Le constat est sans appel : la santé mentale des futurs médecins a du plomb dans l’aile. Ce mercredi, syndicats et associations étudiantes ont, en effet, dévoilé l’intégralité d'une étude édifiante sur les risques psychosociaux des étudiants en médecine. Après une précédente édition en 2017 - première du genre - plus de 11 700 étudiants ont été sondés, tous cycles confondus, dans ce travail présenté aujourd'hui à l'occasion d'un colloque dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
En quatre ans, l'état de santé des carabins s’est nettement dégradé. Ainsi, alors qu’ils étaient déjà 62 % à témoigner de symptômes anxieux en 2017, ils sont désormais 75 % à en faire état. Par ailleurs, 39 % des futurs médecins rapportent des symptômes dépressifs dans les sept jours précédant le questionnaire, soit 12 points de plus que lors de précédente étude.
« La crise sanitaire a mis en lumière l’enjeu de la santé mentale des jeunes et futurs médecins », déplorent les trois organisations à l’origine de l’enquête, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) et l’Intersyndicale nationale autonome représentative des Internes de médecine générale (Isnar-MG). « Elle est devenue un intérêt de santé publique car ce sont les soignants de demain qui feront notre système de santé, insistent-ils. À chaque fois que l’un d’entre eux tombe, des centaines de patients en pâtissent tandis que leurs proches et leur famille vivent une souffrance immense. »
Charge de travail et humiliations
Pour la première fois, les organisations étudiantes – dont les travaux ont été approuvés par la conférence des doyens de médecine – ont mesuré l’ampleur de l’épuisement professionnel chez les jeunes. Et, là encore, le bilan est affligeant : 67 % des externes et des internes rapportent des signes de burn-out. Une proportion qui baisse à 39 % pour les étudiants de 1er cycle. « J’ai dû consulter ma médecin généraliste plus d’une dizaine de fois après un mois d’idées noires et de pleurs constants toute la journée et l’impossibilité de réviser, témoigne ainsi une étudiante de 2e cycle, interrogée dans l'enquête. J’ai été mise sous antidépresseurs pour une durée minimum de six mois jusqu’au concours. »
L’enquête, dont la méthodologie a également été validée par le Comité d’éthique et de recherche de l’Université Paris-Saclay, a également permis de mettre en lumière les facteurs de risques associés au mal-être étudiant et aux symptômes dépressifs. Difficultés financières, humiliations, harcèlements, agressions sexuelles, mais aussi temps de travail supérieur à 50 heures par semaine pour les internes et à 20 heures pour les externes, apparaissent ainsi comme des critères déterminant à la survenue de dépression.
« Les gardes de 24 heures, voire plus, sont épuisantes et nuisent clairement et objectivement à notre santé psychique mais aussi physique d’autant que les moyens techniques donnés pour assurer notre travail sont vraiment indignes », témoigne un interne répondant. À l’inverse, le fait d’être en couple a été rapporté par les étudiants comme protecteur vis-à-vis des risques psychosociaux.
25 % de harcèlement
De façon inédite, cette enquête de grande ampleur met également en avant les agressions subies au quotidien par ces futurs médecins. Aussi, 25 % d’entre eux rapportent du harcèlement, 23 % des humiliations et 4 % des agressions sexuelles. Plus grave encore, les violences sexuelles et sexistes se passent en immense majorité au sein même de l’hôpital dans les trois quarts des cas. Dans 14 % des situations, elles sont signalées lors de soirées étudiantes.
Par ailleurs, ces violences « sont presque toujours infligées par des personnes avec une position hiérarchique plus élevée que celle de l’étudiant ou de l’interne » détaillait au « Quotidien » Nicolas Lunel, président de l’ANEMF. Et en effet, selon l’étude, 60 % des agresseurs sont des médecins thésés, 13 % des internes. Une étudiante de 2e cycle témoigne : « À deux reprises dans deux stages différents j’ai eu des médecins hommes un peu trop tactiles de type massage sans autorisation, évidemment main sur la cuisse et des comportements de type clin d’œil, regards insistants… Ces comportements m’ont mise mal à l’aise quand je travaillais avec eux. »
Le constat est d’autant plus amer que des dispositifs de signalement ont été mis en place depuis 2019, à commencer par le Centre national d’appui à la qualité de vie des étudiants en santé (CNA). Mais, force est de constater que les victimes d’agressions sexistes et sexuelles ne s’y retrouvent pas. Selon l’étude, elles ne sont que 0,6 % à se tourner vers ces dispositifs de prévention et 18 % d’entre elles n’en parlent d’ailleurs à personne.
Le temps des promesses est révolu
Pour les organisations étudiantes, la crise ne peut être seule responsable d’une telle dégradation. Elles pointent ainsi du doigt « le grand nombre de réformes en cours et le manque de moyens mis en œuvre » et une « entrave » de la promotion de la qualité de vie des étudiants. Selon elles, le CNA « n’a pu être financé que très tardivement, quelques mois avant la clôture de la lettre de mission qui l’instituait ». Devant le ministre de la Santé, associations et syndicats exigent désormais des moyens financiers et humains.
Ils réclament par ailleurs davantage de cellules de soutien locales et un accompagnement personnalisé des stagiaires introduit au sein des services. Les représentants des étudiants souhaitent toujours taper fort et « infliger des sanctions aux établissements et aux services en cas de non-respect de la législation ». Une demande de longue date.
Les organisations entendent aussi mettre fin définitivement à « la dichotomie de l’étudiant fragile versus l’étudiant fort », en sanctionnant davantage les auteurs de maltraitance. « Ce ne sont pas les étudiants ou les internes qui sont fragiles : c’est le système qui les fragilise, rappellent-elles. Si des violences de toute sorte peuvent être infligées sans que le ou les responsables ne se sentent menacés, quels que soient les dispositifs en place, ces violences continueront .»
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