La névralgie pudendale s'inscrit dans le cadre plus vaste des douleurs pelvipérinéales chroniques, thème ayant fait l'objet d'une attention particulière de la part des urologues lors du dernier congrès de l'Association française d'urologie (AFU) en novembre 2010. Longtemps méconnue et assimilée souvent à tort à des phénomènes d'origine essentiellement psychique, la névralgie pudendale, dont la prévalence exacte n'est pas déterminée, concerne plutôt la femme (6 fois sur 10), l'âge moyen de survenue se situant entre 50 et 70 ans.
UN DIAGNOSTIC CLINIQUE
Le long de son trajet, le nerf pudendal (anciennement nerf honteux interne) peut se trouver comprimé en plusieurs endroits, expliquant la possibilité d’un véritable syndrome canalaire responsable de la névralgie pudendale. Après sa naissance au niveau du sacrum (S3-S4), il passe en effet sous le muscle piriforme (canal sous piriforme , première zone de compression possible), puis traverse la pince ligamentaire entre ligament sacro-épineux et ligament sacro-tubéral (deuxième zone à risque), pour poursuivre son trajet dans le canal pudendal d'Alcock au sein du muscle obturateur (troisième zone à risque). Dans ce canal, le nerf pudendal se divise en 3 branches : le nerf dorsal du clitoris (ou de la verge), le nerf périnéal, et le nerf rectal inférieur.
Une station assise douloureuse
-› La douleur est de type neuropathique. Elle est souvent importante, à type de brûlure, de striction, de torsion ou de pincement, mal soulagée par les antalgiques habituels. Il ne s'agit jamais d'un prurit. Elle est de siège périnéal, correspondant au territoire du nerf pudendal (Voir Figure 1). Elle va ainsi de l'anus à la verge (ou au clitoris), et irradie parfois vers la vulve ou le scrotum. Les signes sont médians, unilatéraux, ou bilatéraux. Certains patients décrivent une sensation de corps étranger intrarectal ou intravaginal. La différence doit être faite avec la névralgie du nerf clunéal inférieur, dont le siège est latéro-anal.
-› Un signe caractéristique de la névralgie pudendale est sa survenue en position assise. La station assise occasionne en effet une hyperpression au niveau du prolongement falciforme du ligament sacro-tubéral, induisant une compression du nerf pudendal et des signes de souffrance locale. En pratique, certains patients se tiennent assis en passant d'une fesse sur l'autre, ou utilisent des bouées. D'autres passent le plus de temps possible debout, la station assise étant parfois impossible. Les sièges mous sont moins bien supportés, tandis que les sièges de toilettes sont mieux tolérés. La position couchée soulage également le patient.
Généralement, la douleur est absente au réveil et modérée au cours de la matinée, puis elle s'accentue en cours de journée pour être maximum le soir. Elle peut donc être présente jusqu'à l'endormissement mais habituellement ne réveille pas le patient la nuit. Elle peut être quotidienne ou évoluer par périodes. Le port de sous-vêtements ou de pantalons serrés peut majorer les symptômes (allodynie ou hypersensibilité au contact). Certaines situations (pratique du cyclisme, déplacements automobiles répétés) peuvent favoriser l'apparition de la douleur.
-› D'autres signes sont associés à la douleur pudendale. Ainsi, on retrouve souvent des signes témoignant d’une hypersensibilisation avec une diffusion de la zone douloureuse au-delà du territoire anatomique du nerf, dans ses projections cutanées mais également au niveau viscéral avec présence d’un syndrome de l’intestin irritable, d’un syndrome douloureux de la vessie (avec pollakiurie et douleurs vésicales), d’une dyspareunie, de douleurs à composantes musculaires. Il existe aussi des douleurs fessières, des sciatalgies, des troubles sexuels avec aggravation de la douleur après les rapports (plus rarement pendant) ou diminution des sensations sexuelles, une constipation, des difficultés d'exonération ou des douleurs après l'exonération.
-› L'examen clinique est peu contributif. A noter un important signe par défaut : l'absence de troubles sensitifs au niveau du périnée ; une douleur périnéale associée à une hypoesthésie ne correspond pas à un syndrome canalaire du nerf pudendal (évoquer dans ce cas une pathologie neurologique lésionnelle sacrée ou tumorale). Pas de troubles sphinctériens non plus. Le toucher rectal peut provoquer une douleur exquise au niveau de l'épine ischiatique du côté de la douleur. La palpation de la région fessière lorsque le patient est installé en décubitus ventral retrouve parfois des points douloureux (zones gâchettes) au niveau des muscles piriformes ou du muscle obturateur interne, mais qui bien que témoignant d'une hypersensibilité régionale, restent difficiles à interpréter.
Les critères de Nantes
-› Ce sont les critères diagnostiques de Nantes qui permettent in fine de poser le diagnostic de névralgie pudendale par syndrome canalaire. Cinq critères sont indispensables : douleur située dans le territoire du nerf pudendal (de l’anus à la verge ou au clitoris), douleur prédominant en position assise, douleur ne réveillant habituellement pas la nuit, absence de déficit sensitif objectif, bloc diagnostique du nerf pudendal positif (sous réserve d’une technique irréprochable), ce dernier élément ne pouvant intervenir qu'a posteriori. En pratique, le bloc anesthésique est réalisé au contact du nerf pudendal dans le canal d’Alcock ou au voisinage de l’épine sciatique (ligament sacro-épineux), uni ou bilatéralement. La disparition de la douleur confirme le diagnostic. Une infiltration de corticoïdes peut y être associée dans un but thérapeutique .
Les autres signes associés urinaires, anorectaux, sexuels, neuromusculaires, ainsi que les données obtenues lors des explorations électrophysiologiques ne sont que des critères complémentaires.
Citons également les critères d'exclusion : douleur uniquement coccygienne, fessière, pubienne ou hypogastrique, prurit, douleurs uniquement paroxystiques, anomalies d’imagerie pouvant expliquer la douleur.
-› En ce qui concerne les examens complémentaires, une imagerie par scanner ou IRM du pelvis et de la région lombosacrée doit être demandée. Habituellement normale dans la névralgie pudendale, elle est destinée à éliminer une pathologie lésionnelle.
Les données de l'électroneuromyographie (ENMG) du nerf pudendal peuvent apporter des arguments en faveur de la souffrance du nerf, mais ces examens, qui nécessitent une bonne expertise, ne sont en fait pas indispensables au diagnostic. Ils manquent de sensibilité et de spécificité et il est parfois difficile de corréler les résultats obtenus avec les données cliniques. La normalité de l'ENMG, qui ne teste que les fibres motrices, n'exclut pas le diagnostic de névralgie pudendale.
En pratique, on réalise un EMG analytique des muscles ischio- ou bulbocaverneux ou du sphincter anal. On peut mesurer aussi les vitesses de conduction nerveuse : latence distale du nerf pudendal (qui consiste à stimuler le nerf pudendal par voie rectale, au voisinage de l’épine sciatique, à l’émergence du nerf pudendal, et à recueillir une réponse liée à la contraction du sphincter anal : l'allongement du temps de latence est un signe de dénervation), latence des réflexes sacrés (stimulation du nerf dorsal de la verge ou du clitoris et recueil de la réponse dans les muscles ischio ou bulbocaverneux).
QUELS TRAITEMENTS PROPOSER ?
De façon générale, le traitement d'une douleur pelvipérinéale chronique est complexe. D'autant que tous les examens d'imagerie étant normaux, la tentation est grande de "psychiatriser" le patient. Dans le cas d'une névralgie pudendale, plusieurs options thérapeutiques peuvent être proposées (Voir le tableau).
Les médicaments
-› Les traitements médicamenteux ont leur place en première intention. La douleur de la névralgie pudendale résiste généralement aux antalgiques actifs sur les algies par excès de nociception, y compris aux opioïdes. Il peut toutefois être licite d'essayer les morphiniques dans ce contexte, dans le respect de leurs contre-indications et sous réserve d'un suivi spécialisé, par exemple pour passer un cap.
-› Les médicaments de la douleur neuropathique ont une efficacité supérieure, bien qu'inconstante. Parmi les antidépresseurs, les tricycliques et la duloxétine (inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) peuvent être proposés. Stricto sensu cette dernière a l'AMM – outre la dépression et l'anxiété généralisée - dans la prise en charge de la douleur neuropathique diabétique périphérique. Les anti-épileptiques gabapentinoïdes (nouvelle classe thérapeutique des antihyperalgésiants) constituent l'autre option médicamenteuse. On peut utiliser soit la gabapentine, dont l'AMM mentionne les douleurs neuropathiques périphériques, soit la prégabaline, indiquée entre autres dans les douleurs neuropathiques périphériques et centrales de l'adulte (Vidal 2010).
L'objectif du traitement médicamenteux n'est pas tant la guérison que l'amélioration des symptômes. Le rapport bénéfice – risque doit être soigneusement pesé. Pour les antidépresseurs et les anti-épileptiques, l'efficacité se juge au bout d'environ un mois.
Les infiltrations
-› Les infiltrations locales d'anesthésiques locaux ont à la fois un but diagnostique et thérapeutique. Les anesthésiques locaux injectés ont une action rapide et leur durée d'action va de 30 minutes à 2-3 heures. Si l'on désire une sédation à long terme, des corticoïdes sont associés.
-› Le patient est installé en position ventrale. On infiltre soit au niveau du ligament sacro-épineux, soit dans le canal d'Alcock. Dans le premier cas, le geste peut être réalisé sous fluoroscopie, sous échographie, ou sous tomodensitométrie avec injection de produit de contraste. Cette dernière méthode est la technique de référence, car elle permet de bien visualiser les repères anatomiques et de contrôler la qualité de la diffusion du produit anesthésique. En cas d'infiltration dans le canal d'Alcock, le bloc est réalisé plus en distalité sur le trajet du nerf pudendal, et obligatoirement sous contrôle scannographique.
-› Le bloc analgésique a un effet immédiat, mais l'interprétation de la positivité ou de la négativité de l'infiltration tient compte de la cotation précise de la douleur avant et après le geste, de sa topographie, ainsi que de la qualité de la procédure. Ainsi, le résultat est jugé positif lorsque la douleur diminue de 50 % ou de 4 cm sur l'échelle visuelle analogique (EVA). L’évaluation après l’infiltration doit se faire en reproduisant les facteurs déclenchant ou aggravant les douleurs, telle que la position assise pour le nerf pudendal. Si le patient est répondeur, les infiltrations peuvent être répétées 2 à 3 fois au niveau du même site d’infiltration.
Pour l’instant aucune étude prospective et randomisée n’est disponible quant aux bénéfices thérapeutiques des infiltrations. Un Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) national est en cours, dont les résultats sont attendus fin 2011.
-› Certaines complications sont possibles : hématome par ponction vasculaire, infection, traumatisme du nerf pudendal, du nerf cutané postérieur de la cuisse ou du nerf sciatique, perforation digestive, incontinence transitoire, aggravation des douleurs durant une quinzaine de jours après le geste.
La rééducation
La douleur de la névralgie pudendale est souvent associée à des syndromes myofasciaux des muscles obturateur interne, piriforme, elevator ani (releveur de l'anus), psoas et transverse profond. Cette composante musculaire se manifeste par des douleurs que l'on peut mettre en évidence au niveau de zones gâchettes, ou par des tensions musculaires du plancher pelvien. Le but de la prise en charge kinésithérapique est de relâcher les tensions musculaires. Différentes techniques sont utilisables : "contracter – relâcher" pour le piriforme, l'obturateur interne et le psoas, technique du raccourcissement pour le releveur de l'anus.
La neurostimulation
La neuromodulation ne constitue pas un traitement classique des douleurs pelvipérinéales chroniques, et son mode d'action reste mal connu. Cependant, parmi les techniques disponibles, la stimulation électrique transcutanée du nerf tibial postérieur, par l'intermédiaire d'électrodes collées sur la peau, fait partie des options thérapeutiques disponibles en cas de syndrome douloureux canalaire du nerf pudendal.
La chirurgie
La libération chirurgicale du nerf pudendal est le recours thérapeutique de dernière intention. Son but est de libérer les fibres nerveuses dans les régions où les structures anatomiques peuvent entrer en conflit avec le nerf. Les trois régions concernées se situent l'une au niveau du canal piriforme, l'autre au niveau de la pince ligamentaire entre le ligament sacro-épineux et le ligament sacro-tubéral, et la dernière dans le canal d'Alcock. Trois voies d'abord sont possibles : la voie transglutéale (transfessière), la voie trans-ischiorectale ou transvaginale, et la voie périnéale. La durée de l'intervention est d'une trentaine de minutes et 3 – 4 jours d'hospitalisation sont nécessaires. Globalement, 70 % des patients opérés sont améliorés, l'amélioration clinique débutant 3 à 6 mois après l'intervention.
Les candidats à la chirurgie du nerf pudendal sont ceux présentant une douleur invalidante, persistant depuis au moins un an et rebelle aux autres traitements. Les critères de Nantes doivent être respectés, car la positivité d’un bloc diagnostic anesthésique du nerf pudendal est indispensable à l’indication opératoire. Les résultats sont directement en rapport avec l’âge, avec une dégradation chez les personnes âgées, mais l’âge n’est pas en soit une contre indication.
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