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L'épaule douloureuse : conduite diagnostique et prise en charge

Publié le 01/12/2023
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Afin d’optimiser les pratiques, la Haute Autorité de santé a publié en septembre des recommandations sur la conduite diagnostique face à une épaule douloureuse non traumatique et sur la prise en charge en cas de tendinopathies de la coiffe des rotateurs. L’accent est mis sur l’importance de la clinique dans la démarche diagnostique, la place de la radiographie standard en première intention et l’absence d’indication chirurgicale pour les tendinopathies non rompues.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

INTRODUCTION

Les douleurs d’épaule sont fréquentes et à l’origine de nombreuses consultations en soins primaires. Hors traumatismes, elles sont le plus souvent liées à une atteinte de la coiffe des rotateurs (tendinopathie, rupture…).

Alors que la prise en charge de ces pathologies reste sous-optimale, avec notamment un recours trop fréquent à la chirurgie, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié en septembre 2023 une recommandation qui détaille les diagnostics à évoquer devant un patient présentant une douleur de l’épaule, la place de l’imagerie, et les traitements à mettre en œuvre en cas de tendinopathie non calcifiante de la coiffe des rotateurs.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Avec une prévalence en population générale variant de 6,9 % à 26 % dans les cohortes internationales, les douleurs d’épaules sont un problème fréquent. Elles constituent le troisième motif de consultation en médecine générale pour douleurs musculosquelettiques, après les lombalgies et les gonalgies.

L’atteinte de la coiffe des rotateurs représente environ 70 % des douleurs d’épaule, avec une prévalence qui augmente avec l’âge, touchant 2,8 % des plus de 30 ans, 31 % des adultes entre 60 et 69 ans et 65 % des adultes de plus de 80 ans ( ). 

LES DIAGNOSTICS À ÉVOQUER

Devant une épaule douloureuse, en dehors des pathologies de la coiffe des rotateurs, différents diagnostics peuvent être évoqués : autre pathologie mécanique (arthrose), origine infectieuse, tumorale, rhumatismale (rhumatisme inflammatoire ou microcristallin) ou douleurs projetées.

Un examen clinique complet est indispensable pour orienter le diagnostic. Il comprend un interrogatoire précisant les circonstances de survenue de la douleur, l’inspection à la recherche d’une amyotrophie, la palpation bilatérale des articulations acromio-claviculaires et sterno-claviculaires, et l’évaluation des amplitudes articulaires.

Un examen neurologique de l’épaule et des membres supérieurs (dont un testing musculaire) et un examen du rachis cervical sont aussi préconisés.

L’étude des amplitudes articulaires lors de la mobilisation active et passive doit être systématique, bilatérale et comparative. Les amplitudes à évaluer sont la flexion (élévation antérieure - valeur physiologique 170°-180°), l’abduction dans le plan de la scapula (oblique à 30° en avant du plan frontal - valeur physiologique 170°-180°), la rotation latérale coude au corps (valeur physiologique variable, comparer les deux côtés du patient), la rotation médiale main dans le dos (valeur physiologique variable, comparer les deux côtés du patient mais différences physiologiques selon la latéralité).

En l’absence d’atteinte neurologique, l’association d’une mobilité passive complète et d’une mobilité active déficitaire oriente vers une rupture d’un ou plusieurs tendons de la coiffe des rotateurs. La présence d’une raideur articulaire, en particulier en rotation latérale et en abduction, est évocatrice d’une capsulite ou d’une arthropathie gléno-humérale.

Sur une épaule non enraidie, certaines manœuvres spécifiques peuvent orienter vers un syndrome douloureux subacromial (arc douloureux, test de Neer, test de Hawkins, test de Yocum) ou aider à préciser la localisation lésionnelle (test de Jobe, test de Patte, pal-up test) mais avec une valeur diagnostique variable (généralement faible). Il est donc recommandé de ne pas utiliser ces tests isolément mais en association.

Les hypothèses diagnostiques varient en fonction du contexte clinique mais aussi de la durée d’évolution des symptômes :

   > Douleur d’épaule récente

Devant une douleur d’épaule aiguë évoluant depuis moins de 6 semaines, quatre 4 diagnostics sont à évoquer : poussée douloureuse aiguë sur tendinobursite dégénérative de la coiffe des rotateurs (contexte de gestes répétitifs) ; épaule aiguë hyperalgique avec calcification en crise de résorption (douleur intense et brutale sans facteur déclenchant, mobilisations actives et passives quasi impossibles du fait de la douleur, attitude de traumatisé du membre supérieur) ; arthrite/bursite secondaire à une poussée aiguë de rhumatisme inflammatoire chronique ou de rhumatisme microcristallin (épaule douloureuse avec dérouillage matinal prolongé, contexte de rhumatisme inflammatoire chronique ou pathologie microcristalline connu) ; syndrome de Parsonage Turner (douleur intense et brutale de l’épaule, suivie d’une amyotrophie musculaire de la ceinture scapulaire et du membre supérieur) 

En contexte aigu, il est également indispensable de rechercher par l’examen clinique les diagnostics urgents : pathologie cardiovasculaire (syndrome coronarien aigu, cardiopathie ischémique, péricardite, dissection aortique…) ; embolie pulmonaire, pleurésie, pneumopathie, pneumothorax ; tumeur de l’apex pulmonaire ; arthrite septique. 

   > Épaule douloureuse persistante

Les pathologies d’épaule initialement aiguës décrites ci-dessus peuvent se prolonger. Cependant, face à une douleur d’épaule non traumatique évoluant depuis plus de 4 à 6 semaines, d’autres diagnostics sont à évoquer, selon le tableau clinique présenté par le patient (voir tableau ci-dessous).

Les pathologies de la coiffe des rotateurs au sens large (ou syndrome douloureux subacromial : bursopathie, tendinopathie et rupture dégénérative des tendons de la coiffe des rotateurs, tendinopathie du long biceps et tendinopathies calcifiantes) sont les causes de douleurs persistantes de l’épaule les plus fréquentes. Plusieurs arguments font évoquer ce diagnostic :

‒ douleur localisée dans la grande majorité des cas en regard du moignon de l’épaule et pouvant irradier dans le bras (les douleurs localisées en regard de la scapula sont davantage en faveur d’une origine rachidienne) ;

‒ absence d’enraidissement (une épaule douloureuse non enraidie est une épaule où les amplitudes lors de la mobilisation passive sont conservées). Néanmoins, chez les patients les plus douloureux, une diminution modérée d’amplitude passive globale peut être observée ;

‒ tests cliniques en faveur d’un syndrome douloureux subacromial.

Par ailleurs, le syndrome douloureux subacromial peut être responsable de réveils nocturnes positionnels en décubitus. Des pathologies cervicales sont souvent associées.

À noter que les lésions dégénératives de la coiffe des rotateurs n’ont pas toujours d’expression clinique.

QUAND PRESCRIRE UNE IMAGERIE ?

Les recommandations de la HAS précisent la place de l’imagerie en cas d’épaule douloureuse non traumatique, non hyperalgique faisant évoquer une pathologie de la coiffe des rotateurs.

Devant une épaule douloureuse non traumatique, en l’absence d’élément évocateur d’une pathologie sévère à l’examen clinique, la prescription d'imagerie ne doit être envisagée qu’en cas symptômes persistants au-delà de 4 à 6 semaines (avec ou sans traitement), une part importante des douleurs d’épaule évoluant favorablement dans ce laps de temps.

À noter qu’il n’y a pas de corrélation radio-clinique absolue dans les pathologies de la coiffe des rotateurs. L’examen clinique est donc primordial et doit être concordant à l’imagerie pour retenir un diagnostic.

   > Les radiographies standards

Après 4 à 6 semaines d’évolution, des radiographies standards de l’épaule sont recommandées en première intention. Elles permettent de rechercher des calcifications et d’éliminer certains diagnostics différentiels d’une pathologie de la coiffe des rotateurs (omarthrose, ostéonécrose, tumeurs, fractures, luxation).

Des clichés de l’épaule symptomatique de face en rotation neutre, interne et externe ainsi qu’un faux profil de Lamy sont préconisés. En l’absence de données sur l’intérêt de la bilatéralité systématique et compte tenu du surcoût financier et en termes d’irradiation du patient, les radiographies de l’épaule controlatérale ne sont pas préconisées de principe mais uniquement « si besoin ».

En l’absence de nouvel évènement clinique, il n’y a pas d’indication à les renouveler.

   > Échographie et IRM

Échographie et/ou IRM ne doivent être réalisées que si un bilan radiographique a été fait au préalable. Leur prescription sera décidée selon la réévaluation clinique.

En cas d’échec d’un traitement associant kinésithérapie et infiltration, une échographie de l’épaule effectuée par un opérateur expérimenté, peut être prescrite pour préciser le diagnostic lésionnel (rupture transfixiante, superficielle ou profonde, bursite, calcification active et de localisation inhabituelle, pathologie du tendon du long biceps et de son environnement, arthropathie acromio-claviculaire ou autre pathologie intra-articulaire) et adapter la prise en charge.

Si l’échographie est un examen performant facilement accessible et peu coûteux qui permet de confirmer le diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs (avec une sensibilité et une spécificité de 95 %), le groupe de travail ne lui accorde aucune place en première intention, considérant qu’à ce stade, elle ne modifiera pas la prise en charge. Selon une étude néerlandaise, la réalisation précoce d’une échographie pourrait même avoir un rôle délétère en mettant en évidence des anomalies anatomiques que le patient incriminerait à tort dans la survenue de ses douleurs.

Une IRM peut être prescrite si les symptômes du patient ne sont pas expliqués par l’échographie ou en cas de forte suspicion de rupture tendineuse. Elle permet de chercher une rupture transfixiante de la coiffe des rotateurs, d'évaluer son extension et la trophicité musculaire. Par ailleurs, en l’absence d’échographiste expérimenté, le groupe de travail considère qu’il est préférable de prescrire une IRM.

   > Scanner, arthroscanner et arthroIRM

L’indication d’un arthroscanner ou d’une arthroIRM de l’épaule est posée en cas de doute diagnostique à l’IRM, de dissociation radioclinique ou d’indication opératoire. 

Le scanner sans arthrographie n’a pas d’intérêt sauf en complément d’une IRM montrant une lésion tumorale suspecte, une calcification, ou une lésion osseuse post-traumatique notamment.

La prescription de ces examens relève du spécialiste.

TRAITEMENT DES TENDINOPATHIES DE LA COIFFE DES ROTATEURS 

Le traitement de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs non traumatique, non calcifiante est essentiellement médico-fonctionnel.

Le recours à un spécialiste de l’épaule (rhumatologue, médecin de médecine physique et de réadaptation, médecin du sport ou chirurgien orthopédique) est utile en l’absence d’évolution favorable.

   > Le traitement médicamenteux

Le traitement pharmacologique repose sur les antalgiques, les AINS et l’infiltration de dérivés cortisonés

En première intention et selon l’intensité de la douleur, les antalgiques (paracétamol, associé ou non aux antalgiques de palier 2) sont conseillés. Des consignes de précaution ont été notifiées dans les recommandations pour les sujets de plus de 75 ans : dose maximale de paracétamol conseillée de 3 g/j pour les patients âgés pesant plus de plus de 50 kg et adaptation posologique pour ceux de poids inférieur (maximum 60 mg/kg/j) ; introduction des antalgiques de palier 2 avec précaution, en tenant compte des comorbidités et de la polymédication associée, ainsi que des antécédents d’effets indésirables avec ces antalgiques.

En raison de leur efficacité démontrée sur la douleur, les AINS peuvent être associés aux antalgiques en cas de douleur aiguë, en cure courte et à dose anti-inflammatoire, avec là encore des précautions d’usage chez les plus de 75 ans.

En l’absence de preuve scientifique d’un rapport bénéfices-risques favorable, les corticoïdes par voie orale ne sont pas préconisés. En revanche, chez un patient ayant un syndrome douloureux subacromial persistant, les injections subacromiales de dérivés cortisonés ont un intérêt, avec un effet antalgique d’une durée de 3 à 8 semaines. 

À ce jour, les injections d’acide hyaluronique ou de plasma riche en plaquettes n’ont pas démontré leur efficacité dans le syndrome douloureux subacromial.

 > La kinésithérapie

En cas de symptômes persistant plus de 4 à 6 semaine, la kinésithérapie fait partie intégrante de la prise en charge, les recommandations précisant le contenu minimal du programme à proposer. Le rythme, la durée et la fréquence des séances doivent être adaptés à l’évolution des symptômes et réévalués régulièrement. Une amélioration clinique est attendue au bout de 6 semaines à 3 mois (7 à 15 séances). Une amélioration insuffisante nécessite une réévaluation médicale avant de décider de la poursuite de la rééducation.

Un syndrome douloureux subacromial non hyperalgique ne nécessite pas d’immobilisation de l’épaule. L’arrêt de travail n’est pas systématique, mais à adapter à l’activité professionnelle du patient.

   > Le traitement chirurgical

Dans la tendinopathie non rompue de la coiffe des rotateurs, la chirurgie n’a pas d’intérêt.

Les données de la littérature montrent notamment que dans le syndrome douloureux subacromial sans rupture transfixiante, en échec de traitement de première intention, la chirurgie de décompression subacromiale (acromioplastie) isolée ne fait pas mieux par rapport au placebo arthroscopique et des travaux suggèrent que la chirurgie n’aurait pas de valeur ajoutée par rapport à un programme d’exercices.

Malgré cela, le recours à la chirurgie dans les tendinopathies de la coiffe des rotateurs reste fréquent y compris après un parcours de soins préopératoire incomplet. En 2014, une étude de l’Assurance-maladie avait constaté que 23 % des patients opérés n’avaient pas reçu de traitement médical adapté dans l’année précédant leur intervention. Un travail mené par la HAS en amont de ses recommandations va dans le même sens. Selon les données du Système national des données de santé (SNDS) analysées, sur le second semestre 2022, 3 629 patients de plus de 40ans ont subi une acromioplastie isolée dans un contexte supposé de tendinopathie de la coiffe des rotateurs non rompue et non traumatique. Parmi eux, seuls 25 % avaient bénéficié d'une prise en charge conforme aux recommandations (radio/kiné/infiltration/imagerie « avancée ») dans les 18 mois précédant l'intervention. 

En résumé :

- Les douleurs d'épaule non traumatiques sont des motifs fréquents de consultation en soins primaires. 

- Si, dans plus des deux tiers des cas, elles sont dues à une atteinte de la coiffe des rotateurs, d'autres diagnostics doivent être évoqués en fonction de la clinique et de la durée d’évolution des symptômes.

- Une radiographie standard est recommandée en première intention mais uniquement après 4 à 6 semaines d’évolution. La prescription de l’échographie ou de l’IRM sera discutée dans un second temps selon la réévaluation clinique.

- En cas de tendinopathie de la coiffe des rotateurs non calcifiée, le traitement est essentiellement médico-fonctionnel (AINS, kinésithérapie, infiltration de dérivés cortisonés, éducation et conseils). Dans les formes non rompues, la chirurgie n’a pas d’intérêt.

Bénédicte Gatin, d’après la recommandation de la HAS « Conduite diagnostique devant une épaule douloureuse non traumatique de l’adulte et prise en charge des tendinopathies de la coiffe des rotateurs », septembre 2023

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt relatif au contenu de cet article


Source : Le Quotidien du médecin