Téléconsultation : émergence d'un nouveau risque pour les médecins ?

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Publié le 03/05/2021
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Le récent dépôt d’une plainte pour homicide involontaire suite à une téléconsultation lance le débat : avec la multiplication des téléconsultations, les médecins s’exposent-ils davantage ?

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La semaine dernière, la famille de Jean-Christophe Allemand portait plainte pour « homicide involontaire contre X » à la suite d’une téléconsultation ayant entraîné un mauvais diagnostic. Le patient de 40 ans, atteint d’un cancer et souffrant d’obésité, avait été reçu en téléconsultation le 20 avril par une praticienne qui n’était pas son médecin traitant. Elle lui diagnostique un champignon sur la langue mais les symptômes se poursuivent et une semaine plus tard, le patient décède à l’hôpital de Grenoble. Avec cette plainte, la famille dit vouloir ouvrir le débat sur la généralisation de la téléconsultation, « qui n’est pas valable pour tous les patients » selon l’avocat de la famille, Me Hervé Gerbi.

Encore peu de mises en cause

Avec la multiplication des actes médicaux à distance depuis le début de la crise sanitaire, cette affaire pose aussi la question de l’apparition d’un nouveau risque pour les professionnels de santé. Mais pour Nicolas Gombault, directeur général délégué de la MACSF, ce ne sera pas forcément le cas : « Les médecins ont toujours donné des conseils par téléphone et à ce titre, ils ont toujours pu voir leur responsabilité engagée. » Malgré tout, l’essor de la télémédecine dans de telles proportions, et notamment « pour des professionnels qui en avaient peu l’habitude », rend possible « l’émergence d’un risque nouveau ». Pourtant, en dépit de cette affaire gérée par l’assureur, le nombre de déclarations de sinistres visant des sociétaires de la MACSF sur ce type de dossier reste pour le moment très faible. « La volumétrie des plaintes à l’occasion d’une téléconsultation est très faible. Nous suivons tous les risques émergents liés à la crise sanitaire, que ce soit la téléconsultation, les déprogrammations, etc., et nous avons moins de dix dossiers sur cette période », précise Nicolas Gombault.

Des précautions à prendre

Si l’assureur, dès le début de la crise sanitaire, a indiqué à ses sociétaires qu’il les garantissait en responsabilité civile professionnelle pour cette activité de télémédecine, de nombreuses précautions sont malgré tout indispensables. Outre s’assurer de la faisabilité technique en fonction des moyens de connexion et du fait que l’examen clinique ne soit pas obligatoire, Nicolas Gombault conseille aux médecins d’évaluer la capacité du patient à communiquer à distance car « tout le monde ne sait pas forcément exprimer ses symptômes ». Et lorsque le professionnel n’est pas le médecin traitant, « il vaut mieux prévoir un temps de téléconsultation rallongé pour permettre un interrogatoire complet et adresser un compte-rendu au médecin traitant ».

Mise en garde éthique et déontologique de l’Ordre

Au-delà du risque judiciaire pour les médecins, en décembre dernier, dans un rapport, le Conseil national de l’Ordre des médecins avait aussi alerté sur les mésusages de la télémédecine et les problèmes déontologiques et éthiques qu’elle pouvait poser. « L’examen clinique reste le pilier de la prise en charge du patient et est indispensable », rappelait-il. À ce titre, l’Ordre estimait qu’un exercice exclusif en télémédecine n’était pas souhaitable. « La prise en charge de patients exclusivement en téléconsultation porte atteinte aux exigences déontologiques de qualité, de sécurité et de continuité des soins », estimait le rapport, ajoutant que « la perte prolongée d’expérience clinique est susceptible de placer le médecin en situation d’insuffisance professionnelle ». Le Cnom demandait donc aux conseils départementaux de recenser les médecins ayant une activité de télé­consultation exclusive pour les informer de la nécessité de poursuivre une activité clinique.

Par ailleurs, le rapport soulevait aussi certaines pratiques des plateformes commerciales de téléconsultation qui pouvaient mettre en difficulté les médecins travaillant pour elles, au regard de leurs obligations déontologiques. Il évoquait notamment la mise en place de téléconsultations « en dehors de tout ancrage territorial », les campagnes de promotion « de nature commerciale et d’ampleur nationale » ou encore le fait que certaines plateformes facturent et perçoivent elles-mêmes les honoraires du médecin ou n’ont pas recours à des hébergeurs de données de santé certifiés ou agréés. L’Ordre estimait donc qu’il appartenait aux médecins « de demander aux sociétés commerciales par l’intermédiaire desquelles ils exercent de s’inscrire dans le cadre d’organisations territoriales référencées et de cesser toute campagne publicitaire nationale à visée commerciale ».


Source : lequotidiendumedecin.fr