Propos recueillis par Adrien Renaud
LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous expliquer où et comment vous exercez actuellement ?
GUY PONS : Il existe deux façons d’exercer la médecine du travail : soit en SPSTI [Service de prévention et de santé au travail interentreprises, NDLR], et dans ce cas on s’occupe de plusieurs entreprises, soit en SPSTA [Service de prévention et de santé au travail autonome, NDLR], et dans ce cas on est généralement intégré dans une entreprise. Je fais partie d’un SPSTA chez EDF/Enedis, en région parisienne, où j’exerce depuis 38 ans. J’ai deux cabinets, nous sommes une quarantaine de médecins du travail au niveau de l’entreprise, pour environ 40 000 salariés.
ALBAN BEN SIMON : Je suis quant à moi interne en deuxième semestre à Lyon. La maquette de médecine du travail comprend en tout huit semestres, dont trois à l’hôpital, et les cinq autres en médecine du travail. Après avoir fait un premier semestre aux urgences, je suis dans un SPSTI depuis deux mois.
Comment vous êtes-vous orientés vers la médecine en général, et vers la médecine du travail en particulier ?
A. B. S. : J’ai toujours été attiré par la médecine, et ce moins pour les soins que pour comprendre la façon dont nous fonctionnons. Au fil des stages, lors de mon externat, à Lyon, je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour l’hôpital, notamment parce que je ne me sentais pas à l’aise au contact de gens très malades. Je me destinais donc plutôt à la médecine générale, je me voyais bien en libéral. Puis en quatrième année, j’ai rencontré un interne de médecine du travail qui, quasiment en une seule journée, m’a convaincu de faire cette spécialité. J’y voyais la possibilité d’exercer la médecine, mais dans une autre ambiance, sans être fermé sur le milieu médical.
G. P. : Comme Alban, j’ai vite compris lors de mes études médicales à Henri Mondor que je n’étais pas fait pour l’hôpital. J’avais l’impression qu’on y allait vite d’un patient à un autre, sans vraiment prendre le temps. J’avais fait un stage qui m’avait intéressé en psychiatrie, et j’hésitais donc entre cette spécialité et la médecine du travail. J’étais à la recherche d’une activité préventive plutôt que curative, et je souhaitais quitter le milieu hospitalier, c’est essentiellement ce qui a guidé mon choix vers la médecine du travail. À l’époque, il n’y avait pas d’internat, il fallait passer un CES [Certificat d’études spécialisées, NDLR] qui était excessivement difficile : beaucoup de gens voulaient y aller, et la sélection était rigoureuse.
La principale caractéristique de notre travail, c’est la prévention
Guy Pons, médecin du travail chez EDF/Enedis
Pourquoi selon vous la médecine du travail est-elle une spécialité à part ?
G. P. : Je pense que la principale caractéristique de notre travail, c’est la prévention : nous sommes le conseiller de l’employeur, c’est la définition de notre activité. Il y a également l’aspect relationnel : nous avons une approche multidisciplinaire de la santé au travail, avec l’infirmier et l’assistant qui constituent notre équipe, mais aussi avec des ergonomes, des toxicologues, des psychologues du travail, les IPRP [Intervenants en prévention des risques professionnels, NDLR]… Nous sommes également en contact avec les directions des ressources humaines, les représentants du personnel, et cette diversité fait la richesse de notre profession : le médecin du travail passe une grande partie de son temps en dehors de son cabinet. Il n’y a pas plus diversifié que notre activité.
A. B. S. : Nous avons en effet régulièrement l’occasion de nous rendre sur le terrain. Cela peut être parce qu’un employeur nous contacte pour nous dire que tel ou tel salarié a un problème, ou alors parce qu’un salarié pendant la consultation nous décrit un problème particulier… Nous devons alors mener des actions dans l’entreprise, faire des études de poste, échanger avec les différents interlocuteurs. Nous avons aussi à établir la fiche d’entreprise, qui permet tous les quatre ans d’évaluer les risques, et donc de nous rendre sur le terrain.
On parle aussi souvent de la médecine du travail comme d’une spécialité offrant une meilleure qualité de vie que d’autres, qu’en est-il ?
G. P. : C’est vrai, il ne faut pas le nier : nous avons le confort du salariat, nous n’avons pas à assumer la gestion administrative et financière d’un cabinet, nous avons des horaires fixes et contractuels. Mais je pense que ce n’est pas pour cela qu’on va vers cette profession. Quand j’étais jeune, on disait souvent que ceux qui font de la médecine du travail sont ceux qui veulent arriver à 10 heures et repartir à 16 heures, mais cela n’a jamais été la réalité, et je peux vous assurer que je fais de belles journées !
A. B. S. : Nous travaillons probablement moins que la moyenne des autres médecins, mais nous travaillons de la même façon que la population générale. Dans le service interentreprises où je travaille, c’est très réglementé, et on travaille de 8 heures à 17 heures.
Malgré la richesse de l’exercice, cette spécialité reste parmi les moins choisies par les futurs médecins pour l’internat. Comment l’expliquez-vous ?
G. P. : Il est vrai que la médecine du travail n’est pas la spécialité qui part en premier, et c’est pour cela qu’il faut que nous parlions davantage de notre exercice pour mieux le faire connaître. Je pense que ce qui pèche dans notre profession aux yeux de certains étudiants, c’est que nous ne prescrivons pas. Quand on sort des études de médecine, on veut faire des ordonnances, et une spécialité qui ne prescrit pas, ce n’est pas forcément bien vécu, même si de nombreux avantages viennent contrebalancer l’absence de prescription. Et il faut bien sûr rappeler qu’en cas d’urgence, le médecin du travail a le droit de prescrire.
A. B. S. : Je pense qu’il y a aussi un souci de communication. On parle très peu de la médecine du travail durant nos études, et le peu de cours qui traite de ce sujet reste très théorique et centré sur la législation. Les terrains de stage sont par ailleurs trop peu nombreux : à Lyon, quand j’étais externe, le seul stage possible était en médecine du travail hospitalière, ce qui ne reflète pas très bien la réalité de la pratique de notre spécialité. Mais cela ne veut pas dire que la médecine du travail est une spécialité choisie par défaut : ce n’est pas mon cas, et ce n'est le cas d’aucun de mes huit co-internes à Lyon.
Nous allons de plus en plus vers un médecin du travail dont le rôle est de coordonner une équipe pluridisciplinaire
Comment la médecine du travail évolue-t-elle, et comment va-t-elle évoluer au cours des années à venir ?
G. P. : C’est une spécialité qui évolue beaucoup, les textes de loi n’arrêtent pas de tomber. L’une des transformations majeures a été la possibilité de déléguer de nombreuses activités aux infirmiers, le médecin du travail n’assurant plus le suivi systématique que j’ai connu en début d’exercice. Mais il n’y a pas que la médecine du travail qui change, c’est le monde du travail qui se transforme, surtout depuis le Covid, avec le télétravail, le coworking, les technologies, les risques psychosociaux… Il y a un nouveau rapport au travail, de nouvelles problématiques de santé à prévenir, et c’est particulièrement enrichissant.
A. B. S. : Nous allons de plus en plus vers un médecin du travail dont le rôle est de coordonner une équipe pluridisciplinaire plutôt que de voir tous les salariés de manière systématique. Aujourd'hui, je ne vois que les consultations un peu compliquées, les reprises, etc., et c’est l’infirmier qui effectue les suivis pour les personnes non à risque.
Ce travail en équipe avec les infirmiers n’est-il pas une évolution imposée par la pénurie de médecins du travail ?
A. B. S. : Il y a clairement des raisons liées à la pénurie, mais on peut voir des aspects positifs à cette évolution. Les infirmiers ont davantage de temps à consacrer à des sujets comme la prévention des risques liés au tabac, par exemple, alors que le médecin peut parfois avoir tendance à passer un peu vite là-dessus.
G. P. : Il existe une pénurie de médecin du travail, et 50 % ont plus de 55 ans. La dernière loi sur la médecine du travail, qu’on a appelée « loi de modernisation », est en réalité une loi d’adaptation à cette situation. Mais la collaboration étroite qu’elle introduit avec les infirmiers ne doit pas être vue comme quelque chose de négatif : c’est du travail interdisciplinaire. Et il faut rappeler que les visites effectuées par les infirmiers sont extrêmement protocolisées.
Si un externe vous disait qu’il hésite à choisir la médecine du travail, essaieriez-vous de le convaincre, et que lui diriez-vous ?
A. B. S. : J’essaierais de le convaincre, bien sûr. Je lui dirais que la médecine du travail est ouverte à toutes les autres spécialités, et non uniquement à la médecine légale ou à la santé publique comme on a parfois tendance à le penser. C’est une médecine très riche qui permet d’avoir un exercice très varié.
G. P. : J’essaierais bien évidemment de le convaincre également ! J’insisterais tout particulièrement sur l’aspect relationnel de notre pratique. Nous avons énormément d’interlocuteurs, notre exercice n’est jamais monotone !
Guy Pons
1976 : début des études médicales à Créteil
1986 : CES de médecine du travail à l’université Paris 6
Depuis 1986 : médecin du travail chez EDF/Enedis
Alban Ben Simon
2017 : début des études médicales à Lyon
2023 : interne de médecine du travail à Lyon
2024 : stage en service interentreprises
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