L’incertitude, un tabou à apprivoiser

Publié le 11/11/2016
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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

L’incertitude pourrait devenir un nouvel horizon en médecine, selon un article du New England journal of Medicine. Dur à imaginer quand les progrès d’imagerie et de biologie nous font espérer des diagnostics toujours plus précis.

> Cet article provocateur invite à accepter la zone grise, où la solution absolue n’est plus de mise. L’enseignement médical nous a appris à avoir une attitude univoque, protocolisée et finalement sécurisante pour ne pas affronter le flou et ne pas perdre la face devant les patients et les collègues. Pourtant la réalité nous confronte souvent à des données imprécises, à des diagnostics plus ou moins bien ficelés ou à une réponse imprévisible des patients aux traitements Il faut donc implicitement gérer cette incertitude qui génère de la tension faute d’être assumée.

> « Nous sommes encore fortement influencés par une tradition rationaliste qui cherche à proposer un monde de sécurité apparente » écrivent les auteurs. D’où le stress et cette injonction à la recherche d’une certitude introuvable, facteur de burn-out et de dépense de santé inflationniste. Sans compter les examens inutiles et le risque iatrogénique à force de « trop bien faire ». Paradoxalement, la logique de certitude peut aussi être entachée de biais et d’a priori, fermer la porte à des intuitions, ce qui peut conduire à de mauvais diagnostics.

> « Nous devrions parler d’hypothèses plutôt que de diagnostic, pour changer les attentes des patients et des médecins et faciliter un changement de culture » expliquent les auteurs. Ils prédisent que la technologie et les algorithmes seront importants dans le processus décisionnel mais il reviendra aux médecins de discuter avec leurs patients de l’incertitude des situations moins tranchées, « un travail qui est essentiel pour une relation médecin malade forte et significative ».

> La formation devrait privilégier le raisonnement au détriment de la dichotomie, la possibilité de réponses multiples et la prise en compte des attentes des patients. Pour les étudiants, ce serait davantage le « comment » et le « pourquoi » plutôt que la réponse brute et définitive, pour discuter, éveiller la curiosité, se sentir plus à l‘aise avec l’incertitude des situations non catégorisables et reconnaître que la certitude n’est pas une fin en soi. Un vrai challenge pour les « digital native » pour lesquels il est encore plus dur de se séparer d’une vison binaire et d’une réponse sûre à 100 % quand les cas cliniques numérisés martèlent des décisions très performatives et font l’économie d’une démarche plus complexe et aléatoire en pratique courante.

> Cette culture de la tolérance à l’incertitude s’apparente bien à une révolution mais aussi à un retour aux sources. Rappelant la maxime d’Osler « La médecine est une science de l’incertitude et un art de probabilité », les auteurs concluent « l’incertitude est sure, la certitude une illusion ».

 

1- Simpkin A.B., Schwartzstein R.M. Tolerating Uncertainty — The Next Medical Revolution? N Engl J Med 2016; 375:1713-1715November 3, 2016DOI: 10.1056/NEJMp1606402

Dr Muriel Gevrey

Source : lequotidiendumedecin.fr