À l'occasion d'un colloque sur la télémédecine en libéral, organisé par l'URPS Ile-de-France jeudi dernier, deux jeunes généralistes parisiens ont partagé leur expérience de la téléconsultation et de la télé-expertise. Ces pratiques inscrites dans l'avenant conventionnel numéro 6 sont désormais remboursées par la Sécurité sociale (depuis le 15 septembre 2018 pour la téléconsultation et le 10 février dernier pour la télé-expertise). Elles sont donc amenées à se développer, notamment pour permettre une meilleure qualité de prise en charge des patients confrontés au manque de médecins.
Les deux généralistes intervenants, les Drs Adrien Naegelen et Nicolas de Chanaud, font partie du cabinet Ipso santé, basé dans les XIe et IIIe arrondissements de Paris. Il s'agit d'un établissement collaboratif ultra moderne, où les praticiens côtoient dans les mêmes locaux des start-up comme Idomed, qui propose des solutions de télémédecine depuis un an.
La téléconsultation avec le Dr Adrien Naegelen
Le Dr Naegelen expérimente la téléconsultation depuis quelques mois avec ses patients âgés dépendants qui ne peuvent pas se déplacer au cabinet. « Il s'agit de personnes âgées polypathologiques, un peu angoissées sur leur santé et que j’ai besoin de voir en visite toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Dans ces cas-là, j’essaye d’avoir recours à la téléconsultation, le but étant de garder des visites physiques mais de pouvoir les espacer », explique le jeune généraliste.
> Binôme médecin-infirmier. Le médecin de famille se réserve un créneau d'une à deux heures par semaine pour ces téléconsultations et décide au cas par cas d'en déclencher une en dehors de ces horaires s’il y a urgence. Pendant la téléconsultation, il s'appuie sur un infirmier qui passe au domicile de ses patients plusieurs fois par semaines. Celui-ci se charge alors d'accompagner le malade pendant la durée l'entretien vidéo. L'examen clinique est possible lorsque c'est nécessaire, grâce à des outils connectés comme le stéthoscope. Pour l'instant, aucune rémunération conventionnelle n'est prévue pour les infirmiers présents pendant la téléconsultation. L'infirmier qui travaille en binôme avec le Dr Naegelen bénéficie pour sa part d'une subvention de l'ARS.
> Espacer les visites à domicile. Ces consultations 2.0 constituent un gain de temps pour le Dr Naegelen, qui peut ainsi espacer ses visites à domicile. « À Paris, la moyenne d’une visite auprès du patient est de 50 minutes. À partir du moment où je suis installé face à l’écran, cela me prend plutôt 20 minutes, soit la durée standard d’une consultation au cabinet ». Sceptique au départ, car très attaché à l'examen clinique physique, le généraliste avoue « s'être habitué » à la consultation par écran interposé et y voit même un plus : « J'observe que plus de choses passent par le langage par rapport à une consultation classique. On ne peut pas toucher, donc on s’ouvre un peu plus aux autres sens », ajoute-t-il.
Les patients sont pour leur part ravis. « L'avantage est que grâce à cette technologie, les patients âgés qui étaient totalement livrés à eux même car de moins en moins de médecins sont disponibles pour effectuer des visites à domicile, même à Paris, sont à nouveau suivis régulièrement », témoigne le généraliste parisien. La téléconsultation avec des personnes dépendantes permet donc de limiter les recours aux hospitalisations et les ruptures de soins.
> Attention aux dérives. Le Dr Naegelen alerte cependant sur les limites de la télémédecine aujourd'hui et sur le « risque que les Gafas se l'approprient à la place des médecins, avec des plateformes de dix praticiens dans un hangar ». Le syndicat MG France a fait part de ses inquiétudes à ce sujet dans un communiqué vendredi : « Certaines entreprises qui voudraient faire de la médecine un commerce se servent abusivement des dispositions dérogatoires prévues par l’avenant 6 », dénonce-t-il. Des dérogations au parcours de soins sont en effet prévues par le texte, lorsque le patient n’a pas de médecin traitant, ou dans le cadre de l’urgence. Le patient peut alors passer par une organisation territoriale de médecins (CPTS, MSP ou ESP). Le syndicat demande à l'Assurance maladie « de veiller au respect scrupuleux de l’esprit et de la lettre de l’avenant, voire une réécriture de clarification si nécessaire ».
La télé-expertise avec le Dr Nicolas de Chanaud
Le Dr Nicolas de Chanaud fait de la téléconsultation dans le même cadre que son confrère le Dr Naegelen mais aussi de la télé-expertise. « On en fait tous déjà en fait. La seule différence est que jusqu'à présent, cela n'était pas bien encadré, pas formalisé », précise-t-il.
> Dermato et cardio. En tant qu'interne, cet ancien chef de clinique à Paris V envoyait déjà des clichés dermato, des ECG, des MAPA à des médecins experts par mail ou via WhatsApp. « Depuis que je suis en cabinet je fais ça de manière plus formalisée. L'hôpital Tenon a notamment développé une plateforme de télé-expertise en dermato », explique-t-il. La demande d'avis est alors plus structurée, tout comme la réponse de l'expert. « Je fais une meilleure description du cas clinique et le médecin spécialiste me donne un avis plus circonstancié que je peux glisser directement dans le dossier patient », salue le généraliste.
Bientôt, ce que faisait le Dr de Chanaud gratuitement sera rémunéré par la CNAM (5 euros pour une demande simple, 10 euros pour une demande complexe dans la limite de 500 euros par an). Malgré l'entrée de la télé-expertise dans le droit commun le 10 février, les outils ne semblent pas encore prêts pour la télétransmission à l'Assurance maladie et le médecin affirme qu'il « ne peut pas encore être rémunéré ».
> Avantages. La télé-expertise est un plus pour le praticien et le patient. « Le patient gagne du temps et une amélioration de la qualité de la prise en charge ». Le diagnostic tombe entre 24 et 48 heures après la demande d'expertise du généraliste. Une prouesse lorsqu'on connaît les délais d'accès à un médecin spécialiste dans certains territoires. Le Dr de Chanaud évalue à environ une fois sur 10 les situations dans lesquelles il doit tout de même envoyer son patient voir le spécialiste en présentiel. « Dans ces cas, l'avantage est d'avoir établi un contact avec le spécialiste expert et de pouvoir programmer une consultation en urgence dans la semaine », note le généraliste.
> Formation continue. Le Dr de Chanaud utilise la télé-expertise une fois toutes les deux semaines environ. Elle lui permet également de se former continuellement grâce aux échanges avec les autres spécialistes. « Je l’utilisais beaucoup initialement mais au fur et à mesure des diagnostics, les pathologies étant récurrentes, j’identifie plus rapidement les lésions ».
Le bénéfice est aussi financier pour l'Assurance maladie. Ces télé-expertises « évitent des consultations de spécialistes qui peuvent être gérées directement par le médecin traitant et le patient n'a pas besoin d'un arrêt de travail pour se déplacer voir le dermatologue », souligne le Dr de Chanaud.
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