Schizophrène meurtrier

Verdict lundi dans l’affaire Canarelli, la psychiatrie retient son souffle

Publié le 30/03/2014

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Un psychiatre peut-il être tenu pour responsable du meurtre commis par l'un de ses patients? La cour d'appel d'Aix-en-Provence tranche lundi la question, dans une affaire qui a fortement ému la spécialité. Après avoir été condamnée en première instance, Danièle Canarelli, psychiatre marseillaise, a cette fois toutes chances d’être relaxée. Le 10 février, dans une volte-face inattendue, le ministère public a en effet requis la relaxe, à rebours du tribunal de Marseille quelques mois auparavant.

Le schizophrène meurtrier suivi pendant quatre ans

De 2000 à 2004, Joël Gaillard, son patient à l'hôpital marseillais Edouard-Toulouse (photo), schizophrène, aujourd'hui âgé de 44 ans, n'avait cessé d'alterner hospitalisations et sorties d'essais, ponctuées d'incidents et de plusieurs agressions, dont une tentative d'assassinat. Jusqu'à cette consultation du 19 février 2004 où, refusant d'être interné, il avait pris la fuite. Un avis de recherche était diffusé, en vain. Vingt jours plus tard, il tuait à coups de hachette, à Gap (Hautes-Alpes), le compagnon octogénaire de sa grand-mère, Germain Trabuc. Des faits pour lesquels il a été déclaré irresponsable pénalement en raison de ses troubles psychiatriques.

En condamnant en première instance la psychiatre à un an de prison avec sursis, le tribunal correctionnel de Marseille avaient eu des mots très durs à l'encontre du Dr Canarelli. Evoquant des antécédents sous-estimés, des épisodes de violences banalisés, des alertes méconnues, il estimait que "l'attitude de cette dernière confinait à l'aveuglement". Selon les magistrats, elle aurait pu "envisager une hospitalisation en UMD" (Unité pour malades difficiles) ou confier à une autre équipe la prise en charge de son patient, soulignaient-ils, estimant qu'elle s'était "arc-boutée sur ses convictions".

"Le diagnostic en psychiatrie n’a pas la même pureté qu’un diagnostic somatique"

Un an plus tard, ambiance toute autre devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence avec des débats plus apaisés, et une prévenue moins tendue. "Je ne me suis pas laissée abuser par ce patient", assure alors à la barre la psychiatre de 59 ans, quand le président s'interroge sur une éventuelle manipulation de la part de Joël Gaillard. "La dangerosité est évaluée au moment où je l'examine. Or le patient ne s'est jamais montré agressif envers l'équipe", raconte-t-elle, décrivant un malade "sortant de l'ordinaire, un peu exceptionnel", dont "les symptômes disparaissaient rapidement à l'intérieur du service". Les témoins psychiatres cités par la défense ont aussi pointé la "complexité" de l'exercice. L’un d’eux expliquant : "Il y a 650.000 schizophrènes en France, 99,7% ne commettront jamais d'homicide". "Il y a un malentendu: le diagnostic en psychiatrie n'a pas la même clarté, la même pureté qu'un diagnostic somatique où on sait immédiatement s'il s'agit de varicelle ou de rubéole", témoigne un autre.

Le fils de la victime envisage déjà un pourvoi en cassation

A l'issue de l'audience, l'avocate générale demandait aux juges de "constater la prescription de l'action publique". Sur le fond, elle écartait toute "faute caractérisée" de Danièle Canarelli, "médecin fonctionnaire ne déterminant pas les conditions de son travail" et "intervenant en équipe". Et le lien de causalité entre son action et le crime n'est pas établi, avait-elle argué, ajoutant: "Nous sommes dans l'aléa thérapeutique". Un "revirement total" très important pour les psychiatres dont la discipline a été plusieurs fois mise en cause pour des affaires similaires depuis l’affaire de Grenoble, qui a fait l’objet de rebondissements judiciaires récents. Mais, même après la décision de lundi, ce ne sera peut-être pas fini. Le fils de la victime, Michel Trabuc, à l'origine de la plainte a déjà dit qu’il envisageait un pourvoi en cassation en cas de relaxe.


Source : lequotidiendumedecin.fr