INTRODUCTION
La dernière décennie a été marquée par un développement exponentiel des outils connectés, avec une disponibilité à quasiment toute la population. Ces outils explorent de plus en plus de domaines techniques et les applications à la santé deviennent des incontournables pour leurs développeurs.
Dans la pratique médicale courante et plus particulièrement cardiologique, ce type d’outils peut avoir un réel intérêt, avec des tracés ECG de bonne qualité la plupart du temps, qui permettent en général de faire le diagnostic précis d’une éventuelle arythmie, avec l’avantage (par rapport aux outils classiques de dépistage comme les Holter ECG de 24 heures) d’être portés quasiment tout le temps.
Si le patient présente des symptômes cardiologiques, notamment à type de palpitations, un enregistrement de bonne qualité percritique permettra de caractériser le trouble du rythme du patient et de proposer une prise en charge antiarythmique adaptée.
Certains de ces objets, et notamment les montres connectées qui sont portées de manière continue par le patient, peuvent aussi permettre de faire un diagnostic automatique d’arythmie asymptomatique et notamment de fibrillation atriale (FA).
Dans cet article, nous allons voir les différents types d’objets connectés disponibles, dans quelles indications ils peuvent être proposés et ce qu’il est recommandé de faire devant un diagnostic de trouble du rythme asymptomatique détecté de manière fortuite par ces objets.
PRÉSENTATION DES DIFFÉRENTS OBJETS CONNECTÉS
Les objets, qui ont la possibilité d’enregistrer un ECG, sont à différencier des produits qui enregistrent uniquement une onde de pouls par photopléthysmographie (PPG). Ces derniers ont la possibilité d’enregistrer une fréquence cardiaque (FC), éventuellement d’alerter sur une FC trop élevée ou irrégulière, sans toutefois pouvoir enregistrer un ECG 1 piste, qui est le seul examen à pouvoir diagnostiquer de manière précise une arythmie et notamment une FA.
Concernant les outils enregistrant un ECG, on distingue ceux permettant d’enregistrer un ECG de manière ponctuelle avec l’application des doigts (Kardia) ou des mains (barre) de ceux permettant un enregistrement ECG continu comme le patch (figure 1). Par exemple, le Zio Patch permet un enregistrement ECG continu jusqu’à trois semaines et permet aussi une télétransmission des données.
Concernant les montres connectées avec PPG et enregistrement ECG (figure 2), elles enregistrent de manière continue la FC par PPG avec une recherche de FC irrégulière sur 30 secondes toutes les 10 minutes. En cas de FC irrégulière présente sur plus de 10 mesures sur 24 heures, une alerte est adressée au patient (vibration ou sonore). Il est alors recommandé que le patient effectue de manière manuelle un ECG de 30 secondes en appuyant sur la montre. Il est ensuite noté sur la montre si l’ECG est normal, non concluant ou s’il existe une suspicion de FA. Cet ECG 1 piste est transmis électroniquement par le patient via une application pour confirmation à un médecin spécialiste.
La valeur diagnostique de ces algorithmes est globalement bonne. Cependant, il peut exister des faux positifs en cas d’artéfacts ou de présence d’extrasystoles par exemple. Le diagnostic est alors redressé au moment de l’analyse ECG par le médecin.
Concernant le diagnostic de FA, qui est l’arythmie cardiaque la plus fréquemment mise en évidence, plusieurs études ont évalué la performance de ces objets par rapport à un ECG standard.
La performance (sensibilité et spécificité) du diagnostic automatique de FA de ces montres est globalement bonne, comparable suivant les marques, entre 80 et 88 %, en incluant tous les tracés ECG, et monte jusqu’à environ 95 % en excluant les tracés ECG non concluants (figure 3) (1). Il faut noter que l’utilisation à venir de l’intelligence artificielle va probablement encore améliorer ces performances diagnostiques.
Cependant, ces tracés doivent toujours être interprétés pour confirmation par un médecin spécialiste.
Ces objets sont à la charge du patient (non remboursés par la Sécurité sociale) et leur prix varie d’environ 130 euros pour une montre Withings, Fitbit ou un Kardia, à 350 euros pour une Apple Watch.
QUELLES INDICATIONS POUR CES OBJETS CONNECTÉS AVEC TRACÉS ECG ?
> Patients symptomatiques
Concernant les sujets symptomatiques, ce type d’objets a une indication chez des patients ayant des symptômes cardiologiques, le plus souvent à type de palpitations, pour lesquels aucun tracé ECG percritique n’a pu être enregistré.
Il s’agit principalement de palpitations survenant avec des intervalles souvent longs et qui durent peu de temps, ce qui ne permet pas un enregistrement sur un Holter ECG classique de 24 heures.
Dans ce cas de figure (patients présentant des palpitations paroxystiques non documentées par nos moyens classiques de dépistage), les outils connectés peuvent avoir un champ d’application intéressant.
Les montres peuvent être proposées en alternative à l’implantation d’un holter implantable sous-cutané qui permet un enregistrement ECG continu pendant trois ans avec possibilité de télétransmission mais reste mini-invasif (petite cicatrice au thorax en regard du cœur) et garde un coût global élevé.
Beaucoup de diagnostics sont finalement posés avec seulement des montres intelligentes et permettent de proposer un traitement efficace.
> Patients asymptomatiques
La FA est le trouble du rythme cardiaque le plus fréquent, touchant approximativement 1 % de la population française, avec une prévalence qui augmente régulièrement dans le temps (2). La gravité de cette pathologie est liée à une augmentation du risque thromboembolique artériel et donc d’accident vasculaire cérébral (AVC). Elle est asymptomatique dans environ 30 % des cas.
Sa prévalence augmente de manière importante avec l’âge et la présence de facteurs de risque cardiovasculaires comme l’HTA, le diabète, l’obésité ou le syndrome d’apnée du sommeil (SAS).
Compte tenu de la gravité potentielle de la FA, il est licite de se demander quels patients pourraient bénéficier d’un dépistage précoce par ces objets connectés.
Dans une étude publiée en 2019 (3), l’intérêt du dépistage de la FA a été évalué sur une large population de 419 297 personnes porteuses d’une Apple Watch pendant 8 mois. Dans cette population non sélectionnée, le taux d’alerte sur une FC irrégulière était de 0,52 %. Parmi ces alertes, 34 % étaient réellement de la FA. Ce taux était multiplié par six chez les patients âgés de plus de 65 ans. On peut ainsi conclure que ce type d’objets n’a pas d’intérêt chez des patients à faible risque de développer une FA mais que dans une population âgée (≥ 65 ans), présentant des facteurs de risque cardiovasculaire, il semble pertinent de dépister une FA asymptomatique. Ainsi, les guidelines ESC 2020 recommandent d’effectuer un dépistage de FA systématique chez les patients âgés de plus de 65 ans (sur des périodes de deux semaines) (4).
Compte tenu de la gravité potentielle de la FA, il est licite de se demander quels patients pourraient bénéficier d’un dépistage précoce par objets connectés
Ces objets ont aussi été proposés chez des patients souffrant de pathologies cardiaques spécifiques comme l’insuffisance cardiaque, la cardiomyopathie hypertrophique, ou pour rechercher des anomalies du segment ST ou de l’intervalle QT. Ces indications sont très spécifiques et sont très peu utilisées en soins courants.
Dans tous les cas, il est important de rassurer le patient quant à l’utilisation de ces objets car cela peut générer une augmentation importante de l’anxiété globale chez certaines personnes.
PRISE EN CHARGE D’UNE FA ASYMPTOMATIQUE DIAGNOSTIQUÉE SUR OBJETS CONNECTÉS
Quand une FA est diagnostiquée sur un objet connecté, si le patient est symptomatique, cela revient à une prise en charge classique de la fibrillation atriale. L’indication des anticoagulants est alors liée au calcul du score de CHA2DS2-VASc.
Le problème est plus complexe chez les patients asymptomatiques. En effet, cela revient à dépister de la FA subclinique avec des épisodes d’au moins 30 secondes.
> Antiarythmiques et anticoagulants
Chez un patient asymptomatique, il n’y a pas d’indication à une prise en charge antiarythmique. Cependant se pose la question de l’anticoagulation, notamment après l’évaluation du risque thromboembolique par le score de CHA2DS2-VASc. En l’état actuel des connaissances, il n‘y a pas d’indication systématique à traiter ces patients avec des anticoagulants, même avec des scores de CHA2DS2-VASc élevés (5).
Des données existent concernant la FA subclinique diagnostiquée par des prothèses cardiaques avec surveillance rythmique continue type pacemaker, défibrillateur automatique implantable ou Holter implantable. Quelques études ont recherché l’intérêt de traiter par anticoagulants des patients chez qui une FA de plus de 6 minutes en continu était diagnostiquée par ces appareils avec un score de CHA2DS2-VASc élevé. Ainsi, l’étude Loop, qui a inclus des patients avec holter implantable, FA authentifiée > 6 minutes, âge ≥ 70 ans et au moins un autre critère du score de CHA2DS2-VASc, a montré que le traitement anticoagulant n’était pas associé à une diminution du risque d’AVC (6). L’étude Noah-Afnet 6 (7) a récemment retrouvé que les patients avec une FA subclinique d’au moins 6 minutes et un score de CHA2DS2-VASc ≥ 3 ne bénéficiaient pas d’un traitement par édoxaban (anticoagulant oral direct) en termes de prévention thromboembolique mais présentaient un surrisque hémorragique significatif par rapport au placebo. De plus, récemment, l’étude Artesia a montré que les patients présentant une FA subclinique comprise entre 6 minutes et 24 heures et un score de CHA2DS2-VASc ≥ 3 traités par apixaban avaient une réduction significative du risque d’AVC mais contrebalancé par une augmentation du risque de saignements majeurs par rapport à l’aspirine (8).
Il faut noter que dans ces deux études, le taux d’AVC observé dans la population contrôle était faible, de l’ordre de 1 %, chez des patients avec un score de CHA2DS2-VASc moyen d’environ 4 (taux théorique attendu d’AVC de 4,8 %). Cela signifie probablement que cette FA subclinique ne correspond pas à la même pathologie que la FA standard diagnostiquée sur un ECG ou un Holter ECG de 24 heures et que sa prise en charge précoce par anticoagulants n’est probablement pas associée à une amélioration pronostique pour le patient.
> Le bilan cardiovasculaire
La FA est maintenant considérée comme une pathologie cardiovasculaire globale, associée à des facteurs de risque (FDR) cardiovasculaires. Sa présence est donc le signe d’un dysfonctionnement cardiovasculaire qu’il convient de prendre en charge. Il faut donc proposer au patient un bilan cardiologique plus complet, notamment avec la réalisation d’une échocardiographie à la recherche d’une cardiopathie et un Holter ECG de 24 heures pour rechercher une FA, qui, le cas échéant, nécessitera une prise en charge standard. Un bilan biologique sera aussi réalisé pour rechercher une hypokaliémie ou une hyperthyroïdie, pathologies favorisant la survenue d’une FA.
Le traitement de ce type de FA isolée asymptomatique retrouvée sur des objets connectés passe donc par une meilleure prise en charge des FDR (2) : HTA, diabète obésité, SAS, mais aussi par une modification de l’hygiène de vie : pratique du sport, meilleure hygiène alimentaire (moins de consommation de sel, de gras et de sucres rapides) et une perte de poids si nécessaire. Dans ce cadre, le médecin généraliste joue un rôle majeur.
CONCLUSION
Les objets connectés de la vie quotidienne permettant un enregistrement d’un ECG 1 piste se développent. Ils présentent un intérêt important pour authentifier un trouble du rythme cardiaque chez des patients souffrant de palpitations inexpliquées. Ils permettent aussi de diagnostiquer de la FA asymptomatique. La prise en charge médicamenteuse de ce type d’arythmie, notamment la prescription d’anticoagulants, n’est pas codifiée. Cependant, si une FA asymptomatique est diagnostiquée par un objet connecté, il convient de débuter une prise en charge cardiologique avec un bilan diagnostic (ETT, Holter ECG de 24 heures, bilan biologique) pour rechercher une cardiopathie sous-jacente et une éventuelle FA standard diagnostiquée à l’ECG ou au Holter ECG des 24 heures. Il convient aussi d’effectuer une prise en charge des FDR cardiovasculaires et proposer une amélioration de l’hygiène de vie du patient.
En résumé
> Les objets connectés permettant la réalisation d’un ECG 1 piste sont de plus en plus répandus .
> Ces objets ont un intérêt chez des patients souffrant de palpitations inexpliquées. Ils permettent aussi de dépister automatiquement la fibrillation atriale (FA) asymptomatique (montres connectées).
> Les tracés obtenus sont globalement de bonne qualité et doivent être systématiquement lus par un médecin spécialiste.
> Chez des patients présentant une FA asymptomatique diagnostiquée par une montre connectée, il n’y a pas d’indication systématique à une anticoagulation au long cours. La conduite à tenir repose sur la recherche d’une cardiopathie sous-jacente et la mise en évidence éventuelle d’une FA standard (par un ECG de consultation ou sur un Holter ECG de 24 heures) nécessitant une prise en charge classique.
> Il convient aussi de prendre en charge les facteurs de risque cardiovasculaires du patient et de lui proposer une amélioration de son hygiène de vie.
BIBLIOGRAPHIE
1. Abu-Alrub S, Strik M, Ramirez FD et al. Smartwatch Electrocardiograms for Automated and Manual Diagnosis of Atrial Fibrillation: A Comparative Analysis of Three Models.
Front Cardiovasc Med 2022;9:836375.
2. Go AS, Hylek EM, Phillips KA et al. Prevalence of diagnosed atrial fibrillation in adults: National
implications for rhythm management and stroke prevention: The Anticoagulation and Risk Factors in Atrial Fibrillation (ATRIA), study JAMA 2001;285:2370-2375.
3. Perez MV, Mahaffey KW, Hedlin H et al. ; Apple Heart Study Investigators. Large-Scale Assessment of a Smartwatch to Identify Atrial Fibrillation. N Engl J Med 2019;381:1909-1917.
4. Hindricks G, Potpara T, Dagres N et al; ESC Scientific Document Group. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS): The Task Force for the diagnosis and management of atrial fibrillation of the European Society of Cardiology (ESC) Developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association (EHRA) of the ESC. Eur Heart J 2021;42:373-498.
5. Svennberg E, Tjong F, Goette A et al. How to use digital devices to detect and manage arrhythmias: an EHRA practical guide. Europace 2022;24:979-1005.
6. Svendsen JH, Diederichsen SZ, Højberg S et al. Implantable loop recorder detection of atrial fibrillation to prevent stroke (The LOOP Study): a randomised controlled trial.
Lancet. 2021;398:1507-1516.
7. Kirchhof P, Toennis T, Goette A et al. Noah-Afnet 6 Investigators. Anticoagulation with Edoxaban in Patients with Atrial High-Rate Episodes. N Engl J Med 2023;389:1167-1179.
8. Healey J.S, Lopes R.D, Granger C.B et al. for the Artesia Investigators. Apixaban for Stroke Prevention in Subclinical Atrial Fibrillation. N Engl J Med 2023 ; DOI: 10.1056/NEJMoa2310234.
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