Justice

Le PSA au centre du procès de Troyes

Publié le 08/03/2013
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Le TGI de Troyes se prononcera à la fin du mois sur une affaire dans laquelle un généraliste de l’Aube est accusé de n’avoir pas dépisté à temps un cancer de la prostate. Brandissant les recos de la HAS et de l’INCa, la profession se mobilise. Pour éviter de nouvelles affaires de ce type, MG France réclame des garanties juridiques aux pouvoirs publics.

Le TGI de Troyes se prononcera à la fin du mois sur une affaire dans laquelle un généraliste de l’Aube est accusé de n’avoir pas dépisté à temps un cancer de la prostate. Brandissant les recos de la HAS et de l’INCa, la profession se mobilise. Pour éviter de nouvelles affaires de ce type, MG France réclame des garanties juridiques aux pouvoirs publics.

L’excès de zèle est-elle la seule façon de se prémunir des rigueurs de la justice ? C’est un peu la question qui se pose après l’audience qui a confronté, la semaine dernière à Troyes, un généraliste de l’Aube à l’un de ses anciens patients. Alors que, depuis avril 2012, les dernières recos de la Haute Autorité de santé tournent le dos au dépistage de masse du cancer de la prostate même chez les hommes à risque, l’affaire dans laquelle est impliqué le praticien concerne un patient dont il a diagnostiqué un cancer avancé en 2007, mais qui lui reproche de ne pas lui avoir prescrit de dosage de PSA à partir de 2002, année à partir de laquelle, alors âgé de 52 ans, il avait pris le praticien pour médecin traitant.

Le Dr Pierre Goubeau devrait être fixé sur son sort le 22 mars. Mais en attendant, voilà quatre ans qu’il est

empêtré dans une affaire judiciaire dont il se serait sûrement bien passé. Il a même été condamné en référé il y a deux ans à verser une provision de 15 000 euros à son patient.

Au centre de l’affaire, l’expertise cosignée par un urologue de Reims, donne raison au patient, au motif que ce dernier avait fait état de problèmes urinaires lors d’un check-up réalisé dans un centre en 2002 et que les recommandations de l’ANAES (ancêtre de la HAS) de l’époque, si elles ne recommandaient pas le dépistage de masse, n’excluaient pas un dépistage individuel…

Émotion dans la profession

L’affaire suscite pour l’heure l’émotion de la profession, à commencer par la blogosphère médicale. L’un de ses animateurs les plus en vue a pris, fin janvier, fait et cause pour son confrère de l’Aube. Sous le titre « Il faut sauver le docteur Goubeau », il appelle ses confrères à lui manifester leur soutien sur son site « Atoute.org ». Relatant l’affaire par le menu, Dominique Dupagne crie au scandale : « Il est intolérable de penser qu’un médecin va être condamné pour avoir suivi à la fois les données de la science et les recommandations sanitaires officielles ». Il dénonce « une expertise orientée, émise par un urologue membre d’un lobby qui tente d’imposer ses vues à l’encontre de la science et de l’intérêt des patients ». Et de mettre en garde l’ensemble de la profession : « Si Pierre Goubeau était condamné, nous serions tous sous la menace de condamnations opportunistes et notre façon de travailler serait profondément modifiée au détriment de la santé publique ».

Décalage avec les récentes recos

L’affaire intervient, de fait, en complet décalage avec les prises de position des décideurs et autorités sanitaires ces derniers mois. La recommandation 2012 de la HAS a été précédée d’un avis du Collège de la médecine générale dans le même sens et vient d’être confirmée début février par l’INCa qui pointe à son tour « les faibles performances du dosage du PSA comme test de dépistage ».

Quant à la Cnamts, elle déplore que les généralistes aient encore trop souvent la main lourde sur les prescriptions de dosages de PSA (75 % des hommes de plus de 55 ans y ont eu droit). Dans ce contexte, la condamnation d’un généraliste dont le tort aurait été de suivre ces guidelines apparaîtrait surprenante… mais peut-être pas si inédite. Intervenant sur « Atoute.org », un confrère livre ce commentaire désabusé : « Je suis moi-même un généraliste qui a eu un procès de ce genre avec un expert médical qui m’a enfoncé dans un scénario délirant… ».

Polémique MG France-AFU

MG France flaire là un vrai danger. Prenant lui aussi la défense du généraliste incriminé, il en appelle aux pouvoirs publics « demandant aux autorités en charge de la santé d’établir une règle solide sur un sujet de santé publique qui peut inquiéter les patients concernés mais qui ne saurait supporter la confusion générée par certains groupes de pression?». Claude Leicher fait notamment allusion au positionnement de l’Association Française d’Urologie (AFU) qu’il juge ambigu et non dénué de conflits d’intérêt. « L’AFU doit se ranger sous la bannière des recommandations de bonne pratique ! », martèle le chef de file de MG France. Sa sortie lui a valu, mardi, une longue « mise au point » signée du président de l’AFU, le Pr Patrick Coloby, qui rappelle que « l’AFU ne recommande pas le dépistage systématique organisé (...) par dosage de PSA ». Mais c’est pour ajouter qu’une « démarche individuelle de diagnostic précoce » peut-être proposée chez les hommes à risque…

Craignant des mises en cause successives de généralistes, MG France se tourne aussi vers le ministère de la Santé. « Comme c’est le cas pour les effets secondaires des vaccins, il faut que l’État garantisse la protection des professionnels afin que, quand un médecin suit une recommandation, sa responsabilité ne puisse pas être engagée. » En attendant, les généralistes ont intérêt à regarder ce qui se passe du côté du TGI de Troyes… Ce pourrait bien ne pas être la dernière affaire de ce type (lire aussi notre dossier « Pourquoi les patients poursuivent leur médecin ».

Paul Bretagne

Source : lequotidiendumedecin.fr