Monsieur F., âgé de 44 ans, a consulté pour un dysfonctionnement rhino-sinusien chronique, associant quelques crises d'acutisation annuelle mais surtout, en dehors de ces crises, de façon quotidienne et perannuelle, une obstruction nasale bilatérale sévère, une rhinorrhée postérieure permanente entraînant des efforts de raclement de gorge, et une anosmie avec une perte de la flaveur. Ces symptômes altèrent beaucoup sa qualité de vie. Bref, le moral n'est pas au beau fixe !
Vous avez demandé un ConeBeam des cavités naso-sinusiennes (ou un examen TDM) sans injection qui a montré des opacités diffuses et bilatérales, prenant tous les sinus de la face, surtout le massif ethmoïdal, aussi bien en avant qu'en arrière de la lame basale du cornet moyen. L'examen fibroscopique nasal réalisé par votre ORL a permis de visualiser la présence de polypes bilatéraux prenant toute la cavité nasale jusqu'au cornet moyen. Les données cliniques – aussi bien l'interrogatoire que l'examen fibroscopique – sont en accord avec les données radiologiques. Vous portez le diagnostic de polypose naso-sinusienne.
QUEL BILAN RÉALISER ?
La polypose naso-sinusienne est une rhino-sinusite diffuse. Cela signifie que la pathologie affecte tous les sinus de la face, aussi bien le massif ethmoïdal que les grand sinus (maxillaire, frontal et sphénoïde).
→ La pathologie est avant tout ethmoïdale : elle affecte l'ethmoïde de façon toujours bilatérale. Une atteinte strictement unilatérale du massif ethmoïdal doit toujours faire craindre la présence d'une tumeur (bénigne comme le papillome inversé, ou maligne comme un adénocarcinome ethmoïdal du menuisier). Il faut retenir le point suivant : une rhino-sinusite diffuse est le témoin d'une maladie intrinsèque de la muqueuse respiratoire nasale et sinusienne. Elle n'est jamais due à un facteur étiologique local.
Étant donc le marqueur d'une maladie intrinsèque de la muqueuse respiratoire, les éléments que l'on doit rechercher signent une atteinte d'autres secteurs de cette même muqueuse respiratoire : le poumon et l'oreille moyenne.
→ Au niveau de l'oreille moyenne, il s'agit d'une otite chronique unilatérale ou bilatérale : la recherche d'une surdité de transmission (Rinne négatif et Weber latéralisé du côté de l'oreille la plus sourde) et une otoscopie sont donc nécessaires.
→ Sur le plan pulmonaire, si le patient ne présente pas de symptômes évocateurs d'asthme (ou une toux chronique), il convient de rechercher une hyperréactivité bronchique non spécifique par des épreuves fonctionnelles respiratoires (le plus souvent normales) couplées à un test à la méthacholine (qui dépistera l'hyperréactivité).
Enfin, la polypose naso-sinusienne peut prendre la forme de deux tableaux cliniques différents :
– une polypose naso-sinusienne isolée
– une polypose naso-sinusienne associée à un asthme
Dans le second cas, c'est une évolution vers une maladie respiratoire diffuse affectant tout le tissu respiratoire, avec à terme la classique triade de Widal (Samster aux USA) comportant une polypose naso-sinusienne, un asthme (ou hyperréactivité) et une intolérance (ce n'est pas une allergie IgE dépendante mais une réaction résultant d'un processus biochimique lié à la dégradation des phospholipides membranaires) à l'aspirine, aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et aux sulfites. Lorsque le patient a déjà un asthme et une polypose naso-sinusienne, il faut contre-indiquer la prise d'AINS et d'aspirine. L'intolérance aux sulfites (tableau 1) se manifeste par l'apparition de manifestations respiratoires (asthme, toux, obstruction nasale, rhinorrhée, œdème de Quincke) après la consommation de vin. Comme pour la prise d'aspirine ou d'AINS, les réactions apparaissent généralement 15 à 20 minutes après la prise du produit.
→ Il faut savoir que les polyposes naso-sinusiennes isolées répondent beaucoup mieux au traitement que les polyposes naso-sinusiennes entrant dans le cadre d'une maladie de Widal. Ces dernières nécessitent plus souvent un acte chirurgical.
QUE DIRE AU PATIENT ?
Lorsque le diagnostic de polypose naso-sinusienne est porté, il est essentiel d'informer avec précision – comme on le ferait pour une maladie asthmatique ou un diabète – de la nature de sa maladie. Cette information est indispensable afin de limiter le nomadisme médical, fréquent et délétère dans cette pathologie. Plusieurs points doivent être bien précisés.
→ Il s'agit d'une maladie chronique du système respiratoire : chronique signifie qu'il n'est pas possible de la guérir en prenant un traitement médical ou en bénéficiant d'une intervention chirurgicale. Le traitement modère la maladie mais ne la guérit pas. Cela signifie qu'il doit être conçu comme quotidien, permanent et à vie.
La base est un traitement médical : la chirurgie n'est proposée qu'en cas d'échec du premier. Il n'a pas pour vocation de guérir la maladie mais de permettre de mieux la contrôler.
→ Le traitement repose sur les corticoïdes, avec deux types d'administration possibles : la voie locale, permanente et quotidienne ; la voie orale qui doit être limitée du fait de ses effets secondaires. On considère actuellement qu'il ne faut pas excéder trois cures annuelles d'une semaine de corticoïdes per os.
Les patients ayant tendance à oublier ces principes, il est important de les rappeler régulièrement.
Vous interrogez Monsieur F. qui vous signale ses antécédents : un asthme pauci-symptomatique et modéré traité par de la Ventoline à la demande. Il a parfois des manifestations respiratoires sous forme d'une toux survenant une quinzaine de minutes après la consommation de certains vins, blancs notamment.
QUEL TRAITEMENT PRESCRIRE ? QU'EN ATTENDRE ?
Le traitement de la polypose naso-sinusienne repose actuellement sur la corticothérapie (tableau 2). Il comporte :
→ Un lavage quotidien des cavités nasales avec un soluté salé isotonique.
→ Une corticothérapie locale (tableau 2), à raison de deux pulvérisations par narine matin et soir, soit une dose d'attaque de 8 pulvérisations par jour au total. Tous les corticoïdes locaux contenant 120 doses, un flacon ne dure que 15 jours. Il faut donc en prescrire deux par mois et expliquer au patient qu'il doit changer de flacon tous les 15 jours. Lorsqu'il pulvérise le produit, il ne doit pas renifler (car le produit serait projeté dans le pharynx et le poumon) mais bloquer sa respiration nasale (en respirant par la bouche) durant la pulvérisation et la minute qui suit. C'est un point essentiel pour rendre le traitement efficace.
→ Une corticothérapie orale par un corticoïde de demi-vie courte type Prednisone DCI à raison de 1 mg/kg/jour durant huit jours. Il faut bien entendu respecter les contre-indications, ne pas prescrire des doses décroissantes (même dose de J1 à J7 avec arrêt brutal – il n'y a pas d'effet rebond) et, si la polypose est infectée, y associer un antibiotique de large spectre type amoxicilline-acide clavulanique DCI (2 à 3 g par jour en deux ou trois prises, selon le poids et en l'absence d'allergie à la pénicilline).
Voici huit mois que vous traitez Monsieur F. avec des lavages bi-quotidiens des cavités nasales et une corticothérapie locale. Il a très correctement suivi le traitement prescrit, en utilisant la corticothérapie locale bi-quotidiennement, sans manquer de prise. Il effectue également matin et soir ses lavages de cavités nasales. Malgré ce traitement local bien suivi, Monsieur F. ne voit pas d'amélioration durable de son état nasal. Il a certes moins de crises d'acutisation, mais persiste une obstruction nasale majeure et une anosmie. La rhinorrhée postérieure est toujours présente mais moins abondante. L'examen fibroscopique nasal découvre toujours des polypes de stade 1 (figure 1). Devant cet inconfort persistant et altérant la qualité de vie du patient au quotidien, vous avez dû prescrire depuis neuf mois trois cures courtes de corticoïdes oraux, dont l'efficacité toute relative est limitée à une période d'environ trois semaines.
QUEL NOUVEAU TRAITEMENT PROPOSER ?
Le traitement médical a été bien mené et l'observance a été excellente. On se trouve donc devant un patient ayant une polypose naso-sinusienne cortico-dépendante. Il faudrait beaucoup plus que trois cures annuelles pour le soulager.
C'est donc une excellente indication chirurgicale, qui repose sur trois critères : des symptômes invalidants altérant la qualité de vie, une résistance au traitement médical malgré une bonne observance, et la nécessité de dépasser trois cures courtes annuelles de corticoïdes per os pour soulager le patient. Le patient doit par ailleurs accepter les risques chirurgicaux et ne présenter aucune contre-indication à la chirurgie.
Monsieur F. bénéficie d'une ethmoïdectomie endonasale bilatérale sous navigation assistée par ordinateur. Tous les gestes sont réalisés par les voies nasales naturelles et consistent à enlever la totalité des lésions polypoïdes mais surtout les cloisons ethmoïdales afin de diminuer la surface de muqueuse respiratoire malade. Lorsque le geste chirurgical est complet (figures 2A et 2B), environ 80 % des patients ne sont plus gênés par l'obstruction nasale et le syndrome rhinorrhéique. L'intervention est moins efficace sur le sens olfactif : un tiers des patients retrouvent un odorat fiable, lequel redevient fluctuant pour la même proportion. Le dernier tiers reste anosmique. Bien entendu, la pathologie intrinsèque de la muqueuse respiratoire n'étant pas guérie, le traitement médical doit reprendre en période post-opératoire.
CONCLUSION
La polypose naso-sinusienne est la plus sévère forme de rhino-sinusite chronique. Elle représente environ 40 % des rhino-sinusites et affecte 5 à 6 % de la population adulte. Elle doit être suspectée devant des symptômes rhino-sinusiens associés à une perte de l'odorat (anosmie).
Bibliographie :
Le Livre de l'Interne en ORL, sous la direction de Pierre Bonfils. Editions Lavoisier, 2e édition, 2017, 800 pages (format poche).
Liens d'intérêts :
Aucun.
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