Gastro-entérologie

L'APPENDICITE AIGUË CHEZ L'ADULTE

Publié le 22/05/2023
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L’appendicite aiguë est le premier motif d’intervention en chirurgie digestive en France. Le pronostic est directement lié à̀ la précocité du diagnostic et du traitement. En dépit d’une littérature qui confirme, dans les formes non compliquées, l’intérêt potentiel du traitement antibiotique, celui-ci peine à s’ancrer dans les pratiques.

Crédit photo : BURGER / PHANIE

INTRODUCTION

Le risque le plus redouté d’une appendicite aiguë est l’évolution vers la perforation, puis la péritonite généralisée qui met en jeu le pronostic vital : la mortalité est de 0,1 % dans les formes non compliquées et de 1,5 à̀ 5 % en cas de perforation appendiculaire (1).

Diffusé à une époque où le diagnostic d’appendicite aiguë̈ restait clinique, le dogme que toute appendicite aiguë̈ devait être opérée est devenu, pour une bonne partie des médecins, « toute douleur de la fosse iliaque droite doit être appendicectomisée » (2). C’est pourquoi, au milieu des années 1980, on comptabilisait trois fois plus d’appendicectomies en France qu’en Allemagne, pourtant plus peuplée.

L’utilisation systématique à visée diagnostique, depuis 25 ans, de l’imagerie (la tomodensitométrie, voire l’échographie), ainsi que de la technique cœlioscopique, devenue le gold standard, a considérablement réduit le nombre d’appendicectomies inutiles. Dans les années 1980, les appendicectomies inutiles représentaient 20 % des interventions, un chiffre très probablement sous-estimé. Le nombre d’appendicectomies annuelles en France se situe ces dernières années aux alentours de 80 000.

En 2023, l’appendicectomie en urgence par voie cœlioscopique reste la norme, comme stipulé dans les recommandations 2021 de la Société française de chirurgie digestive et de la Société d’imagerie abdominale et digestive (3).

À noter que la prévalence de l’appendicite aiguë a diminué au cours du 20e siècle, sans que l’on en connaisse la raison.

DÉFINITION

Dans l’immense majorité des cas, l’appendicite aiguë est due à une obstruction luminale, soit externe (hyperplasie lymphoïde), soit interne, par des matières ou un stercolithe. Ceci conduit à une obstruction intraluminale puis à une hypersécrétion de mucus, d’où une tension pariétale, une prolifération bactérienne et une réduction des flux sanguin et lymphatique, à l’origine d’une nécrose ischémique avec un risque de perforation. L’appendicite aiguë expose donc à diverses complications : abcès appendiculaire, phlegmon et plastron appendiculaires, perforation digestive ou nécrose (gangrène) avec péritonite appendiculaire.

L’appendicite compliquée résulte-t-elle de l’évolution non traitée d’une appendicite non compliquée, ou procède-t-elle d’histoires différentes ? Ce point reste débattu. Alors que dans une étude déjà ancienne, le risque d’appendicite compliquée était multiplié par 13 pour une appendicectomie réalisée à plus de 71 h en comparaison à un délai de moins de 12 h, d’autres études montraient que le retard opératoire n’était pas corrélé à la gravité de l’appendicite.

SYMPTOMATOLOGIE

Chez l’adulte, dans un grand nombre de cas, la douleur abdominale de début épigastrique ou péri-­ombilicale migre vers la fosse iliaque droite en quelques heures. La douleur est à type torsion ou crampe et devient permanente sans irradiation. Elle augmente progressivement pendant les 24 premières heures. La douleur est augmentée par la toux et les mouvements de la cuisse droite. Un psoïtis est typique. En cas d’appendice ectopique, les douleurs sont, selon l’emplacement, plus hautes, plus à gauche ou plus basses dans la région pelvienne.

La douleur est accompagnée de nausées dans la moitié des cas ou de vomissements dans 30 % des cas. Plus rarement, et surtout chez les personnes âgées, l’appendicite aiguë peut engendrer des diarrhées ou une occlusion intestinale.

Il est possible de constater une légère fièvre (entre 37,5 et 38,5 °C dans 60 % des cas) et une discrète tachycardie.

L’examen clinique chez l’adulte comprend la mesure de la tension artérielle, le pouls, la prise de la température, l’inspection de cicatrices abdominales, l’observation de sueurs, d’une pâleur, d’une déshydratation (conjonctives, langue), la recherche d’un ictère, ainsi que le constat d’une position antalgique et de la douleur à la toux ou en sautant. Le Heel Drop Test est caractéristique (le patient est debout sur la pointe des pieds) ; la douleur abdominale est alors déclenchée en passant brutalement sur les talons.

La palpation abdominale, débutée en zone non douloureuse, repère une sensibilité ou une défense en fosse iliaque droite (voire une contracture), maximale au point de Mc Burney, une douleur provoquée par la décompression de la fosse iliaque droite (signe de Blumberg) et par la décompression de la fosse iliaque gauche (signe de Rovsing). Ces signes sont cependant inconstants.

Parmi les diagnostics différentiels de l’appendicite aiguë, on trouve la gastro-entérite aiguë, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), la cholécystite aiguë, la torsion du testicule, la grossesse extra-utérine, la salpingite, la torsion ovarienne ou le kyste de l’ovaire, l’endométriose, la pyélonéphrite aiguë, la colique néphrétique et, chez l’enfant, l’adénolymphite mésentérique et l’invagination intestinale aiguë.

L’appendicite est une affection très fréquente dans l’enfance avec une incidence de 7-9 % et un pic de fréquence à 11-12 ans. L’incidence de l’appendicite compliquée (perforation, abcès, plastron, péritonite) est, en revanche, nettement plus élevée chez l’enfant de moins de 6 ans (55-80 %). Une altération du faciès, une migration de la douleur de l’épigastre vers la fosse iliaque droite et une douleur en fosse iliaque droite à l’ébranlement ont une valeur diagnostique significative. L’échographie en pratique pédiatrique a une sensibilité de 88 % et une spécificité de 94 % pour le diagnostic d’appendicite.

EXPLORATIONS COMPLÉMENTAIRES

Le diagnostic de la forme typique d’appendicite aiguë est à la fois clinique, biologique et radiologique (tomodensitométrie, échographie). Les marqueurs biologiques ne sont pas suffisants pour établir le diagnostic d’appendicite aiguë. De plus, aucun score fondé sur le syndrome inflammatoire ne s’est révélé suffisant pour affirmer le diagnostic. Des scores cliniques existent mais sont peu utilisés en routine (Appendicitis Inflammatory Response Score, Alvarado Score).

Parmi les examens paracliniques figurent le dosage de la ß-hCG, la numération de la formule sanguine qui peut mettre en évidence une hyperleucocytose (dans 80 % des cas), la créatininémie, et une bandelette urinaire pour éliminer une éventuelle infection. La protéine C réactive (CRP) est élevée dans la majorité des cas d’appendicite aiguë (> 8 mg/L).

Le scanner est devenu l’examen clé en cas de suspicion d’appendicite aiguë chez l’adulte, afin de repérer un appendice épaissi au-delà de 6 mm, associé à une infiltration de la graisse péri-appendiculaire. Devant l’échographie, l’imagerie couramment utilisée en urgences hospitalières pour le diagnostic d’appendicite aiguë̈ est la tomodensitométrie (TDM) injectée ; l’échographie étant plutôt contributive chez les enfants et les femmes enceintes. Le scanner permet de repérer une appendicite dans 98,5 % des cas et est en mesure de distinguer les appendicites compliquées des autres.

On sait depuis au moins deux décennies que la radiographie abdominale (sans préparation) n’a aucun intérêt dans le diagnostic d’appendicite aiguë.

TRAITEMENT

L’appendicectomie est actuellement le traitement de référence des formes non compliquées et compliquées d’appendicite aiguë̈. Cependant, depuis une dizaine d’années, les études se sont multipliées sur l’intérêt du traitement non opératoire des appendicites aiguës, à savoir l’antibiothérapie.

L’intervention chirurgicale

L’appendicectomie laparoscopique s’est imposée (95 % des interventions, versus 5 % par laparotomie) car elle cumule les avantages : exploration complète de la cavité péritonéale pour un diagnostic précis, d’autant plus important chez la femme en période d’activité génitale, localisation précise de l’appendice en cas de position ectopique ou du cæcum, traitement dans le même temps opératoire, moindre traumatisme pariétal, fréquence moins élevée d’abcès de paroi et réduction de la durée de l’arrêt maladie post-opératoire.

Le taux de complications de l’appendicectomie avoisine 6 %. L’antibiothérapie post-opératoire n’est pas utile si l’appendicectomie aiguë est non compliquée.

Le traitement endoscopique de l’appendicite est un traitement conservateur consistant en la reperméabilisation du canal appendiculaire avec ou sans prothèse. Ce traitement reste pour l’instant à l’étude. Il est contraignant et ne peut être proposé en routine pour l’instant.

Le traitement antibiotique

L’intérêt potentiel du traitement antibiotique en alternative à l’appendicectomie dans les appendicites aiguës non compliquées existe. Aujourd’hui, en France, cette alternative à la chirurgie doit faire partie de la discussion médecin-patient. Néanmoins, si les antibiotiques sont parfois envisagés, cela reste uniquement dans les appendicites débutantes ou des cas très « limites » (événements impondérables). D’après les recommandations 2021 de la Société française de chirurgie digestive et de la Société d’imagerie abdominale et digestive (3), de manière générale, l’antibiothérapie seule n’est pas recommandée en première intention dans l’appendicite aiguë non compliquée et le traitement chirurgical reste la prise en charge de référence. En cas de contre-indication chirurgicale ou d’impossibilité de la chirurgie, l’antibiothérapie intraveineuse seule est « une alternative acceptable » avec un minimum de 24 h de surveillance hospitalière.

La voie orale est recommandée en l’absence de nausées ou vomissements (amoxicilline + acide clavulanique ou, avec précautions d’usage, fluoroquinolone + imidazolé).

EN CHIFFRES

• La probabilité d’appendicite aiguë au cours de la vie est de 9 %, dont 20 % se présenteront avec une forme compliquée (4).

• Dans les années 1980, 300 000 appendicectomies étaient pratiquées en France chaque année, contre environ 80 000 actuellement. Cette diminution s’explique notamment par l’évolution de l’imagerie et son utilisation systématique (scanner, principalement).

• La majorité des cas surviennent chez l’adolescent et le jeune adulte.

• Les enfants de moins de 3 ans et les personnes âgées sont relativement épargnés. C’est cependant chez eux que les formes compliquées sont les plus nombreuses (perforations chez 75 % et 30 % en moyenne, respectivement) et la mortalité plus élevée.

Globalement, le traitement par antibiotiques des appendicites aiguës non compliquées est efficace chez environ deux tiers des patients (2) avec un taux de récidive de 30 % à un an et de 40 % à cinq ans. Il expose cependant à un risque de récidive, qu’il faut expliquer au patient, chez environ un tiers des patients ayant été traités avec succès dans l’année qui suit, avec un pic entre le 3e et le 6e mois (2).

L’efficacité thérapeutique du traitement médical des appendicites aiguës non compliquées définie par le succès du traitement médical sans complications majeures ni récidive à un an varie de 65 % à 75,8 % (5). Dans le groupe traitement médical, le taux d’appendicites compliquées découvertes lors d’une intervention précoce pour échec du traitement médical était de 10,9 %, non significativement différent du groupe appendicectomie d’emblée. Il semble donc possible d’initier un traitement médical d’une appendicite non compliquée sans surrisque de péritonite par rapport au groupe chirurgie d’emblée.

Le traitement par antibiotiques n’est pas recommandé chez l’enfant, ni non plus chez les personnes âgées, les femmes enceintes, ceux présentant un sepsis ou qui sont immunodéprimés.

Les appendicites compliquées (ainsi que la présence d’un stercolithe) ne sont pas de bonnes indications à un traitement médical (2). En effet, la présence d’une masse inflammatoire ou d’une appendicite perforée, même sans sepsis sévère ou diffusion péritonéale, conduit à un taux d’échec de 34 % à 53,6 % avec un taux de complications (abcès) allant jusqu’à 27 % (6) et un taux de récidive jusqu’à 71 % (7).

La durée de l’antibiothérapie est d’environ 10 jours. Le principe est d’initier un traitement antibiotique IV pendant 24 à 72 h associant céfotaxime + tinidazole ou céfotaxime + métronidazole ou amoxicilline + acide clavulanique, suivi d’une réévaluation et de la poursuite de l’antibiothérapie (ofloxacine + tinidazole ou ciprofloxacine + métroni­dazole ou ciprofloxacine + métronidazole ou amoxicilline + acide clavulanique) à domicile par voie orale pendant 7 à 8 jours, pour une durée totale de 10 jours (2).

Le patient est revu en fin de traitement antibiotique pour s’assurer de la résolution complète de la symptomatologie. Un contrôle biologique (NFS, CRP) peut être pratiqué, sans consensus.

La surveillance après appendicectomie porte sur la persistance de la fièvre, la réapparition de la douleur, les signes de phlébite, etc. L’arrêt de travail dépend de la profession du patient : en cas d’activité sédentaire, l’arrêt de travail est de 7 à 10 jours et, en cas de travail physique, il est de l’ordre de 21 à 28 jours. La conduite automobile et le port de charges sont déconseillés pendant une semaine environ après l’appendicectomie. Les activités sportives de fond (natation, jogging, vélo…) peuvent être reprises progressivement vers la fin de la deuxième semaine. Il faut plutôt compter un à deux mois pour les activités physiques intenses.

Hélène Joubert (rédactrice) avec le Pr Philippe Wind (service de chirurgie digestive, cancérologique et bariatrique, groupe hospitalier Paris-SSD, université Paris XIII, hôpital Avicenne, Bobigny)

BIBLIOGRAPHIE
1. HAS. Appendicectomie. Eléments décisionnels pour une indication pertinente. Novembre 2012.
2. Wind P. Appendicite aiguë̈ Antibiotiques ou chirurgie POST’U (2017) ; P 99-105.
3. Collard MK , Christou N, Lakkis Z et al. Appendicite de l’adulte : recommandations pour la pratique clinique de la Société française de chirurgie digestive (SFCD) et de la Société d’imagerie abdominale et digestive (SIAD) ; Journal de chirurgie viscérale Volume 158, Issue 3, June 2021, Pages 263-273.
4. Anderson JE, Bickler SW, Chang DC, Talamini MA. Examining a common disease with unknown etiology: trends in epidemiology and surgical management of appendicitis in California, 1995-2009. World journal of surgery. 2012 Dec;36(12):2787-94.
5. Rollins KE, Varadhan KK, Neal KR, Lobo DN. Antibiotics Versus Appendicectomy for the Treatment of Uncomplicated Acute Appendicitis: An Updated Meta-Analysis of Randomised Controlled Trials. World journal of surgery. 2016 Oct;40(10):2305-18.
6. Nazarey PP, Stylianos S, Velis E, Triana J, Diana-
Zerpa J, Pasaron R, et al. Treatment of suspected acute perforated appendicitis with antibiotics and interval appendectomy. Journal of pediatric surgery. 2014 Mar;49(3):447-50.
7. Deelder JD, Richir MC, Schoorl T, Schreurs WH. How to treat an appendiceal inflammatory mass: operatively or nonoperatively? Journal of gastrointestinal surgery : official journal.


Source : Le Généraliste