Chez le garçon, l’augmentation trop précoce du volume testiculaire suffit à signer le diagnostic de PP pathologique.
Données d’examens complémentaires
Chez le garçon, comme chez la fille, l’âge osseux (évalué par la radiographie de face de la main et du poignet gauche) est constamment avancé. L’oestradiol plasmatique est élevé chez la fille, la testostéronémie augmentée chez le garçon. Les tests au LHRH montrent une réponse hypophysaire supérieure de LH par rapport à la FSH avec un rapport LH/FSH › 0,63. On peut également chez la fille s’aider d’une échographie pelvienne qui retrouve dans cette situation un utérus dont la hauteur est supérieure à 35 mm et des ovaires de taille supérieure à 30 mm avec la présence en leur sein, de follicules.
Données de l’interrogatoire et de l’examen général
Certains éléments doivent être documentés pour orienter le diagnostic étiologique de cette PP : l’anamnèse personnelle et familiale (date de la puberté dans la famille, maladies héréditaires, traumatisme crânien), la mesure du poids et de l’indice de masse corporelle (IMC) l’examen visuel et cutané (recherche de tâches pigmentées).
Orientation diagnostique
-› Trois cas de figures peuvent se présenter :
1- Le diagnostic est attendu, car l’enfant est suivi pour une maladie connue pour être à l’origine d’une PPC (gliome des voies optiques, hydrocéphalie, antécédent d’irradiation crânienne ou de méningite infectieuse)
2 - Le diagnostic sera rapidement évoqué si la PP s’accompagne de signes neurologiques, oculaires et/ou cutanés devant faire évoquer une cause possible comme la maladie de Recklinghausen
3 - La PPC est isolée, ce qui est le cas le plus fréquent. Une IRM doit être systématiquement demandée pour rechercher une lésion hypothalamo-hypophysaire ou une lésion des voies optiques. Chez le garçon, cette exploration est toujours nécessaire car la moitie des PP centrales sont secondaires à ce type de lésions. Plus récemment, chez la fille, a été proposé de poser l’indication de l’IRM lorsqu’était présent un des deux marqueurs suivants : un taux d’oestradiol sanguin très élevé et un âge inférieur à 6 ans au début de la PPC. Dans un grand nombre cas, aucune cause n’est retrouvée et on parle alors de PPC idiopathique. Cette situation est rare chez le garçon ( < 35%) et plus fréquente chez la fille ( › 80%) où sont parfois retrouvés une forme familiale ou un surpoids dans l’année précédant le démarrage pubertaire.
-› Les enfants adoptés venant d’un pays en voie développement représentent une population croissante des enfants évalués pour des pubertés précoces. La physiopathologie est assez mal connue et ont été successivement évoqués des facteurs nutritionnels, psychologiques, le rôle de l’environnement et peut-être l’ensemble des ces facteurs intriqués. La prise en charge est souvent délicate, en l’absence de connaissance des éléments familiaux et du passé de l’enfant, une attention particulière somatique et psychologique, non dissociables du contexte global est cependant nécessaire. Les parents doivent être prévenus de cette éventualité de PPC.
Indications thérapeutiques
Le traitement des PPC secondaires à des lésions dépend de la nature de l’anomalie : il peut d’agir d’une exérèse, d’une radiothérapie, d’une chimiothérapie ou d’une abstention thérapeutique avec surveillance.
Dans les PPC idiopathiques, l’objectif du traitement est de compenser la perte staturale induite par la PP et de restaurer une chronologie pubertaire physiologique.
-› Chez la fille, l’attitude varie selon la rapidité de progression des signes pubertaires (timing pubertaire) et son impact sur la maturation osseuse. En effet, la sécrétion prématurée d’oestrogènes peut induire une soudure prématurée des cartilages de conjugaison et ainsi diminuer la durée et donc le potentiel de croissance de l’enfant. Les analogues de la LHRH (Décapeptyl*, Enantone*) utilisés à la dose de 11,25 mg toutes les 12 semaines empêchent l’action de la LHRH endogène (en saturant les récepteurs hypophysaires) freinant ainsi la sécrétion de la LH et de la FSH et secondairement la sécrétion des stéroides sexuels. Ce freinage est efficace à la condition d’une surveillance et d’une évaluation clinique et biologique (dosage trimestriel d’oestradiol plasmatique). L’évolutivité est variable d’un cas à l’autre. Un traitement freinateur est prescrit lorsqu’il s’agit d’une forme classique évolutive (65 % des cas). Il n’est pas mis en route d’emblée dans les formes lentes, voire spontanément régressives, sous réserve qu’une surveillance trimestrielle clinique soit assurée.
-› Chez le garçon, l’indication des analogues de la LHRH est plus systématique car il s’agit toujours de PPC évolutives. Le volume testiculaire se stabilise et peut diminuer secondairement sans revenir toutefois à l’état prépubère. La testostérone est un marqueur fiable et un taux < 0,3 ng/ml témoigne de la bonne efficacité du traitement.
-› Dans tous les cas, la tolérance du traitement est bonne. Les effets secondaires les plus fréquents sont bénins (céphalées, bouffées de chaleur, asthénie, augmentation modérée du poids).
La durée du traitement varie selon l’âge du démarrage pubertaire mais est en règle générale, de deux à trois ans et sont le plus souvent arrêtées lorsque l’âge osseux est autour de 12 ans chez la fille et 13 ans et demi chez le garçon, en tenant compte de l’âge chronologique, de l’âge osseux et de la vitesse de croissance lors du dernier semestre du traitement freinateur.
Dans les pubertés avancées, (entre 8 et 10 ans chez la fille, entre 10 et 12 ans chez le garçon) les analogues de la LHRH sont inefficaces sur la croissance. Leur indication peut être discutée en cas de formes particulièrement rapides ou pour des raisons psychologiques.
PUBERTÉ PRÉCOCE PERIPHERIQUES ( PPP)
On les appelle aussi parfois pseudo-pubertés précoces. Ces PPP ont en commun une élévation de l’oestradiol ou de la testostérone plasmatique et des valeurs basses et non stimulables par la LHRH, des gondadotrophines hypophysaires, la LH et la FSH : elles reconnaissent des causes variées, dominées par un processus tumoral (ovarien, testiculaire ou surrénal) ou une anomalie de la stéroidogénèse (hyperplasie des surrénales). Il faut savoir distinguer chez la fille les formes isosexuelles (production anormale d’oestrogènes) par tumeur ou kyste ovarien, des formes hétérosexuelles (avec masculinisation) témoignant d’un excès de production d’androgènes (tumeur surrénalienne ou hyperplasie congénitale des surrénales). Les examens complémentaires nécessaires sont : l’évaluation de la maturation osseuse, l’échographie abdomino-pelvienne et le dosage des stéroides sexuels plasmatique : oestradiol, testostérone, et dosage de la 17 OH progestérone. Dans les blocs enzymatiques surrénaliens, la virilisation est progressive entre 2 et 10 ans : le dosage dela 17 OH progesterone après stimulation par le Synacthène permet aisément le diagnostic. Une analyse moléculaire du gène CYP21B confirme l’anomalie et permet de la classer avec précision. Le traitement repose sur le freinage de la production d’androgènes par l’hydrocortisone. Dans tous les cas, la moindre suspicion d’une origine surrénalienne (élévation des métabolites surrénaliens, impose une tomodensitométrie pour éliminer une tumeur (cortico-surrénalome). Certaines tumeurs sécrétantes de l’hCG (gonadiques, hépatiques, médiastinales ou hypophysaires) peuvent être
également recherchées devant une virilisation rapide sans augmentation du volume testiculaire chez le garçon.
-› Chez la fille, il faut savoir évoquer le syndrome de Mc CUNE-ALBRIGHT lorsque la PPP s’accompagne de tâches cutanées café au lait et de lésions (inconstantes) de dysplasie fibreuse des os. La PPP peut être modérément évolutive ou au contraire sévère avec la présence de kystes ovariens nombreux et récidivants, une avance staturale et une accélération rapide de la maturation osseuse. L’activité ovarienne (autonomie+++) étant indépendante des gonadotrophines, seuls des produits tels que les inhibiteurs de l’aromatase peuvent avoir une efficacité inconstante.
-› Chez le garçon, il existe une PP familiale ou (testotoxicose) dont le tableau clinique ressemble beaucoup à une puberté précoce mais dont l’âge de début se situe entre 2 et 5 ans. La testostérone est modérément élevée avec des taux de LH et de FSH bas et non stimulables. Le diagnostic est ainsi facilement évoqué, après avoir de principe éliminé une tumeur testiculaire.
Le mécanisme est du à une mutation activant le récepteur de la LH. Le traitement repose sur la limitation de la production d’androgènes. Une PPC peut survenir secondairement.
PUBERTES DISSOCIEES
Ces pubertés dissociées ne doivent pas être d’emblée considérées comme des variantes de la normale ni banalisées car ces signes d’imprégnation hormonales peuvent êtres prémonitoires d’authentiques pubertés précoces, révéler des pathologies sous-jacentes justifiant un traitement spécifique : elles imposent donc une analyse rigoureuse de chaque situation clinique et la pratique de quelques examens biologiques simples.
-› La premature thelarche (ou développement prématuré des seins) est définie par l’apparition isolée de la glande mammaire chez les filles entre 2 et 7 ans. Il n’y a pas d’autre signe de féminisation, ni accélération de la croissance staturale, et/ou de l’âge osseux. Dans cette situation assez fréquente, il est important de réaliser un examen clinique complet, d’étudier la vitesse de croissance et d’évaluer la maturation osseuse. L’échographie pelvienne vérifie la présence d’un utérus non imprégné et l’état des ovaires. Une surveillance semestrielle est indispensable. L’évolution est très variable allant de la régression spontanée à la persistance, voire à l’augmentation du volume mammaire : cette dernière doit toujours faire évoquer un démarrage de la puberté centrale. L’incidence actuelle de cette symptomatologie fait évoquer plusieurs hypothèses pathogéniques, telles un excès pondéral, une action secondaire des phyto-oestrogènes (isoflavones), ou de xéno-oestrogènes (polluants chimiques, pesticides, alimentation riche en soja).
-› La premature pubarche correspond à l’apparition d’une pilosité pubienne avant l’âge de huit ans. Elle est habituellement isolée, mais peut aussi être associée à une pilosité axillaire. Cette pilosité doit faire rechercher une discrète accélération de la vitesse de croissance et de la maturation osseuse, des signes d’hyperandrogénie (acné, hypersudation, hirsutisme, hypertrophie clitoridienne). La survenue de cette symptomatologie pourrait être associée à trois facteurs différents : une prédisposition pré et néonatale ( fréquence des enfants nées avec un retard de croissance intra-utérin), un surpoids et un bloc enzymatique surrénalien ( bloc en 21 OH ase ou en 11 ß ou en 3 ß ol deshydrogénase). L’analyse de cette situation repose sur la recherche d’un RCIU dans les antécédents, le calcul de l’IMC avec la recherche d’un rebond précoce, une évaluation de la maturation osseuse et la recherche des signes cliniques d’hyperandrogénie. Un dosage des androgènes surrénaliens (17 OH progestérone, de testostérone, SDHA) et d’ACTH ainsi qu’un test au synacthène sont indispensables, en particulier s’il existe une avance conséquente de la croissance et de la maturation osseuse. En l’absence de cause identifiée, une évolution vers une puberté avancée est fréquente.
-› La premature menarche se définit comme un saignement d’origine utérine chez une petite fille ne présentant aucun signe de développement pubertaire par ailleurs. Si le saignement persiste, un examen gynécologique spécialisé élimine les autres causes de saignement (prolapsus ou corps étranger). L’échographie confirme la présence d’un utérus non stimulé et des ovaires non augmentés de volume.
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