Aujourd’hui, « 15 à 20 % maximum des structures radiologiques » ont été rachetées par des groupes financiers, cadre le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). De quoi mettre en alerte cette spécialité, même si l'on est loin du phénomène massif de financiarisation qui a frappé la biologie à partir des années 2000. Alors qu’il y a 20 ans il n’existait quasiment pas de consortiums propriétaires du secteur, six groupes possèdent désormais 67 % des entreprises de biologie médicale de ville, selon une enquête Ipsos en 2022 pour le réseau « Les biologistes indépendants ». Conséquence des rachats, de 2005 à 2021 « le nombre de laboratoires a été pratiquement divisé par dix, passant de 3 991 entreprises à 412 sur le territoire national », constatait l’étude.
Sur le papier, la loi se veut protectrice, exigeant que plus de la moitié du capital et des droits de vote d’une société d’exercice libéral (SEL) soit détenue par les professionnels de santé y exerçant. Et le droit européen impose que, dans les SEL (médicales en l’occurrence), les acteurs non médicaux ne puissent pas détenir plus de 25 % du capital. Mais, « des montages financiers (...) permettent à des fonds d’investissement, d’avoir en réalité plus de droits de vote qu’ils n’ont de parts sur le papier », décrypte le Dr Franck Clarot, secrétaire général de la FNMR Normandie.
Pactes secrets
Si les tentatives de rachats ou de prise de participation de financiers sont réelles dans le secteur de la radiologie, la résistance s'organise. Première raison, la jeune génération de radiologues se méfie, voire récuse, l’exercice dans des structures où le risque de perte d'indépendance est trop élevé. C’est le sens de la création, l’année dernière, du collectif pour une radiologie indépendante et libre (CoRAiL), qui fédère des internes, de jeunes radiologues associés et non-associés et des praticiens plus chevronnés. Et ne peut y adhérer qui veut ! Statuts, pactes d’associés : « il faut prouver qu’on est indépendant des financiers », analyse le président de la FNMR. À ce jour, une centaine de structures souhaite rejoindre ce collectif qui compte 1 800 spécialistes de l’imagerie.
L’Ordre s’est saisi du dossier et demande à consulter l’ensemble des documents des sociétés libérales de radiologie et non plus le seul règlement intérieur. « Les pactes secrets deviennent compliqués aujourd’hui, observe le Dr Clarot. Il suffit qu’une seule personne ne soit pas d’accord avec le montage et fasse fuiter l’information à l’Ordre pour que la déconnexion entre le droit de décision et la possession du capital éclate au grand jour ». Les pouvoirs publics ont aussi répliqué via une ordonnance de février 2023 « relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées ». Le texte durcit les règles en matière de prise de participation financière de groupes privés dans des entreprises de santé. Il doit entrer en vigueur en septembre 2024.
L’intérêt croissant d'opérateurs financiers à investir dans le champ médical ne concerne pas que les spécialités supposées rentables mais s'étend aux soins primaires. Certes, « un centre de santé à but non lucratif ne peut générer et distribuer de bénéfices », rappelle le Dr Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de Santé (USMCS). Mais l'ordonnance de janvier 2018 a changé la donne en ouvrant la création et la gestion de ces ex-dispensaires à des gestionnaires d'établissements privés de santé à but lucratif. Pour l’heure, « c’est seulement le cas pour cinq ou six centres en France, mais la question de potentielles dérives se pose », concède le Dr Villebrun. Si l'an dernier, le groupe Ramsay Santé, poids lourd de l’hospitalisation privée, a renoncé à racheter six centres de la Croix-Rouge, « rien n'empêche un groupe privé de créer ses propres centres de santé puisque c’est autorisé par la loi ».
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