En France, la proportion d’enfants entre 5 et 12 ans en surpoids (≥ 97e percentile des références françaises) est passée de 6 % à la fin des années 70 à 10 % au début des années 90 et à 13 % en 1996. L'augmentation de la prévalence est plus forte pour l’obésité que pour le surpoids entre 1990 et 2000. Depuis les années 2000 on observe une stabilisation de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez l’enfant. En 2007 d'après l'InVS, la prévalence du surpoids incluant l’obésité chez des enfants de 7 à 9 ans était de 18,4 % (2). Si l'on considère la tranche d'âge 3-17 ans, l'Etude nationale nutrition santé (ENNS 2006 ; réf 3) retrouve un chiffre identique (18 %).
L’obésité dans l’enfance est associée à une augmentation du risque de mortalité prématurée à l’âge adulte. Elle expose les enfants à un risque important de persistance à l’âge adulte : la probabilité qu’un enfant obèse le reste à l’âge adulte varie selon les études de 20 % à 50 % avant la puberté, à 50 % à 70 % après la puberté. Les dernières recommandations de la HAS sur la prise en charge du surpoids et de l'obésité chez l'enfant et l'adolescent prennent donc ici toute leur importance (1, 4).
L'IMC, BASE DE LA SURVEILLANCE (1, 4)
-› L'IMC (indice de masse corporelle) permet d'estimer l'adiposité, et se définit par le rapport du poids en kg par la taille (en m) au carré : IMC = poids (kg) / taille2 (m2). Le calcul au moyen d'un disque est possible, sans être aussi précis que l'utilisation d'une calculatrice.
-› Différentes courbes de corpulence sont disponibles, les plus utilisées en France sont les courbes de corpulence françaises et les seuils de l’International Obesity Task Force (IOTF) (lire encadré E1).
Les courbes utilisées en France en pratique clinique depuis 2010 superposent les références françaises en percentiles et les références de l’IOTF. Les carnets de santé délivrés actuellement comportent (outre les courbes de taille et de poids) les courbes de corpulence des filles et des garçons, exprimées en centiles, mais ne mentionnent pas les seuils IOTF. Ceux-ci apparaissent sur les courbes issues du PNNS et des recommandations HAS (fig 1 et 2).
• Surpoids (incluant l’obésité) : IMC ≥ 97e percentile des courbes de corpulence de référence françaises.
• Obésité : IMC ≥ seuil IOTF-30.
• Le surpoids sans obésité correspond à un IMC supérieur ou égal au 97e percentile mais inférieur à la valeur IOTF – 30.
-› L'IMC doit donc être surveillé systématiquement quels que soient l’âge, la corpulence apparente et le motif de la consultation :
• de la naissance à 2 ans : au minimum 3 fois par an ;
• après l’âge de 2 ans : au minimum 2 fois par an.
Il est recommandé d’être particulièrement attentif aux enfants présentant des facteurs de risque précoces de surpoids et d’obésité (encadré 2) et aux enfants de familles en situation de vulnérabilité.
Par ailleurs, la courbe d'IMC doit être accompagnée des courbes de taille et de poids, ces trois éléments devant figurer dans le carnet de santé.
-› Les signes d'alerte à repérer sur la courbe de corpulence : ascension continue de la courbe depuis la naissance, rebond d’adiposité précoce, changement rapide de couloir vers le haut. Ces signes sont associés à un risque plus élevé de développer un surpoids et une obésité.
Physiologiquement, l’IMC croît fortement pendant la première année de vie, puis décroît à partir de l’âge de 12 mois jusqu'à l'âge de 6 ans, avant une nouvelle augmentation continue jusqu’à la fin de la croissance. Cette nouvelle augmentation de l’IMC est appelée "le rebond d’adiposité". Ainsi, vers l'âge de six ans, les enfants de corpulence normale paraissent minces, tandis que l’excès pondéral des enfants dont l’IMC se situe autour du 97e percentile peut ne pas paraître évident cliniquement. C’est seulement en traçant la courbe d’IMC de l’enfant que l’on peut visualiser cet excès pondéral.
Quant à l’âge au rebond d’adiposité, il est corrélé à l’adiposité à l’âge adulte : plus il est précoce, plus le risque de devenir obèse est élevé. L’IMC à l’âge de 6 ans apparaît ainsi comme un élément prédictif de l’IMC à 20 ans. Et ce indépendamment de l'obésité parentale. En cas de rebond d’adiposité précoce, il est recommandé d’expliquer à la famille l’importance du suivi de la courbe de corpulence.
Une obésité très précoce, en particulier avec ascension continue de la courbe d’IMC depuis la naissance, doit évoquer et faire rechercher une obésité génétique (monogénique ou syndromique).
Lorsque le surpoids ou l'obésité sont évidents, l’utilisation des courbes de référence est tout de même nécessaire pour quantifier le niveau de surpoids et son évolution.
-› En cas de surpoids, il est recommandé de mesurer également le tour de taille (périmètre abdominal) et le rapporter à la taille pour évaluer la répartition de la masse grasse. Le tour de taille est mesuré sur un enfant debout, à mi-distance entre la dernière côte et la crête iliaque ou au niveau du périmètre abdominal le plus petit. Si le rapport tour de taille / taille (TT/T) est supérieur à 0,5, l’enfant présente un excès de graisse abdominale.
-› Au moment de l'annonce du diagnostic, les termes utilisés doivent être choisis de manière adaptée pour éviter de blesser, de vexer, de dramatiser ou de faire culpabiliser, en utilisant la courbe d'IMC comme outil pédagogique.
L'ÉVALUATION INITIALE (1, 4)
Réalisée par le médecin traitant, elle comporte un examen clinique comprenant la recherche de facteurs associés et des comorbidités, et un entretien de compréhension centré sur l’enfant et sa famille. Plusieurs consultations peuvent être nécessaires.
L'approche clinique
-› Reconstitution des courbes. Outre les mesures du poids, de la taille, du tour de taille, et le calcul de l’IMC, il est recommandé de procéder à la reconstitution des courbes de poids et taille et de corpulence à partir des données antérieures de poids et de taille (carnet de santé).
-› L'entretien avec la famille recherche des antécédents personnels et familiaux (y compris la fratrie) évoquant l’existence d’un facteur de risque étiologique ou de complications. Il faut également repérer d’éventuels signes de souffrance psychologique, en particulier de trouble de l’estime de soi et du corps. La prise de certains médicaments susceptibles d'induire une obésité iatrogénique est à rechercher : antipsychotiques atypiques et neuroleptiques (rispéridone, olanzapine), antiépileptiques et thymorégulateurs (dépakine, tégrétol), certains antidépresseurs, corticothérapie, chimiothérapie anticancéreuse ou antileucémies.
-› L'examen médical comprend un examen cardiorespiratoire, l'appréciation de la motricité et de l'état ostéo-articulaire, l'évaluation du stade pubertaire, ainsi que la recherche des signes d’une obésité secondaire : obésité de cause endocrinienne, suspectée notamment par un ralentissement de la croissance staturale (hypercorticisme, hypothyroïdie, déficit en GH), obésité syndromique liée à certaines maladies génétiques, ou obésité monogénique en rapport avec des mutations génétiques (voir annexe 3 des recommandations HAS ; réf 4).
Un avis spécialisé est nécessaire devant toute suspicion d'obésité endocrinienne ou syndromique, et en cas d'obésité d’évolution très rapide ou de complications : HTA, complications métaboliques, retard pubertaire, rachialgies, troubles du sommeil, troubles du comportement... (voir liste des complications et comorbidités en annexe 4 des recommandations de la HAS ; réf 4).
Les examens complémentaires
-› Il n'y a pas lieu d'en programmer chez un enfant présentant un surpoids sans obésité sans signe clinique évocateur d’une comorbidité ou d’une étiologie et sans antécédent familial de diabète ou de dyslipidémie.
-› En revanche, chez un enfant en surpoids avec antécédent familial de diabète ou de dyslipidémie OU chez un enfant présentant une obésité (IMC ≥ seuil IOTF-30), le bilan suivant doit être systématique :
• exploration d'une anomalie lipidique, avec dosage du cholestérol total, du HDL-C et des triglycérides plasmatiques, et calcul du LDL-C ;
• glycémie à jeun ;
• transaminases (ASAT, ALAT).
L'entretien de compréhension et le diagnostic éducatif
-› L’entretien de compréhension permet de recueillir les données pour élaborer le diagnostic éducatif. Son but est d’identifier les leviers sur lesquels il est possible d’agir pour modifier les habitudes de vie ayant contribué au développement et au maintien de l’obésité (sédentarité, temps passé devant les écrans, stress familiaux, conditions de prise des repas, …)
-› L'entretien explore ainsi les conditions de vie de l’enfant ou de l’adolescent au sein de sa famille et de son entourage, ainsi que leurs connaissances, représentations, et ressentis. Il identifie les attentes de l’enfant, évalue ses compétences dans la pratique de l’exercice physique et ses capacités d'adaptation, et apprécie sa motivation et de celle de sa famille à apporter des changements à leur mode de vie.
À partir de 8/10 ans, il peut être intéressant de prévoir, en plus des entretiens en famille, des temps d’entretien séparés pour les enfants et les parents. Chez l’adolescent ces temps séparés doivent être systématiquement proposés.
-› Au terme de l'entretien, il est recommandé d’en faire une synthèse avec le patient et la famille, afin de définir les difficultés, les ressources et le savoir-faire de l’enfant et de sa famille et les priorités de la prise en charge. Le médecin aide ensuite l’enfant/adolescent et sa famille à trouver des solutions. Ils choisissent avec le médecin un nombre limité d’objectifs précis, impliquant un changement de comportement qu’ils se sentent capables de réaliser, et envisagent ensemble les stratégies permettant d’atteindre leurs objectifs.
Dans tous les cas, le soignant veille à ce que les recommandations qu'il prodigue ne soient pas vécues comme une remise en question du mode d’éducation des enfants.
QUELLE PRIS EN CHARGE ?
Le médecin traitant en 1er recours
-› Trois types de prise en charge, en fonction de la gravité de la situation.
=› Le niveau de 1er recours concerne le médecin habituel de l'enfant. Il assure la prise en charge de proximité en cas de surpoids ou d'obésité commune (par opposition aux obésités secondaires), en présence d'un contexte familial favorable, et en l'absence de problème psychologique et social majeur. Outre la réalisation de l'évaluation initiale, le médecin décide des orientations nécessaires, éventuellement accompagné par d'autres professionnels (médecins spécialistes, diététicien, psychologue, professionnel en activités physiques adaptées), dans le cadre d'un réseau ou non.
=› Le 2e recours fait appel à des professionnels spécialisés, en cas d'échec de la prise en charge de 1er recours, en cas d'ascension brutale de la courbe d'IMC, de comorbidités associées, de contexte familial défavorable, de problèmes psychologiques ou sociaux. Dans ce cas, le médecin traitant coordonne les soins.
=› En cas d'échec de la prise en charge de 2e ligne, de comorbidités sévères, de handicap dans la vie quotidienne, de contexte familial très défavorable, le 3e recours correspond à une prise en charge coordonnée par un médecin et un centre spécialisé.
-› Un suivi mensuel ou trimestriel d'au moins deux ans est recommandé. La perte de poids n'est pas un objectif prioritaire chez l'enfant et l'adolescent en surpoids ou obèse, l'objectif étant plutôt de ralentir la progression de la courbe de corpulence. Ainsi, chez l’enfant en cours de croissance, le but est de stabiliser le poids ou de ralentir la prise de poids pendant que la croissance se poursuit, tandis que chez l’adolescent en fin de croissance, l’objectif est de stabiliser le poids ou d’en perdre très progressivement. Tout enfant/adolescent peut avoir son propre objectif pondéral.
Parfois, une réduction de l’IMC est recommandée : surpoids ou obésité avec comorbidités sévères (intolérance au glucose ou diabète de type 2, troubles respiratoires et apnées du sommeil, complications orthopédiques ou hépatiques sévères…), présence d'un handicap lié à l’obésité (incapacité à se déplacer, difficultés à accomplir les actes de la vie quotidienne).
-› La prise en charge est basée sur les principes de l'éducation thérapeutique. Elle ne doit pas se focaliser sur le poids mais sur les causes ayant amené cette prise de poids, en combattant le déséquilibre entre apports et dépenses énergétiques à l'origine de la surcharge pondérale.
Quelques repères diététiques
-› L'accompagnement diététique a pour but d'obtenir un changement durable dans les habitudes alimentaires de l'enfant et de son entourage. Les repères nutritionnels du PNNS pour l’enfant et l’adolescent adaptés à la population générale (5) sont valables pour la majorité des enfants et adolescents en surpoids ou obèses.
-› Les régimes à visée amaigrissante ne sont pas recommandés, quelle qu'en soit la nature (hypocalorique ou hyperprotidique…) car ils sont nocifs et inefficaces à long terme.
Aucun aliment ne doit être interdit, sous peine d'induire ou de renforcer un phénomène de restriction cognitive (préoccupations excessives à l’égard du poids conduisant le patient à contrôler son alimentation, ceci pouvant favoriser ensuite une phase de désinhibition avec perte de contrôle et hyperphagie compensatrice).
-› Les objectifs sont retenus en accord avec le patient et sa famille en tenant compte de leurs goûts. En pratique, ils peuvent porter sur :
• le choix des aliments (qualité, quantité),
• les prises alimentaires : repas, collations, grignotage (rythme et répartition dans la journée, nombre, durée, prise du repas à la cantine ou à la maison, seul ou non)
• les perceptions liées à l'alimentation (faim, satiété, envie, plaisir).
Augmenter l'activité physique
-› Le médecin peut requérir l'appui d'un médecin du sport, d'un masseur-kinésithérapeute ou d'un enseignant en activité physique adaptée (APA) et santé, afin d'aider le jeune patient à être moins sédentaire et à augmenter sa quantité d'activité physique.
Les notions de plaisir, de rencontre et de bien-être physique et psychique doivent être mises en avant pour faciliter la pratique d’une activité physique et son maintien au long cours.
-› Chez l’enfant de moins de 6 ans, les activités physiques sont réparties dans la journée et se produisent de manière spontanée. Dès que l’enfant sait marcher, ses parents et l’entourage doivent veiller à ce qu’il ne reste pas inactif : éviter l’utilisation de la poussette, l’amener au square, partager des activités en famille (jeux actifs, promenade…). Par ailleurs, les temps d’écran sont déconseillés chez les moins de 3 ans et devraient être très limités au-delà.
-› Chez l’enfant à partir de 6 ans et l’adolescent, il est recommandé de parvenir à cumuler plus de 60 minutes d’activité physique quotidienne modérée à intense, sous forme de :
• jeux : activité récréative notamment à l’extérieur : ballon, vélo, rollers, Frisbee…
• loisirs : danser, aller à la piscine, à la patinoire, au bowling,
• sports : scolaire, association sportive, maison de quartier,
• déplacements : promener le chien, aller à l’école à vélo, privilégier les escaliers,
• activités de la vie quotidienne : passer l’aspirateur, faire les courses, tondre la pelouse…
Par ailleurs, limiter les comportements sédentaires, notamment les temps d’écran à visée récréative (télévision, console de jeux, ordinateur, téléphone portable).
Pas de médicaments ni de chirurgie
Les traitements médicamenteux de l’obésité de l’adulte (orlistat) n’ont pas d’indication dans la prise en charge de l’obésité chez l’enfant et l’adolescent. Leur utilisation n’est pas recommandée sauf dans des cas très particuliers et par des équipes spécialisées (3e recours). La chirurgie bariatrique n’a pas non plus d’indication dans ce contexte.
L'accompagnement psychologique
L’état émotionnel de l’enfant/adolescent, ainsi que l’environnement familial et social doivent être évalués initialement puis tout au long de la prise en charge.
L’orientation vers un psychologue et/ou un pédopsychiatre est recommandée en cas de souffrance psychique intense ou persistante, d’obésité sévère, de psychopathologie, de facteurs de stress familiaux ou sociaux, de projet de séparation d’avec les parents (séjour en centre de Soins de suite et de réadaptation [SSR]), ou encore en cas d'échec de prise en charge.
Les SSR
Lorsque la situation nécessite une prise en charge de 2ème ou 3ème recours, un séjour thérapeutique en établissement de soins de suite et de réadaptation peut être organisé.
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