Gastro-entérologie

LE BON USAGE DES INHIBITEURS DE LA POMPE À PROTONS

Publié le 14/02/2019
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Les IPP ont révolutionné la prise en charge des maladies liées à l’acide gastrique. Mais 60 % des prescriptions sont hors AMM, selon l'ANSM. Cette classe médicamenteuse souffre d'une mauvaise réputation secondaire à des résultats d'études peu concluantes et mal construites. Revenir aux indications de l'AMM est une nécessité absolue pour préserver leur efficacité.
IPP

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Crédit photo : GASTROLAB/SPL/PHANIE

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ont fait leur apparition en France à la fin des années quatre-vingt. Ils ont révolutionné la prise en charge des maladies liées à l’acide, alors traitées essentiellement par les antagonistes des récepteurs H2, au profil d’efficacité antisécrétoire à court et long termes beaucoup moins favorable, produisant des effets secondaires et responsables d’interactions médicamenteuses plus fréquentes. Les IPP font partie des médicaments les plus prescrits en France : ils occupaient en 2013 le 15e poste en valeur (465 millions d'euros) et le quatrième en volume (104 millions de boîtes).

UNE EFFICACITÉ REMARQUABLE DANS LES INDICATIONS DE L’AMM

Les IPP ont une efficacité remarquable dans toutes les pathologies liées à l’acide.

Les taux de cicatrisation des lésions d’œsophagite peptique et d’ulcère gastroduodénal oscillent entre 80 et 90 % à huit semaines. Dans le RGO symptomatique, les taux de soulagement à 4 semaines sont de l’ordre de 70 à 80 %.

→ Les taux d’éradication de l’infection à Helicobacter pylori avoisinent les 90 % en première intention, avec des protocoles associant un IPP double dose et des antibiotiques et/ou des sels de bismuth.

→ Il faut noter qu’il n’existe pas de différence significative d’efficacité entre les différentes molécules d’IPP, à l’exception de taux de cicatrisation plus élevés avec l’ésoméprazole 40 mg dans l’œsophagite peptique.

→ Les IPP doivent être pris à jeun, 15 à 30 minutes avant un repas, préférentiellement le matin mais possiblement avant le dîner si les symptômes ont une prédominance nocturne.

LE MÉSUSAGE DES IPP TROP FRÉQUENT

Selon l’évaluation faite par la HAS en 2009, 60 % des prescriptions d’IPP seraient hors AMM, principalement en prévention non justifiée des lésions induites par les AINS (cf. les indications validées), la dyspepsie fonctionnelle, et les symptômes ORL supposés être en rapport avec un RGO.

→ Les douleurs épigastriques représentent un motif fréquent de prescription d’IPP. En l’absence de signe d’alarme (dysphagie, vomissements répétés, anémie, amaigrissement) et avant 50 ans, un traitement d’épreuve peut se justifier sur une courte période (4-6 semaines). En cas d’inefficacité, de douleurs récurrentes ou de signes d’alarme, l’endoscopie est indispensable pour éliminer une pathologie grave (ulcère compliqué, cancer, lymphome…). Le plus souvent, les douleurs sont en rapport avec une dyspepsie fonctionnelle, situation dans laquelle les IPP sont très inconstamment efficaces (moins de 50 % de répondeurs, à peine 10-15 % d’efficacité supérieure au placebo). Il faut donc éviter des prescriptions prolongées le plus souvent inutiles, ou déterminer avec le patient la dose minimale efficace, si possible en privilégiant les traitements de courte durée.

→ Les symptômes ORL sont fréquemment mis sur le compte d’un RGO et sont donc à l’origine de prescriptions d’IPP le plus souvent à fortes doses pour des périodes très prolongées. Quelques faits simples méritent d’être rappelés : les lésions inflammatoires décrites en laryngoscopie n’ont aucune spécificité (elles sont retrouvées chez 80 % des sujets totalement asymptomatiques) en l’absence de signe typique de RGO (pyrosis et régurgitations), si les IPP sont inefficaces, la probabilité que les symptômes soient en rapport avec un RGO est très faible, voire nulle. La réponse aux IPP ne constitue en aucun cas une preuve de la responsabilité du RGO, les taux de réponse aux IPP étant strictement superposables à ceux du placebo dans les essais contrôlés. En l’absence de signe d’alarme, un traitement d’épreuve peut se concevoir mais devra être interrompu après deux ou trois mois en cas d’inefficacité.

Les indications des IPP validées par une AMM

• Traitement et prévention des ulcères gastriques et duodénaux associés ou non à la prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
• Prévention des ulcères gastriques et duodénaux associés aux AINS chez les patients à risque (âge > 65 ans, antécédent d’ulcère gastroduodénal compliqué ou non, co-prescription d’aspirine, d’antiagrégants plaquettaires, de corticoïdes ou d’anticoagulants)
• Éradication d’Helicobacter pylori dans la maladie ulcéreuse gastroduodénale
• Traitement d’attaque et d’entretien de l'œsophagite par reflux
• Traitement du reflux gastro-œsophagien (RGO) symptomatique
• Traitement du syndrome de Zollinger-Ellison

UNE TOLÉRANCE EXCELLENTE

Les IPP conjuguent leur très bonne efficacité à une excellente tolérance.

→ Les effets secondaires les plus fréquents sont les céphalées et la diarrhée, présentes chez moins de 5 % des patients. Ces effets secondaires sont faciles à contourner en changeant de molécule.

→ D’autres effets secondaires peuvent être rapportés – beaucoup plus rarement – : réactions allergiques (rash cutané), élévation des transaminases, nausées, vomissements, douleurs épigastriques…

→ La question d’un effet “rebond” d’hypersécrétion acide à l’arrêt du traitement est fréquemment posée. Cet effet existe sur le plan pharmacologique, persiste quelques jours (pas plus) après l’arrêt d’un traitement prolongé, mais est exceptionnellement responsable de symptômes. On peut néanmoins conseiller un arrêt progressif des IPP sur quelques jours après un traitement de plusieurs semaines.

Il faut rappeler également que les traitements à la demande (en fonction des symptômes) à simple ou demi-dose ont été validés par de nombreuses études dans le reflux gastro-œsophagien non compliqué, cette modalité de prescription permettant d’éviter une exposition continue aux IPP et un éventuel effet rebond.

LA SÉCURITÉ D’EMPLOI DES IPP À LONG TERME REMISE EN QUESTION

Depuis quelques années, les études fleurissent dans la littérature scientifique pour décrire les effets secondaires potentiels des IPP sur le long terme. Ces études font les choux gras de la presse “grand public” et des sites internet qui vont jusqu’à dénoncer « les médecins qui prescrivent sans scrupule » ces traitements « mettant en jeu la vie des patients » (sic).

→ Les principales pathologies susceptibles d’être induites par les IPP sont les suivantes : ostéopénie et risque fracturaire (par diminution de l’absorption du calcium), infections digestives (impact sur le microbiote intestinal) et pneumopathies communautaires (pullulation microbienne gastrique), hypomagnésémie, carences en fer, vitamine B12 et calcium (inhibition de l’absorption intestinale), augmentation du risque cardiovasculaire (interactions avec clopidogrel, effets métaboliques), insuffisance rénale, démence (mécanismes ?).

→ Toutefois, l’analyse critique de cette littérature montre que la plupart de ces effets secondaires potentiels ne sont pas établis, pour de nombreuses raisons : études observationnelles rétrospectives, nombreux biais non pris en compte (facteurs confondants, comorbidités), design des études non approprié, résultats non reproductibles (absence de cohérence), odds ratio faibles bien que parfois statistiquement significatifs. Enfin, rappelons qu’association ne signifie pas causalité. L’exemple des accidents cardiovasculaires illustre les biais potentiels : les patients à risque CV sont aussi à risque de RGO (du fait de la surcharge pondérale, de l’obésité abdominale) et il n’est donc pas surprenant de constater plus d’accidents chez des patients qui prennent des IPP…

→ Les seules conséquences qui peuvent être raisonnablement attribuables à la prise prolongée d’IPP sont l’hypomagnésémie (patients sous diurétiques, insuffisants rénaux ou traités par inhibiteurs de calcineurine) et l’augmentation du risque de colite infectieuse, particulièrement chez les personnes fragiles hospitalisées.

LA BALANCE BÉNÉFICE-RISQUE

Lorsqu’un médecin prescrit un traitement quel qu’il soit, il doit avoir à l’esprit le bénéfice qu’il peut attendre de ce traitement et les risques qu’il fait courir à son patient. Déterminer la “balance bénéfice-risque” fait partie intégrante du raisonnement médical et des stratégies thérapeutiques. Les IPP étant très efficaces et particulièrement bien tolérés, les prescripteurs les ont longtemps considérés comme inoffensifs. Aujourd’hui, la tendance est de les “diaboliser” alors que très peu des effets secondaires dont on les accuse sont réellement avérés. Il est très difficile de démontrer que l’exposition à un traitement a des effets à long terme, mais ce n’est pas parce que ces risques ne sont pas avérés qu’ils n’existent pas.

→ Prenons l’exemple des manifestations ORL potentiellement en rapport avec un RGO : prescrire pendant des années des IPP double dose à un patient qui n’en a pas besoin n’est pas acceptable, car le bénéfice est nul et l'absence de risque non démontrée formellement.

→ Inversement, un patient souffrant de RGO compliqué d’œsophagite tire un grand bénéfice d’un traitement quotidien par IPP, largement supérieur aux risques potentiels et non démontrés auxquels il est exposé. L’alternative à ce traitement par IPP au long cours est la fundoplicature chirurgicale dont les risques et effets secondaires sont bien connus : mortalité évaluée à 0,05 - 0,1 %, 5 - 10 % de dysphagie, syndrome post-fundoplicature dans 30 % des cas, etc. Il est évident que le rapport bénéfice-risque est moins favorable que pour les IPP. Cela n'exclut pas totalement de proposer cette intervention.

CONCLUSION

Les IPP sont très efficaces et d’une grande sécurité d’emploi. La “diabolisation” de ces traitements parmi les plus prescrits en France et dans le monde peut avoir des conséquences néfastes pour la prise en charge des pathologies liées à l’acide, principalement le RGO compliqué ou non.

Il convient toutefois d’attirer l’attention des médecins (et des patients) sur les risques potentiels des IPP et de les pousser à s’interroger sur le bien-fondé de leur prescription. Même si ceux-ci ne sont pour la plupart pas avérés, cela ne signifie en rien qu’ils n’existent pas.

À retenir, 5 règles simples

Lutter contre le mésusage des IPP
• Respecter les indications de l’AMM
Éviter toute prescription prolongée non justifiée
• Déterminer avec le patient la dose minimale efficace
• Privilégier si possible les traitements intermittents ou à la demande

Bibliographie

1- Réévaluation des inhibiteurs de la pompe à protons chez l’adulte. HAS 2009. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_778938/fr/reevaluation-des-inhi…

2- Vaezi MF, Katzka D, Zerbib F. Extraesophageal Symptoms and Diseases Attributed to GERD: Where is the Pendulum Swinging Now? Clin Gastroenterol Hepatol. 2018 Jul;16(7):1018-1029.

3- Savarino V, Dulbecco P, Savarino E. Are proton pump inhibitors really so dangerous? Dig Liver Dis. 2016 Aug;48(8):851-9.

4- Vaezi MF, Yang YX, Howden CW. Complications of Proton Pump Inhibitor Therapy. Gastroenterology. 2017 Jul;153(1):35-48.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.


Pr Frank Zerbib (service d'hépato-gastro-entérologie et d'oncologie digestive. CHU de Bordeaux, hôpital Haut-Lévêque, centre médico-chirurgical Magellan).

Source : lequotidiendumedecin.fr