La carence martiale est une cause fréquente d'anémie à travers le monde, y compris dans les pays développés. La déplétion en fer toucherait 15 % de la population mondiale (1).
UN DIAGNOSTIC BIEN CODIFIE
Les signes cliniques
Même si la biologie préside au diagnostic d'anémie ferriprive, les signes cliniques doivent être rappelés. L'installation de l'anémie étant très progressive, elle est longtemps bien tolérée. Outre les signes évocateurs d'une anémie (pâleur cutanéo-muqueuse, tachycardie et dyspnée éventuelles), la déplétion en fer induit une asthénie, une irritabilité, des troubles des phanères à type d'ongles et cheveux cassants. "Des troubles du comportement alimentaire tels que la géophagie (qui désigne le fait de manger de la terre ou du sable) ou la pagophagie (fait de manger des glaçons) ont également été observés, ajoute le Dr Lefrère. Ces troubles, longtemps considérés comme étant à l'origine de la carence en fer, n'en sont en fait que l'un des symptômes, et ils disparaissent après recharge des réserves en fer".
Quel bilan biologique ?
-› Biologiquement, l'anémie se définit par un taux d'hémoglobine (Hb) inférieur à 13 g/dl chez l'homme, 12 g/dl chez la femme, 10,5 g/dl chez la femme enceinte. L'anémie par carence en fer est microcytaire (volume globulaire moyen [VGM] < 80-82 µ3), hypochrome (concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine [CCMH] < 32 %) et non régénérative (non élévation des réticulocytes) (encadré 1). "Le dosage des réticulocytes n'a aucun intérêt dans ce contexte, une anémie microcytaire étant toujours non régénérative".
-› Concernant le bilan ferrique, le fer sérique est diminué et la capacité totale de fixation de la sidérophiline (ou transferrine), dont le rôle est de favoriser l'absorption intestinale du fer, est augmentée. Le taux de ferritine, qui représente les réserves en fer, est effondré. "En pratique, la démarche diagnostique d'une anémie par carence en fer ne nécessite pas le dosage de ces 3 paramètres. Le dosage du fer sérique et la détermination de la capacité totale de fixation de la transferrine suffisent. Le dosage de la ferritine est un examen onéreux, et on le réserve plutôt au bilan de contrôle après traitement de l'anémie". A la demande de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, la HAS mène actuellement une étude sur la stratégie d’utilisation des marqueurs du métabolisme du fer dans l’exploration des anémies par carence martiale et des anémies inflammatoires (2).
-› "En outre, il est indispensable de faire la différence entre anémie inflammatoire et anémie ferriprive. In fine, les examens à demander en première intention en présence d'une anémie microcytaire hypochrome sont le fer sérique, la capacité totale de fixation de la transferrine, la VS et la CRP (C réactive protéine)". Ces examens permettent de procéder à une première orientation diagnostique ou de diriger si besoin le patient vers l'hématologue, par exemple en cas d'anémie microcytaire hypochrome à fer sérique normal (fig 1). Lorsqu'on suspecte la coexistence d'une anémie ferriprive et d'une anémie inflammatoire, le bilan usuel ne permet pas de trancher : certains suggèrent alors d'avoir recours au dosage du récepteur soluble à la transferrine, augmenté en cas de carence martiale (3). "Mais cet examen, soumis à des difficultés d’interprétation (reflète également l’activité du contingent érythroblastique médullaire), est de peu d'intérêt pratique".
CHERCHER LE SAIGNEMENT
Dans plus de 90 % des cas, un saignement est à l'origine de la carence martiale (4). Le bilan étiologique dépend du terrain sur lequel l'anémie est observée.
Quid des ménorragies ?
Chez la femme en période d'activité génitale, la présence de règles abondantes est la cause la plus fréquente de la déperdition en fer. Encore faut-il quantifier réellement l'importance des ménorragies. Hormis la durée des règles et la présence éventuelle de caillots, certains auteurs proposent d'ajouter un critère basé sur le nombre de protections utilisées (1). "Une durée supérieure à 5 jours, la présence de caillots et l'utilisation de plus de 3-4 protections par jour permettent de définir des règles "abondantes". Dans ce contexte, la carence martiale est d'installation rapide, et il suffit d'un léger allongement de la durée des règles ou de la survenue de quelques caillots pour abaisser les réserves en fer en quelques mois. Si les ménorragies sont habituelles et en l'absence de point d'appel clinique, gynécologique ou autre, aucun bilan complémentaire n'est nécessaire. En revanche, une fois les réserves en fer reconstituées après traitement et en cas de persistance de l'anémie, ce bilan s'impose, à la recherche d'une cause gynécologique (fibrome, cancer…) ou extra gynécologique".
Quel bilan digestif ?
-› Chez la femme ménopausée et chez l'homme, et plus largement chez la personne âgée, la perte de fer est le plus souvent en rapport avec un saignement digestif (3). Dans ses recommandations de 2001 (5), l'Anaes recommande, après élimination d'une cause extra digestive, de pratiquer une endoscopie digestive haute en 1ère intention lorsque le contexte clinique oriente vers le tractus digestif supérieur et lorsque le patient est en mauvais état général ; et dans tous les autres cas après une coloscopie non concluante, si possible dans le même temps anesthésique. "En pratique, l'endoscopie digestive haute, puis basse, constitue logiquement le bilan de première intention en présence d'une anémie ferriprive, y compris chez les sujets ne présentant aucun point d'orientation clinique".
-› Les pathologies digestives susceptibles d'être à l'origine d'un saignement sont nombreuses : ulcère gastro-duodénal, cancer gastrique, hernie hiatale, varices oesophagiennes, lymphome gastrique ou colique, cancer colorectal, polypes coliques, rectocolite hémorragique. Selon un article récent (1), après 65 ans, l'endoscopie haute et basse identifie une cause dans environ 70 % des cas. Parmi les étiologies possibles, l'origine est oeso-gastroduodénale dans 60 % des cas, colique dans 21 % des cas, dont 8 % de néoplasies coliques. Sans oublier les 6 % de patients présentant des saignements hémorroïdaires… et les 16 % de saignements d'origine indéterminée. "Attention, la hernie hiatale est un diagnostic d'élimination et sa présence ne dispense pas de pratiquer une coloscopie, à la recherche d'une éventuelle pathologique colique associée".
-› Les biopsies duodénales sont systématiques, l'objectif étant de dépister des signes de maladie coeliaque avec atrophie villositaire, y compris chez l’adulte.
-› L'exploration digestive par vidéocapsule endoscopique a sa place en 2ème intention (à la place de l'entéroscopie) en cas d'anémie ferriprive chronique d’origine digestive supposée lorsque la fibroscopie haute et la coloscopie sont restées négatives, qu'elles datent de moins de 6 mois, et qu'elles ont été effectuées dans des conditions techniques optimales (oeso-gastro-duodénoscopie avec biopsies duodénales et coloscopie totale avec la preuve que le patient a eu une coloscopie jusqu’à la valvule iléo-cæcale, avec une bonne qualité de préparation [HAS 2006 ; réf 6]).
-› Enfin, la responsabilité de l'infection par Helicobacter pylori dans la survenue d'une anémie ferriprive (par l'intermédiaire d'une gastrite chronique) est actuellement largement évoquée. Une récente méta-analyse (7) conclut à une association possible (OR = 2,22 ; p < 0,0001), mais la relation entre l'éradication de H. pylori par le traitement et l'amélioration des taux d'hémoglobine et de ferritine n'est pas significative. "Concrètement, il s'agit d'un diagnostic d'élimination, tout comme la hernie hiatale, souligne le Dr Lefrère. Un test respiratoire à l'urée peut être réalisé, mais une recherche positive ne doit cependant pas dispenser des explorations digestives autres. Car la prévalence de l’infection à H. pylori dans la population peut être élevée selon les endroits et la carence martiale n'est pas systématiquement imputable à l’infection. L'exploration endoscopique digestive haute et basse ne doit donc pas être retardée pour ne pas courir le risque d'une perte de chances pour le patient".
Et la carence d'apport ?
"Dans nos sociétés, la carence d'apport en fer est quasiment exclue chez l'adulte, hormis les cas de déséquilibres alimentaires majeurs à l'origine de carences multiples. Elle peut exister chez le nourrisson ou chez la femme enceinte (augmentation des besoins)". La consommation importante de thé vert peut inhiber l'absorption du fer.
QUEL TRAITEMENT ?
-› La supplémentation en sels de fer médicamenteux per os constitue le traitement de base de la carence martiale. "Un traitement bien conduit doit apporter chez l'adulte 100 à 200 mg de fer (métal) par jour durant 4 mois. Mais tous les sels de fer ne sont pas équivalents. Certains sont à délitement rapide (type Fumafer?), et le fer rapidement libéré de sa capsule se fixe en masse sur les récepteurs présents au niveau de la muqueuse duodénale. Ces sels de fer sont rapidement efficaces, au prix parfois d'effets secondaires à type de nausées, ballonnements, diarrhée ou constipation, aigreurs. D'autres (Tardyféron?) sont à délitement lent. Ils sont mieux tolérés au plan digestif, mais leur efficacité est réduite, le fer étant dans ce cas libéré bien en amont de la zone duodénale où se trouvent les récepteurs. Une carence martiale avérée se traite donc avec une forme à délitement rapide. Les autres formes sont utiles lorsque la carence est modérée, ou en traitement préventif chez la femme enceinte. Quant à l'apport alimentaire, il reste peu contributif au regard de ce qu'apportent les sels de fer".
La posologie recommandée pour le traitement préventif en cas de grossesse est de 50 mg de fer métal par jour durant les deux derniers trimestres ou à partir du 4ème mois. A noter que la forme intramusculaire n'est plus commercialisée.
-› Certaines présentations contiennent également de la vitamine C, dans le but de limiter les effets digestifs et d’augmenter l’absorption du fer. Pour autant, certains patients restent intolérants à l'apport per os de sels de fer médicamenteux. "Dans ce cas, on recommande la prise au milieu des repas, mais on peut surtout tenter de changer de sel de fer. La voie parentérale intraveineuse ne se justifie que chez les vrais intolérants et chez les patients souffrant de malabsorption intestinale. Mais ce traitement, réservé à l'usage strictement hospitalier, reste onéreux et plusieurs perfusions sont nécessaires. En effet, la quantité de fer délivrée en une perfusion équivaut seulement à 10 jours de prise orale".
-› Le traitement de la cause doit toujours être mis en œuvre si cela est possible. Dans le cas contraire, ménorragies persistantes par exemple, on peut être amené à prescrire des cures de fer à intervalles réguliers. La périodicité du traitement reste à l'appréciation du praticien.
-› Un bilan biologique de contrôle, comprenant un hémogramme et le dosage de la ferritinémie, doit être réalisé 3-4 mois après le début du traitement de supplémentation. La capacité totale de fixation de la sidérophiline n'est pas utile. En cas d'anémie persistante, il faut se poser la question d'une cause passée initialement inaperçue ou d'une éventuelle mauvaise compliance.
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