Dr Laurent Delaunay (CNP d'anesthésie-réa) : « Si on ouvre l’accès direct aux IPA, il y aura forcément des retards de diagnostic »

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Publié le 21/02/2023
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Crédit photo : Nicolas Kalogeropoulos

Adoptée le 14 février au Sénat en première lecture, la proposition de loi (PPL) de la députée Stéphanie Rist (Renaissance), qui prévoit l'accès direct à certaines professions paramédicales et l'extension du champ de compétences des infirmières en pratique avancée (IPA), n’a pas uniquement provoqué la colère d'une partie des médecins libéraux. Certains syndicats hospitaliers sont aussi vent debout contre le texte, tout comme le Conseil national professionnel d'anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire (CNP ARMPO). Son président, le Dr Laurent Delaunay réagit aux récents propos de Stéphanie Rist.

LE QUOTIDIEN : Actions praticiens hôpital (APH) demande le retrait de l’article 1 qui permettrait d’ouvrir « le primo-recours, le primo-diagnostic et la primo-prescription » aux IPA. Quelle est votre position ?

Dr LAURENT DELAUNAY : Comme APH, nous sommes opposés à l’ouverture de l’accès direct. Le Sénat a un peu temporisé en limitant les accès directs des paramédicaux aux seules structures intégrées partageant une patientèle commune : maisons et centres de santé, équipes de soins primaires et spécialisés. Mais ce n’est pas non plus la solution. Nous sommes favorables à la délégation de tâches, avec des possibilités de prescription pour les infirmières qui ont eu une formation ad hoc. Avec l’ouverture de l’accès direct aux IPA, on revient aux officiers de santé du XIXe siècle.

Qu’est-ce qui vous dérange exactement ?

La loi de 2016 sur l’exercice de la pratique avancée prévoyait que les IPA s’intègrent dans des parcours de pathologies chroniques, au sens large du terme. Ils peuvent tout à fait réaliser une partie du suivi, prescrire ou adapter les traitements, dans le cadre d’une délégation de tâche. On pourrait citer l’exemple de la cancérologie, des patients diabétiques ou des patients douloureux chroniques. Néanmoins, le médecin doit rester celui qui réalise le diagnostic et définit une stratégie thérapeutique, tout simplement parce qu’il a été formé pour cela ! Il faut distinguer la délégation de tâches du transfert de compétences. Le diagnostic doit être fait par un médecin. Ce n’est que dans un deuxième temps que la prise en charge doit être déléguée à des infirmiers.

Les syndicats hospitaliers mettent en garde contre une « médecine à deux vitesses ». Est-ce également votre point de vue ?

Si on ouvre l’accès direct, il y aura forcément des retards de diagnostic et de prises en charge. Si on raisonne sur des cas particuliers, une très bonne IPA peut parfaitement faire un meilleur diagnostic qu’un très mauvais médecin. Mais cela ne sera pas le cas à l’échelon macroscopique. Les IPA sont en général spécialisés sur une seule pathologie : douleurs chroniques, cancérologie, etc. Mais un patient peut avoir une pathologie spécifique, tout en ayant un cancer qui se déclare. Or, seuls les médecins, qui ont appris une vingtaine de matières, ont une vision globale sur un patient. Comment peut-on imaginer qu’en faisant trois ans plus deux ans d'études on puisse arriver au même niveau de compétences que les médecins ? Si nous faisons au moins dix ans d’études, ce n’est pas pour rien !

Êtes-vous favorables à ce que les infirmières anesthésistes (Iade) puissent accéder à la pratique avancée ?

Nous n’avons pas bougé d’un iota sur notre position : il faut une reconnaissance de leur statut spécifique mais, en l’état, les Iade ne peuvent pas être des IPA. Au bloc opératoire, ils ne nous appellent pas à chaque fois qu’ils refont un myorelaxant ou une dose de morphine ! Ils ont un degré d’autonomie sur ce terrain-là. Il est important de déléguer, à condition que le personnel paramédical soit bien formé. Et il faut que cela reste sous la responsabilité et la supervision du médecin. Nous en avons pas mal parlé avec le ministère. François Braun a rencontré le président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) et il s’est engagé à des discussions entre les Iade et les médecins anesthésistes.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr