Thérapeutique

L’INSULINOTHÉRAPIE DU DIABÈTE DE TYPE 2

Publié le 04/10/2018
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L’insulinothérapie du diabète de type 2 est une thérapeutique qui s’impose chez plus de 20 % des patients parce que les autres traitements, non insuliniques, ne sont pas, ou ne sont plus, suffisamment efficaces pour atteindre la valeur cible d’HbA1c. L’insuline doit être précoce, autrement dit proposée lorsque l’HbA1c est > 7,5 – 8 % sous une thérapeutique non insulinique optimisée, triple thérapie orale ou analogue du GLP1.
Insulinotherapie

Insulinotherapie
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

En France, un peu plus de 20 % des diabétiques de type 2 sont traités par l’insuline, ce qui représente plus de 800 000 patients. Dans d’autres pays, en Allemagne par exemple, le nombre de diabétiques de type 2 insulinotraités est encore supérieur. C’est dire s’il s’agit d’un sujet important.

Traiter par l’insuline un diabétique de type 2 ne repose pourtant sur aucune logique mécanistique, sauf dans certains cas particuliers. Comme chacun sait, le diabète de type 1 se définit par une carence absolue en insuline puisqu’il est lié à la destruction auto-immune des cellules β, celles qui produisent l’insuline. Le diabète de type 1 est donc finalement une maladie de carence endocrinienne assez classique et son traitement est un traitement substitutif, consistant à remplacer l’insuline manquante par un schéma d’insulinothérapie qui doit mimer la physiologie, une sécrétion basale d’insuline et un pic au moment des repas, autrement dit un schéma basal bolus, qu’il s’agisse d’une insulinothérapie conventionnelle ou administrée par pompe.

La situation est complètement différente dans le diabète de type 2. Certes, la sécrétion d’insuline est déficiente, mais il s’agit davantage d’une déficience qualitative (retard de la sécrétion, moindre stimulation de la sécrétion d’insuline par le glucose…), pas d’une carence absolue, loin de là puisque le niveau d’insulinémie dans le diabète de type 2 est généralement supérieur à la normale. S’y associe une résistance à l’insuline, ce pourquoi le traitement par l’insuline du diabète de type 2 est une solution thérapeutique d’une certaine manière paradoxale : on donne une médication à laquelle le patient est résistant.

L’insulinothérapie du diabète de type 2 n’est en aucune manière substitutive, c’est un traitement pharmacologique qui utilise la puissance hypoglycémiante de l’insuline pour normaliser la glycémie dans les cas où d’autres médications antidiabétiques n’y parviennent pas. Existent certes des cas particuliers, qui se rapprochent du diabète de type 1, avec une carence quantitative en insuline, sinon absolue, du moins très importante. On considère que ces cas représentent environ 15 % des cas de diabète de type 2, c’est donc clairement une minorité.

Ces quelques considérations mécanistiques expliquent l’essentiel de la problématique clinique que pose le traitement par l’insuline du diabète de type 2, les questions pratiques cliniques étant de savoir quand, comment, et quoi faire dans les cas difficiles.

LES INDICATIONS DE L'INSULINOTHÉRAPIE

L’insuline peut être proposée d’emblée à un diabétique de type 2, au moment de la découverte de la maladie, dans les rares cas où existe un syndrome insulinopénique : soif, amaigrissement prononcé, HbA1c > 10 %. Il n’est pas rare d’ailleurs qu’il ne s’agisse alors que d’une insulinothérapie transitoire, autrement dit qu’on puisse revenir aux comprimés une fois le déséquilibre glycémique majeur corrigé.

► L’insuline peut d’autre part être proposée à un diabète de type 2, généralement à titre transitoire, à n’importe quelle étape de ce qu’il est convenu d’appeler l’intensification thérapeutique, en cas de phénomène intercurrent de déséquilibre, toute pathologie sérieuse, une infection…

► En dehors de ces cas particuliers, l’insuline est généralement proposée, à juste titre, en cas de résultat glycémique insuffisant malgré toute la stratégie d’intensification thérapeutique par les comprimés et/ou par les injections d’analogues agonistes du GLP1.

On connaît les principales étapes de cette intensification thérapeutique, résumée dans la figure 1, et reprise dans toutes les recommandations : on commence par la metformine, on y ajoute une deuxième classe d’hypoglycémiant oral, généralement un DPP4 inhibiteur, avant l’étape de la triple thérapie orale (metformine + DPP4 inhibiteur + sulfamide) ou celle de l’injectable, généralement un analogue agoniste du GLP1 (liraglutide ou dulaglutide).

► C’est en cas de résultat insuffisant sur l’HbA1c de cette démarche d’intensification progressive, si possible sans inertie clinique et en utilisant des médications non insuliniques, qu’on proposera l’insuline. Il s’agit d’une éventualité fréquente, car chez la plupart des patients, le diabète de type 2 est une maladie évolutive et les traitements non insuliniques, comprimés ou analogues du récepteur du GLP1, voient souvent leur efficacité décliner au fil des années.

► Il est important d’insister sur le niveau d’HbA1c qui doit amener à la prescription d’insuline – entre 7,5 et 8 % : il n’est sans doute pas réaliste de proposer l’insuline, traitement un peu compliqué et avec un risque hypoglycémique, pour une HbA1c qui n’est que modérément supérieure à la valeur cible habituelle de 7 %. En revanche, il faut instituer l’insuline si l’HbA1c est entre 7,5 et 8 % après la démarche d’intensification résumée ci-dessus. On peut sans doute relever ce seuil chez des patients âgés fragiles pour lesquels un strict contrôle glycémique n’est plus la priorité.

► Il convient d’éviter ce qu’on appelle le « retard à la mise à l’insuline », qui n’est pas une question de durée de la maladie, mais une question de niveau d’HbA1C.

Si l’insuline est commencée pour une HbA1C > 8 %, a fortiori 9 ou 10 %, il faudra, pour avoir un bon contrôle, des doses d’insuline beaucoup plus fortes, et le risque de prise de poids sous insuline est alors important, du fait de la suppression de la glycosurie sous traitement. Lorsque l’insuline est commencée entre 7,5 et 8 %, il n’y a généralement pas besoin de fortes doses et le risque de prise de poids est minimisé. Malheureusement, en pratique clinique, ce retard est très fréquent pour de nombreuses raisons, la principale étant la réticence des patients, mais aussi des médecins, vis-à-vis de l’insulinothérapie. Il est sage de retarder l’insuline tant que les patients sont bien équilibrés avec des traitements non insuliniques, il est raisonnable de proposer avant l’insuline les étapes de triple thérapie orale et/ou d’analogues du GLP1, mais il faut impérativement passer à l’insuline si l’HbA1C reste > 7,5 – 8 % avec ces différentes thérapeutiques.

COMMENT INITIER L’INSULINOTHÉRAPIE BASALE

On peut, en théorie, choisir entre trois types de schémas d’insuline : une insulinothérapie prandiale, avec une insuline rapide avant chaque repas, une insulinothérapie basale et le compromis des insulines PréMix (qui associent une composante rapide et une composante basale dans la même cartouche) matin et soir. Les nombreuses études qui ont comparé ces trois schémas ont clairement démontré la supériorité, pour initier l’insulinothérapie, du schéma d’insulinothérapie basale : il est le plus simple et, surtout, il a à peu près la même efficacité hypoglycémiante que les autres, avec un moindre risque hypoglycémique et une moindre prise de poids. C’est pourquoi il est recommandé dans toutes les recommandations de bonnes pratiques.

Le schéma d’insulinothérapie basale, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un schéma simple, une injection, une glycémie. Le concept en est représenté sur la figure 2 : un patient déséquilibré sous comprimés ou sous agoniste du récepteur du GLP1 présente généralement une glycémie à jeun élevée et des glycémies postprandiales encore plus élevées puisque ces dernières sont proportionnelles au niveau des glycémies préprandiales. En administrant une injection d’insuline basale, il s’agissait autrefois de la NPH au coucher, maintenant de la Glargine ou de la Dégludec (qu’on peut administrer à n’importe quelle heure de la journée), on a comme objectif de normaliser la production hépatique de glucose pendant la nuit, autrement dit de normaliser la glycémie à jeun. Il en résulte une translation vers le bas des glycémies postprandiales en valeur absolue. Il est important de comprendre que l’excursion glycémique prandiale, autrement dit la différence entre la glycémie préprandiale et le pic glycémique postprandial n’est pas affectée par l’insulinothérapie basale mais, en valeur absolue, les glycémies postprandiales diminuent de telle sorte que, au final, en moyenne, l’HbA1c est bien contrôlée aux alentours de 7 % si la glycémie à jeun est normalisée.

L’importance de la titration

D'après ce concept, il est essentiel pour avoir un bon résultat que la dose d’insuline soit correcte, autrement dit bien titrée sur la glycémie à jeun, qu’il convient de normaliser entre 0,80 et 1,30 g par litre. Si la glycémie à jeun reste au-delà, même si elle est en amélioration par rapport au point de départ, les glycémies postprandiales seront trop élevées et l’HbA1C, qui représente la moyenne du cycle glycémique sur trois mois, restera au-dessus de l’objectif.

L’initiation de l’insulinothérapie du diabétique de type 2 commence donc par des doses relativement faibles d’insuline, de l’ordre de 15 à 20 unités par jour, mais en demandant au patient d’augmenter la dose régulièrement tant que la glycémie à jeun est > 1,30 g par litre. Cette période de titration peut prendre plusieurs semaines. Il est complètement inutile, pendant cette période, de mesurer d’autres glycémies capillaires que la glycémie à jeun et l’HbA1C permettra une bonne évaluation du schéma d’insuline une fois la dose d’insuline trouvée, généralement entre 20 et 50 unités par jour.

Quelle insuline basale choisir ?

Les premières études avec ce schéma d’insulinothérapie avaient montré que la NPH avait la même efficacité sur l’HbA1c que la Glargine 100 (Lantus) mais avec un risque hypoglycémique supérieur. C’est pourquoi la Glargine 100 s’est imposée comme le gold standard. Ultérieurement, l’insuline Détémir a été disponible, mais de plus courte durée d’action que la Glargine, elle n’a pas grand intérêt. Récemment, deux insulines basales dites de 2e génération sont disponibles, la Glargine 300 (Toujéo) et la Dégludec (Trésiba). La Glargine 300 est simplement une Glargine concentrée, mais il en résulte une taille de dépôt au point d’injection moindre, un ralentissement de l’absorption de l’insuline à partir de ce dépôt plus petit, de telle sorte que la Glargine 300 est une insuline de pharmacocinétique plus plate et plus longue que la Glargine 100. La Glargine 300 est donc une Glargine améliorée dans sa pharmacocinétique, avec simplement la nécessité, pour un même résultat glycémique, d’utiliser une dose un peu plus forte, de l’ordre de 15 % de plus, car une partie de la Glargine est dégradée in situ (puisque le dépôt d’insuline est plus lent à se résorber). La Dégludec est une insuline originale dont la résorption est retardée par une liaison à l’albumine avec une pharmacocinétique plate, à peu près comme la Glargine 300, et longue, un peu plus que la Glargine 300. Dans les études qui ont comparé Glargine 300 ou Dégludec à la Glargine 100 de référence, l’efficacité hypoglycémiante est la même, mais avec un moindre risque hypoglycémique pour les deux insulines de 2e génération. Lorsqu’on compare face-à-face ces deux insulines, elles apparaissent cliniquement similaires. En pratique, il n’y a pas de vraie raison de les substituer à la Glargine 100 de référence pour les malades déjà insulinotraités, sauf passer à la Glargine 300 les patients, relativement rares, qui exigent plus de 40 unités par jour de Glargine 100. En revanche, pour les nouveaux patients, il y a un avantage à utiliser l’une des deux insulines de 2e génération. En ce qui concerne les prix, en France, ils sont du même ordre pour tous les analogues de l’insuline basale, avec un avantage, mais mineur, pour le bio similaire de la Glargine 100 (Abasaglar).

COMMENT GÉRER LES TRAITEMENTS ANTÉRIEURS LORS DU PASSAGE à L’INSULINE

Au moment du passage à l’insuline, de nombreux patients ont accumulé différents traitements antidiabétiques en un empilement qui n’est pas toujours raisonnable et qu’il convient de simplifier à cette étape majeure de l’intensification thérapeutique qu’est le passage à l’insuline. Il sera toujours temps, dans une 2e étape, de combiner à nouveau d’autres traitements à l’insuline mais, au moment du passage à l’insuline, c’est cette dernière qui représente le choix thérapeutique, sans qu’il soit besoin d’y combiner autre chose, sauf la metformine qui ne coûte pas cher, a un avantage pondéral démontré et permet d’utiliser de moindres doses d’insuline.

► La prise de position récente de la Société francophone de diabète résume bien ce qu’il convient de faire :

– Maintenir la metformine

– Arrêter le sulfamide (ou le répaglinide) d’emblée ou réduire sa posologie et l’arrêter après titration efficace de l’insuline basale

– Arrêter le DPP4 inhibiteur d’emblée ou après titration efficace de l’insuline basale, quitte à le réintroduire secondairement si nécessaire

– Arrêter l’agoniste du récepteur du GLP1 sauf si celui-ci a permis une perte de poids cliniquement significative (≥ 5 % du poids initial) ou s’il s’agit du liraglutide chez un patient en prévention cardiovasculaire secondaire, quitte à le réintroduire secondairement si nécessaire.

LES CAS DIFFICILES, QUAND L’INSULINE BASALE NE SUFFIT
PAS, COMMENT INTENSIFIER

Lorsqu’elle est bien titrée, l’insuline basale permet généralement un bon contrôle, avec une HbA1C < 7,5 %, dans environ les 3/4 des cas. Reste le 1/4 restant et la possibilité que ce bon contrôle initial se détériore au fil du temps.

► Deux raisons principales peuvent expliquer un résultat insuffisant du schéma d’insulinothérapie basale :

– Une insulinorésistance importante : dans cette situation, on a beau augmenter la dose d’insuline, on ne parvient pas à faire diminuer la glycémie à jeun. C’est une situation difficile pour laquelle il n’y a pas de solution satisfaisante depuis que la pioglitazone, le seul véritable insulinosensibilisateur, a été retirée du marché français. D’une manière empirique, l’ajout d’un agoniste du récepteur de GLP1 peut donner de bons résultats, mais simplement dans certains cas et sans qu’on puisse en généraliser l’emploi. C’est sans doute la reprise très stricte du régime alimentaire qui est la meilleure solution, mais avec les difficultés d’observance bien connues. Le passage aux multi-injections est parfois efficace, mais simplement parce qu’il permet, en divisant les doses, d’augmenter nettement la dose totale d’insuline administrée chaque jour.

– Des glycémies postprandiales excessives : le profil typique de ces patients est celui d’une insuline basale bien titrée, avec une glycémie à jeun correcte, < 1,30 g par litre, mais des glycémies postprandiales qui restent trop élevées, d’où une HbA1c supérieure à l’objectif. Il faut rappeler que l’insulinothérapie basale n’affecte pas l’excursion glycémique postprandiale et que, chez certains patients, celle-ci peut rester trop importante. L’intensification thérapeutique aura alors comme objectif de réduire l’hyperglycémie postprandiale. C’est le rationnel pour ajouter une insuline rapide avant chaque repas, mais ce schéma basal bolus, qui représente la solution traditionnelle, a d’importants inconvénients, ce schéma est difficile à gérer pour les patients, ce qui explique un résultat glycémique souvent médiocre, il augmente nettement les risques d’hypoglycémie et de prise de poids.

 En pratique, comment intensifier quand l’insuline basale ne suffit pas ? Autrement dit, quand l’HbA1c reste supérieure à l’objectif malgré des doses d’insuline basale relativement importantes (le repère de > 60 unités par jour est utile, même s’il ne repose pas sur des données validées). On ajoute généralement à l’insuline basale un médicament de type incrétine.

– On peut ajouter un inhibiteur DPP4 qui réduit préférentiellement l’hyperglycémie postprandiale et dont le résultat moyen, dans les différentes études, est un gain d’HbA1c de l’ordre de 0,5 % sans majoration du risque hypoglycémique et sans prise de poids.

– Puisque les patients sont déjà sous injections, l’ajout d’un agoniste du récepteur de GLP1 est une excellente solution, avec une réduction d’HbA1c supérieure à celle qu’on peut attendre d’un DPP4 inhibiteur et avec une perte de poids parfois importante, dont la valeur ajoutée est réelle car les patients sous insuline en échec d’insulinothérapie basale prennent souvent beaucoup de poids.

– Ce n’est qu’en dernier ressort qu’on proposera un schéma d’insuline à multi-injections en commençant par une insuline rapide en amont du repas principal avant, si le résultat est insuffisant, de passer au traditionnel schéma basal bolus.

EN RÉSUMÉ

De nombreux patients diabétiques de type 2 doivent être mis à l’insuline, non pas nécessairement qu’ils soient insulino-déficients, mais parce qu’on utilise la puissance hypoglycémiante de l’insuline pour normaliser l’HbA1c chez les patients pour lesquels les autres traitements ont été insuffisants. Il ne faut pas faire preuve d’inertie clinique et passer à l’insuline avant que l’HbA1c ne dépasse 8 % sous les traitements habituels, triple thérapie orale ou agoniste du récepteur de GLP1. On arrête généralement les traitements en question au moment du passage à l’insuline. On commence par le schéma d’insuline simple et efficace d’une injection par jour d’insuline basale avant, dans les quelques cas pour lesquels un tel schéma est insuffisant, d’intensifier avec des schémas thérapeutiques plus complexes.

Bibliographie
1- Prise de position de la Société Francophone du Diabète (SFD) sur la prise en charge médicamenteuse de l’hyperglycémie du patient diabétique de type 2. Médecine des maladies Métaboliques, Octobre 2017 - vol.11 - N°6.
https://www.sfdiabete.org/sites/www.sfdiabete.org/files/files/ressource…

 

Pr Bernard Charbonnel (Université de Nantes. Mail : Bernard.Charbonnel@univ-nantes.fr)

Source : lequotidiendumedecin.fr