Métabolisme

LE SUIVI POST-CHIRURGIE BARIATRIQUE

Publié le 27/04/2017
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Alors que la chirurgie bariatrique connaît un succès croissant, de nombreux patients ne bénéficient pas ou insuffisamment de suivi post-opératoire. Pourtant le risque de carences nutritionnelles est fréquent avec, parfois, de graves conséquences.
chirurgie bariatrique

chirurgie bariatrique
Crédit photo : Phanie

La chirurgie bariatrique connaît un véritable essor. En 2016, près de 500 000 patients auront été opérés en France, au rythme actuel de plus de 40 000/an. C’est le taux le plus élevé en Europe, alors que la prévalence de l'obésité (près de 16 % de la population) est inférieure à celle observée au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne ou en Italie (1, 3). « Le nombre de chirurgies bariatriques continue de croître du fait de son efficacité sur l’obésité sévère et sur la réduction des fréquentes comorbidités, relève le Pr Czernichow. Cette chirurgie trouve d’autant plus sa place qu’il n’y a pas ou peu de traitements médicamenteux disponibles dans l’obésité et que la prise en charge médicale classique fondée sur la diététique et l’activité physique montre des résultats décevants pour une majorité de patients en situation d’obésité sévère. » Actuellement, environ 82 % des opérés sont des femmes avec un âge moyen de 39 ans. 70 % des patients pris en charge en 2013 avaient un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40 kg/m², 26 % présentaient une hypertension artérielle, 11 % un diabète de type 2 et 10 % une comorbidité respiratoire (2).

UNE CHIRURGIE EFFICACE MAIS NON DÉNUÉE DE RISQUES

Si la perte de poids est en moyenne très importante et qu’elle s’accompagne d’améliorations spectaculaires pour la qualité de vie et la santé des patients (réduction ou arrêt des traitements antidiabétiques, des antihypertenseurs, des hypolipémiants, de la PPC pour les apnées du sommeil, soulagement des articulations, réduction de l’infertilité, amélioration des NASH, diminution des cancers hormonaux chez la femme et des cancers digestifs…), les effets secondaires sont nombreux et parfois importants, psychologiques, chirurgicaux, et notamment nutritionnels.

Pour rappel, trois types d’interventions sont essentiellement pratiqués, toutes par laparoscopie. Leur mécanisme d’action diffère, elles sont soit restrictives par réduction gastrique (anneau gastrique ajustable), soit mixtes, associant restriction malabsorption et effet hormonal satiétogène (court-circuit ou by-pass gastrique en Y [BPG]) et sleeve gastrectomy ou gastrectomie longitudinale [LSG] la plus pratiquée actuellement.

► Ces interventions sont à l’origine de déficits, voire de carences nutritionnelles de fréquence et d’intensité variable dont les principales origines sont :

– un déficit d’apport alimentaire par diminution des ingesta, déstructuration de l’alimentation et intolérance possible à certains aliments (fibres, protéines) ;

– un défaut d’assimilation par moindre sécrétion d’acide gastrique et perte des fonctions mécaniques de l’estomac, diminution du facteur intrinsèque ;

– une asynergie entre l’arrivée du bol alimentaire et des sécrétions biliopancréatiques ;

– une malabsorption duodénojéjunale.

LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE DE PLUS EN PLUS IMPLIQUÉ

Pour que l'opération soit efficace sur le long terme, que les patients conservent un poids stable et soient en bonne santé, il leur faut être accompagnés par une équipe pluridisciplinaire, et ce tout au long de leur vie. Compte tenu du nombre élevé et croissant d’interventions, fournir un suivi à long terme de bonne qualité pour tous constitue un défi majeur.

► Idéalement, le suivi au sein des 37 Centres multidisciplinaires spécialisés en obésité (CSO) (4) permet aux patients une prise en charge globale avec notamment des consultations diététiques, d’activité physique et psychologique assurées par la structure elle-même. Malheureusement, on observe qu'une partie importante de patients abandonnent leur suivi et sont perdus de vue. Par ailleurs, ces centres multidisciplinaires parviennent de plus en plus difficilement à faire face à l’augmentation
exponentielle de patients opérés à suivre au très long cours. Enfin, environ 400 établissements pratiquent ces interventions, certains ont peu de patients opérés et insuffisamment structurés pour assurer le suivi.

► L'analyse des données de la Cnamts montre une insuffisance du suivi médical recommandé par la Haute Autorité de santé tout au long de la vie. Cinq ans après l'intervention, quel que soit le type d'opération réalisé, moins d’un quart des patients affichent une qualité de suivi évaluée comme « bonne », et cette qualité de suivi est même évaluée comme « mauvaise » pour 38 %. Le médecin généraliste, qui, lui, continue habituellement à voir son patient, est ainsi amené à s’impliquer dans le suivi postchirurgie bariatrique dont les modalités ont fait l'objet de recommandations en 2009 (5). Mais des informations claires sur la stratégie de prise en charge de ces patients lui font encore défaut (11).

ORGANISER LE SUIVI APRÈS L’INTERVENTION

Le suivi commence par l’éducation des patients obèses en amont de l’intervention, l’obésité est une maladie chronique qui n’est pas résolue par la chirurgie même si l’intervention représente une aide considérable. Or, trop souvent, après chirurgie, le patient - et parfois le médecin lui-même - a tendance à se considérer comme guéri puisqu’il a perdu du poids et que les complications sont améliorées ou ont disparu. L’accompagnement des patients vise aussi à favoriser leur compliance à la stratégie de surveillance biologique et à la supplémentation.

► Le rythme des consultations. Après l’intervention chirurgicale sont prévues quatre consultations (1, 3, 6, 12 mois) la première année, deux la deuxième année, puis une à deux par an en l’absence de complications, ces dernières pouvant être assurées par un médecin généraliste.

► Que surveiller ? La surveillance porte sur le poids, les carences, les supplémentations, la prise en charge des dysfonctionnements chirurgicaux ou complications, la poursuite d’un soutien psychologique et sportif à la demande. La périodicité de cette surveillance sera organisée en fonction du patient. Un bilan biologique doit être prescrit à chaque consultation (voir encadré E1).

► Le traitement des comorbidités doit être adapté très rapidement, en particulier le diabète et l’HTA, avec une vigilance particulière chez les diabétiques afin d’éviter les risques d’hypoglycémies. Le patient sera revu régulièrement pour ajuster les doses d’insuline et arrêter en priorité les antidiabétiques à action hypoglycémiante, adapter les doses d’antihypertenseurs et des éventuelles autres thérapeutiques (médicamenteuses, PPC, etc.).

► Attention au choix de la contraception. En effet l’absorption des contraceptifs oraux chez les patientes opérées est pour l'instant mal connue.

► En cas de désir de grossesse, celle-ci nécessite un suivi spécialisé et sera programmée après vérification de l'absence de carences vitaminiques ou en oligo-éléments, afin de prévenir un risque malformatif. La HAS conseille de ne pas entreprendre de grossesse avant 12 à 18 mois après la chirurgie.

► Il existe des difficultés inhérentes à ce suivi :

 financières : de nombreux actes et traitements restent à la charge du patient, tels que certains dosages vitaminiques, la prise quotidienne de multivitamines. Les consultations de suivi avec diététicien, psychologue, éducateur médico-sportif ne sont actuellement pas remboursées. Les supplémentations à elles seules peuvent atteindre un coût de 15 euros par mois.

– psychologiques : l’intrication de la composante psychique est importante (modification de l’image du corps, reprise de poids mal vécue, dépressions, attente avant la chirurgie réparatrice). Il serait plus que souhaitable que la Sécurité sociale prenne en charge plusieurs consultations de suivi psychologique. « En réalité, il faudrait définir un véritable parcours de soins bariatrique, à la fois pré et postopératoire, qui serait pris en charge par l’assurance maladie », souhaite le Pr Czernichow.– Généralement, les personnes obèses recourent peu aux soins, et la précarité souvent associée constitue un facteur aggravant (9).
 

E1. LA  SURVEILLANCE BIOLOGIQUE SYSTÉMATIQUE

La recherche biologique des carences nutritionnelles doit être réalisée de façon systématique en postopératoire au moins quatre fois la première année, puis au moins une fois par an, par la suite, à vie.

• Le bilan inclut :

– NFS, plaquettes, TP
– Ionogramme, urée, créatininémie.
– Ferritine, coefficient de saturation de la transferrine.
– Calcémie, phosphorémie.
– Albuminémie.
– 25 OH Vitamine D et PTH.
– Folates érythrocytaires.
- Vitamine B12.
- Vitamine B1.
- Cuivre et zinc
en cas de point
d’appel (anémie d’étiologie mal comprise pour le cuivre, troubles des phanères pour le zinc).

COMPLICATIONS CHIRURGICALES

Des vomissements répétés, une douleur abdominale, une fréquence cardiaque au-dessus de 120/min, l’apparition d’une dysphagie imposent une hospitalisation dans un service spécialisé.

► Les douleurs abdominales sont un signe d’alerte de certaines complications chirurgicales nécessitant une prise en charge rapide, comme l’occlusion intestinale, la hernie interne (BPG) ou la cholécystite.

► Les malaises après chirurgie gastrique ou « dumping syndrome » sont fréquents, en particulier après by-pass gastrique. Ils sont liés à l’arrivée brutale d’une solution nutritive trop concentrée dans l’intestin grêle, provoquant un appel d’eau dans la cavité intestinale, une augmentation de la circulation sanguine de l’intestin, et par conséquent une diminution du volume du sang dans la circulation générale. On distingue le dumping syndrome typique, qui survient rapidement après la chirurgie et dans les 15 à 30 minutes, et le dumping tardif, souvent un an après la chirurgie et qui arrive plus d’une heure après la prise alimentaire. La mise en place de mesures diététiques (fractionnement des repas, aliments à faible index glycémique) est nécessaire mais pas toujours suffisante et requiert un avis spécialisé. Il ne faudra pas négliger des causes médicales méconnues classiques (médicamenteuses, neurologiques, cardiaques).

COMPLICATIONS NUTRITIONNELLES

La chirurgie de l’obésité peut entraîner des carences en vitamines et en oligo-éléments : vitamines A, D, E, B1, B6, B9, B12, calcium, fer, zinc, sélénium, magnésium et cuivre essentiellement (5).

Le risque de dénutrition est associé au type de chirurgie et à l’importance de la perte de poids, mais même les chirurgies restrictives peuvent se compliquer de carences nutritionnelles en raison de la restriction calorique, ou de l’éviction de certains aliments mal tolérés ou évidemment de vomissements répétés (7).
C'est principalement dans ce domaine nutritionnel que le bât blesse, le recours à la supplémentation (multivitamines, calcium, vitamine D, fer et vitamine B12) reste insuffisant, même lorsqu'il est remboursé.

Plusieurs pièges existent :

– des carences nutritionnelles préexistent souvent chez les obèses avant toute chirurgie bariatrique. Environ un tiers (30-35 %) présente une carence martiale, 25 % une carence en folates, 15 % une carence en vitamine B1 ou B12, et jusqu'à 70 % une carence une vitamine D ; carences à corriger avant l‘intervention (10) ;

– les signes de carences peuvent être trompeurs chez le sujet obèse, et celles-ci peuvent être progressives et ne pas être ressenties ;

– les patients minimisent les signes et le médecin ne pense pas forcément à les interroger car les bons résultats de la perte de poids sont au premier plan ;

– des complications peuvent apparaître à distance de la chirurgie (5 à 10 ans après).

Carence en vitamine B1

Elle est rare, mais c’est la plus redoutable, potentiellement responsable de troubles neurologiques graves et irréversibles pouvant conduire à l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke (5). Le risque est très élevé dans les premières semaines qui suivent la chirurgie. Il faut la suspecter devant des vomissements répétés, des manifestations neurologiques diverses (paresthésies, troubles oculomoteurs, troubles de la motricité, troubles cognitifs). Il s’agit d’une urgence médicale, et aucun examen complémentaire ne doit retarder le traitement par supplémentation intraveineuse de vitamine B1 (500 mg 3 fois/jour pendant 3 jours suivi d’une décroissance progressive à 250 mg pendant 5 jours puis un relais par voie orale). Tout apport intraveineux concomitant de sérum glucosé est proscrit car il aggrave la carence.

Carence en fer

Très fréquente, elle est liée à une carence d’apport, d’autant plus à craindre qu’une perte d’appétence pour la viande rouge est habituelle, de même qu'une malabsorption. Pour la dépister, il faut associer à la NFS et au dosage de ferritine un coefficient de saturation de la transferrine qui doit rester > 20 %, la ferritine étant souvent perturbée par l’inflammation chronique. Une fois installée, cette carence est difficile à traiter ; la supplémentation orale pouvant atteindre 160 mg par jour est souvent en échec compte tenu de l’inflammation subclinique chronique chez les patients obèses et de l’activation de la synthèse d’hepcidine par le foie. La forme IV répétée est souvent nécessaire.

Carence en vitamine B12

Plus tardive, en général deux à trois ans après la chirurgie, en raison des réserves hépatiques importantes en vitamine B12, cette carence peut entraîner une anémie macrocytaire, une polyneuropathie périphérique. Une supplémentation orale systématique est nécessaire. Les recommandations anglaises et américaines recommandent un apport systématique. Plusieurs Centres proposent une supplémentation à 1 000 microgrammes systématique toutes les semaines ou en bimensuel.

Carence en vitamine B9

La supplémentation en B9 est couverte par le comprimé de multivitamines. En cas de désir de grossesse, il est conseillé de prescrire 5 mg/jour d’acide folique.

Carence en vitamine D

Après une chirurgie bariatrique, les apports en calcium sont en général maintenus, les produits lactés étant privilégiés, mais, en cas de BPG surtout, la malabsorption peut être responsable d’une baisse de la vitamine D. Cette carence peut induire une hyperparathyroïdie secondaire contribuant à une diminution du capital osseux et à un risque d’ostéoporose et justifie une surveillance de la calcémie, de la vitamine D et de la PTH.

Carence en zinc

Fréquente après l'intervention, elle est en partie responsable des troubles des phanères avec chute des cheveux, surtout la première année qui suit. La supplémentation à raison de 15 mg/j est assurée par les polyvitamines données dès l’intervention.

Dénutrition protéique

Cette dénutrition est essentiellement liée à une carence d’apport parfois associée à des aversions alimentaires (certaines viandes fibreuses, notamment) et à la fonte musculaire liée à la perte de poids massive après chirurgie. Il faut garder à l’esprit que les apports énergétiques totaux sont fortement diminués et qu’il sera difficile de maintenir des apports protéiques suffisants même en cas d’apports diversifiés. En cas d’insuffisance d’apports avec hypoalbuminémie biologique, des compléments nutritionnels oraux protéiques peuvent être proposés après échec des mesures diététiques (enrichissement en protéines de lait/viandes mixées/poissons/œufs puis supplémentation par poudre de protéines).

Toujours substituer en multivitamines

Afin de limiter l’apparition d’une carence, une supplémentation vitaminique préventive est donnée à vie pour toute chirurgie de l’obésité. En pratique, sont prescrits systématiquement une supplémentation en multivitamines, du fer, du calcium et de la vitamine D3 et, suivant les situations, des apports protéiques ou d’autres vitamines ou minéraux. Le coût de ces compléments peut varier fortement suivant les pharmacies. Les multivitamines ne sont pas remboursées. En revanche, les autres supplémentations le sont. Les doses de supplémentation systématique et traitement des carences après chirurgie bariatrique sont résumées dans le tableau 1.

 

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Bibliographie

1- Czernichow, S, Paita, M, Nocca, D, Msika S, Basdevant A et al. Current challenges in providing bariatric surgery in France. A nationwide study. Medecine 2016 ; 96 : 49
2- C Schaaf, A Iannelli, J Gugenheim. E État actuel de la chirurgie bariatrique en France, e-mémoires de l'Académie nationale de chirurgie, 2015, 14 (2) : 104-
3- Borisenko O, Colpan Z, Dillemans B et al. Clinical indications, utilization, and funding of bariatric surgery in Europe. Obes Surg 2015 ; 25 : 1 408–16.
4- Liste des centres spécialisés et intégrés. http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_obesite_-_liste_des_centres_sp…
5- HAS. Synthèse des recommandations de bonne pratique. Obésité, prise en charge chirurgicale chez l’adulte [en ligne]. 2009. http://www.has-sante.fr.
6- Puzziferri N. Long-term Follow-up After Bariatric Surgery. A Systematic Review. JAMA 2014 ; 312 : 934 - 942.
7- C. Poitou Bernert, C. Ciangura, M. Coupaye, S. Czernichow, J.L. Bouillot, A. Basdevant. Nutritional deficiency after gastric bypass : diagnosis, prevention and treatment. Diabetes & amp ; Metabolism 2006 Vol 33, N° 1 - février 2007 : 13-24
8- Czernichow S, Ciangura C, Poitou C. Obesité et carences nutritionnelles après chirurgie bariatrique. CNGOF XXXI. 2007 : 153-69
9- Académie nationale de chirurgie. Résolutions mai 2015 « Suivi du patient après chirurgie bariatrique » [en ligne]. Paris. http://www.academie-chirurgie.fr/
10- Quillot D., Reibel N, Sirveaux MA, Didier Quilliot, Witkowski P, Ziegler O, Brunaud L. Prévention et traitement des carences en vitamines, minéraux et oligo-éléments après chirurgie de l’obésité. La Lettre l’Hép-gastro 2010 Vol. XIII – 149-54
11- P. Rivet, H. Verkindt, M. Pigeyre, M. Romon, F. Pattou. Étude des freins et des attentes des médecins généralistes dans le suivi des patients après chirurgie bariatrique. Nutrition clinique et métabolisme. 2014 ; S67
S240 : p144.

 

Dr Catherine Freydt (généraliste à Chatou) sous la direction scientifique du Pr Sébastien Czernichow (chef du Service de Nutrition, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris).

Source : Le Généraliste: 2795