L’épidémie a-t-elle contribué à une augmentation des phénomènes complotistes ou les met-elle simplement plus en lumière ?
Antoine Bristielle : Les deux à la fois. Les questions médicales sont des terrains extrêmement fertiles pour les théories conspirationnistes. Lorsque l’on étudie celles auxquelles les Français peuvent adhérer, arrive en tête la collusion entre l’État et l’industrie pharmaceutique pour cacher la nocivité des vaccins. Cela s’observait déjà avant la pandémie. À l’heure actuelle, beaucoup doutent de la politique sanitaire du gouvernement, notamment sur les vaccins. Ce ne sont pas forcément des personnes conspirationnistes mais qui sont défiantes par rapport au gouvernement et aux institutions. Avec le vaccin, elles craignent que les effets secondaires soient pires que le traitement lui-même. Mais ce sont des individus qui peuvent être convaincus, pas seulement des personnes sur lesquelles nous n’aurions pas de prise.
La crise a également entamé la confiance envers la parole scientifique, comment l’expliquez-vous ?
A. B. : En France, la confiance dans les institutions politiques est faible et c’est un phénomène qui s’accroît d’année en année. À l’heure actuelle, nous sommes à 11 % de confiance dans les partis politiques et 30 % de confiance dans l’institution présidentielle. Jusqu’à il y a peu, nous avions encore très majoritairement confiance dans les scientifiques, qui apparaissaient comme une sorte d’autorité suprême. Au début de la crise, nous étions à 90 % de confiance, aujourd’hui nous ne sommes plus qu’à 70 %. Cela pose problème car cette confiance dans les politiques ou les scientifiques va déterminer le respect ou non des mesures sanitaires. Cette baisse a été entamée par la mise en scène des controverses scientifiques, notamment sur certains plateaux de télévision avec un brouhaha de la parole scientifique. Et les gens ne savent plus à qui se fier.
Vous avez réalisé deux études pour la Fondation Jean-Jaurès, sur les anti-masques et les anti-vaccins Covid. Quelles sont les caractéristiques des publics qui se retrouvent dans ces groupes ?
A. B. : Les deux publics ont pour point commun leur forte défiance par rapport aux institutions. Mais les deux phénomènes ne sont pas de la même ampleur. Les anti-masques représentent une partie extrêmement congrue de la population, alors que la réticence au vaccin anti-Covid concerne quasiment une personne sur deux. Ces deux populations ne sont pas forcément similaires en termes de catégorie socioprofessionnelle. Les anti-masques sont davantage des personnes avec un niveau d’éducation assez important, plutôt âgés, plutôt des femmes. Dans le public anti-vaccins, il n’y a pas de différence en termes de catégorie socioprofessionnelle ou de niveau d’éducation. Mais ce sont plutôt des jeunes, qui estiment être peu à risque par rapport à l’épidémie mais plus à risque par rapport aux conséquences de la vaccination. Donc, estimant que les risques sont plus importants que les bénéfices pour eux, ils considèrent que le ratio n’est pas en faveur de la vaccination.
Pourquoi la résistance au vaccin est-elle plus forte en France que chez nos voisins ?
A. B. : L’acceptation du vaccin repose déjà sur la confiance dans les institutions et comme je l’ai dit, en France, elle est faible. Des épisodes ont aussi largement altéré la confiance dans les vaccins. Dans les années 1990, avec le vaccin contre l’hépatite B, des soupçons ont porté sur des effets secondaires supérieurs à ceux décrits par les autorités. Et avec la grippe H1N1 est née une deuxième peur, celle d’intérêts économiques supérieurs aux intérêts de santé publique. Elle a ancré l’idée que l’on ferait vacciner les Français pour enrichir les laboratoires plutôt que pour garantir la sécurité de la population. Ces deux évènements ont durablement entaché la confiance des Français.
* professeur agrégé en sciences sociales, chercheur en science politique au laboratoire PACTE
Antoine Bristielle, chercheur* : « Les questions médicales sont des terrains très fertiles pour le conspirationnisme »
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