Les tachycardies jonctionnelles sont fréquentes. Si leur description clinique remonte à avant l’époque de l’ECG (elles avaient été décrites par un certain Bouveret, d’où le terme de tachycardies de Bouveret), et leurs symptômes caricaturaux, leur évolution reste dominée par leur caractère récidivant qui a rendu leur traitement difficile. Ce traitement a, cependant, connu des améliorations récentes – en premier lieu la cryoablation- qui restent peu connues du corps médical.
QUEL EST LE MECANISME DE CES TACHYCARDIES ?
Ces tachycardies sont dites jonctionnelles car ce sont des tachycardies réentrantes impliquant le nœud auriculo-ventriculaire. La réentrée implique alors, soit uniquement le nœud auriculo-ventriculaire (c’est la réentrée intranodale), soit une voie de conduction accessoire ou faisceau de Kent (c’est la réentrée sur voie accessoire) (figure 1).
Réentrée intranodale
Le nœud auriculo-ventriculaire est, alors, le siège d’une dualité de conduction. Il comporte deux voies, une voie lente et une voie rapide. Ces deux voies ont des propriétés électrophysiologiques distinctes :
- La voie lente a une vitesse de conduction lente et une période réfractaire courte.
- La voie rapide a une vitesse de conduction rapide et une période réfractaire longue.
En rythme sinusal, la conduction se fait par les deux voies dans le sens antérograde.
Le déclenchement de la tachycardie est favorisé par la survenue d’extrasystoles. En cas d’extrasystole atriale, par exemple, l’influx empreinte la voie lente (car la voie rapide est dans sa période réfractaire), et se trouve conduit au ventricule. Après avoir activé la voie lente, l’influx active la voie rapide de manière rétrograde, après que celle-ci soit sortie de sa période réfractaire. L’influx après avoir activé la voie lente, activera à nouveau la voie rapide, enclenchant une nouvelle macro-réentrée. On parle de réentrée de type slow-fast, qui est le mécanisme le plus fréquent de réentrée intranodale, sachant que d’autres réentrées intranodales, plus rares existent : fast-slow, slow-slow.
Les réentrées par voie accessoire
Les faisceaux de Kent sont des voies accessoires, de conduction non décrémentielle. Ces voies peuvent conduire aussi bien dans le sens antérograde que dans le sens rétrograde.
Pour débuter une tachycardie jonctionnelle, une des deux voies doit être activée de manière prématurée. Par exemple, une extrasystole ventriculaire peut activer de manière rétrograde la voie accessoire, puis l’influx ira dépolariser les oreillettes, puis la voie nodo-hissienne dans le sens antérograde (on parle de tachycardie orthodromique). L’influx électrique atteint ensuite le ventricule et dépolarise à nouveau la voie accessoire débutant une nouveau de cycle de réentrée.
A noter que la voie accessoire n’a pas obligatoirement de conduction dans le sens antérograde. Une pré-excitation (et un syndrome de Wolff-Parkinson-White) ne sont pas obligatoirement visibles à l’électrocardiogramme, dans ce cas.
QUELLE EST LA CLINIQUE ?
Les symptômes sont ceux décrits par Bouveret :
- Crises de palpitations.
- Régulières.
- A début brusque.
- A fin, habituellement brusque.
- Fréquemment récidivantes.
Les tachycardies touchent des sujets jeunes (avec des crises ayant débuté dans l’enfance le plus souvent), particulièrement pour les tachycardies impliquant une réentrée par une voie accessoire.
Les tachycardies touchent des sujets d’âge moyen (particulièrement des femmes de 40 à 50 ans), particulièrement pour les tachycardies par réentrée intranodale.
Il est habituel de constater que les patients présentant des tachycardies par réentrée intranodale décrivent des palpitations ressenties à la base du cou.
Les crises de palpitation sont de durée variable. Certaines s’arrêtent spontanément, et d’autres nécessitent des manœuvres vagales ou médicamenteuses. Les palpitations peuvent s’accompagner d’autres symptômes cardio-vasculaires (dyspnée, douleurs thoraciques, lipothymies ou syncopes) qui sont des signes de gravité.
QUE MONTRE L’ECG ?
L’ECG montre une tachycardie dont la fréquence usuelle est de 160 à 220 bpm.
Le caractère supraventriculaire est évoqué sur l’aspect des QRS qui sont fins. Cependant, les QRS peuvent être élargis en raison d’un bloc de branche organique ou fonctionnel ou si la tachycardie, impliquant une voie accessoire, est antidromique (c’est à dire que la conduction nodale se fait dans le sens rétrograde ventriculo-atrial).
L’objectif lors de l’analyse d’une tachycardie par QRS fins est de rechercher la présence d’ondes P et d’évaluer la relation P/QRS.
Les ondes P, dans une tachycardie jonctionnelle ont une relation 1/1 avec le QRS. Dans le cas d’une réentrée intranodale, l’onde P est habituellement « cachée » dans le QRS (dans les 80 ms suivant le début de l’onde R). Dans le cas d’une réentrée sur une voie accessoire, le délai entre le début du QRS et l’onde P est habituellement plus long, avec une onde P rétrograde souvent identifiable après la fin du QRS (figure 1).
L’analyse de l’ECG en tachycardie, souvent difficile, est facilitée par sa comparaison à l’aspect ECG en rythme sinusal, permettant d’identifier les ondes P (qui apparaissent sous forme d’une déformation du QRS ou de la repolarisation).
QUEL EST LE TRAITEMENT DE L’URGENCE ?
Manœuvres vagales
Le traitement de l’urgence est représenté par les manœuvres vagales. Elles peuvent être utilisées au cabinet ou aux urgences ou dans le camion du SAMU. La compression des globes oculaires est maintenant abandonnée.
- On utilise le massage sino-carotidien. Celui-ci doit être précédé d’une auscultation carotidienne à la recherche d’un souffle vasculaire. A ce titre, il ne sera pas fait chez un patient présentant un athérome carotidien. Le massage carotidien est unilatéral. En cas d’échec, il sera réalisé du coté controlatéral. L’ECG doit être enregistré en continu au cours de cette manœuvre.
- Des manœuvres vagales réalisables par le patient lui-même pour traiter une crise.
On peut ainsi conseiller au patient d’essayer de :
- boire une verre d’eau froide.
- faire une manœuvre de Valsalva.
- se faire un massage carotidien unilatéral.
Adénosine
En cas d’échec du massage sino-carotidien, le traitement recommandé en première intention est l’adénosine. L’injection est réalisée sous monitoring ECG aux urgences ou par le SAMU. La dose est d’une ampoule de 20 mg en intraveineux direct. Sa seule contre-indication est l’asthme.
Inhibiteurs calciques
Certains préfèrent utiliser un inhibiteur calcique ralentisseur tel que le verapamil ou le diltiazem. Le traitement est habituellement administré en intraveineux aux urgences ou par le SAMU. A noter que ces traitements peuvent permettre de réduire certaines tachycardies ventriculaires (les tachycardies ventriculaires fasciculaires).
L'ABLATION POUR QUI?
L’ablation par radiofréquence
C’est la méthode de référence du traitement interventionnel des tachycardies sur voie accessoire. Le taux d’efficacité de la méthode dans cette indication est supérieur à 95% avec un taux de récidive inférieur à 5% (3).
L’ablation par radiofréquence est la méthode la plus efficace du traitement interventionnel des tachycardies par réentrée intranodale. Elle consiste en l’ablation de la voie lente. Cependant, en raison de la proximité de la voie lente et de la voie rapide, elle peut se compliquer d’un bloc auriculo-ventriculaire définitif aux conséquences fâcheuses notamment chez les sujets les plus jeunes.
La cryoablation
Elle constitue une alternative récente à la radiofréquence. Elle a comme avantage principal de ne pas entraîner de bloc auriculo-ventriculaire définitif (même rare) qui aurait des conséquences fâcheuses car nécessitant l’implantation d’un pacemaker avec ses risques inhérents (2). Elle est, actuellement la méthode préférentielle de traitement des réentrées intranodales. Son taux d’efficacité est d’environ 95%. Le taux de recidive est différent suivant les séries, et semble proche de 15% dans certaines séries. La sécurité de la cryoablation a comme contre partie une efficacité moindre.
- Comment agit la cryoablation ? La protoxyde d’azote est injecté dans le cathéter. A l’extrémité du cathéter, le protoxyde d’azote passe de l’état liquide à gazeux. Ce changement d’état qui engendre le froid. Le refroidissement tissulaire engendre au début une inhibition réversible de la fonction cellulaire sans nécrose (appelée « cryomapping »). La sonde est alors parfaitement stable (la formation du glaçon permet de stabiliser la sonde au bout d’une dizaine de secondes). Un refroidissement plus important engendre une congélation de la cellule avec apoptose puis une nécrose tissulaire (figure 2). Ainsi, du fait du moindre risque de complication qui lui est associé, la cryoablation pourrait être proposée plus précocement dans l’arsenal thérapeutique des tachycardies par réentre intranodale.
- Les indications restent les mêmes que celles de l’ablation par radiofréquence. Elles sont bien précisées dans les recommandations des sociétés savantes (et notamment de la Société Européenne de Cardiologie) (1). En effet, en cas de tachycardie par réentrée intranodale, l’ablation peut être proposée avec une classe de recommandation I pour les patients présentant des crises de tachycardies réciproques récidivantes ou pour ceux ayant des crises mal tolérées. Pour les réentrée voie accessoire, l’ablation est indiquée avec une classe I pour tous les cas de voies accessoires, excepté lorsque les crises de tachycardies jonctionnelles ne sont pas prolongées et d’arrêt spontané ou pour les pré-excitation asymptomatiques (indication de clases IIa).
LES MESSAGES POUR LA PRATIQUE : QUE DIRE AU PATIENT ?
Le patient doit être informé que les crises de tachycardies jonctionnelles sont habituellement bénignes.
- Si les crises sont rares, d’arrêt spontané (ou par le patient) et sans critère de gravité : pas de traitement.
- Si les crises sont fréquentes, prolongées ou accompagnées de signes de gravité (hypotension, collapsus voir état de choc ou insuffisance cardiaque), il y a indication à un traitement.
On doit expliquer les deux possibilités de traitement :
- Traitement médicamenteux chez les patients acceptant de prendre un traitement au long cours et refusant l’ablation.
- L’ablation (intérêt de la cryoablation en cas de réentrée intranodale) chez les patients ne voulant pas prendre un traitement au long cours, d’autant que ce traitement a pourcentage élevé de succès à long terme.
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)