« J’ai retrouvé ma liberté » : des médecins en secteur III se lâchent

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Publié le 10/03/2023
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Crédit photo : S.Toubon

Ceux-là n’ont plus besoin d’être convaincus. Lors des premières assises du déconventionnement, à l’initiative de l’UFML-S, une demi-douzaine de praticiens en secteur III ont livré leurs témoignages de médecins déconventionnés, assumant leur choix et racontant avec force détails cette « liberté » conquise.

« J'ai fait mes négos, ça s'est très bien passé »

« J'effectuais des consultations d’une demi-heure facturées 49 euros et puis j’ai fait mes propres négociations devant mon ordinateur le 31 décembre et j’ai augmenté à 55 euros, les négos se sont très bien passées », raconte le Dr Bruno Paliard, généraliste dans les Deux-Sèvres, déclenchant l’hilarité des 700 médecins de la salle. Pour les visites, ses tarifs oscillent entre 69 et 100 euros, selon la distance et la gravité. Ce médecin, qui a exercé auparavant en Suisse, explique avoir pris goût dans ce pays à une médecine « plus lente et de qualité ». Pour les plus démunis, les chômeurs et les étudiants ? « On a un code de déontologie, on s’adapte, on soigne et c’est gratos », assure-t-il. Il limite son activité à une « quarantaine de consultations par semaine », pour un chiffre d’affaires de « 8 500 euros par mois ». « La Sécu, ça n’est pas le Graal ni la vérité absolue », affirme-t-il.

Ophtalmologue dans le Maine-et-Loire, en milieu rural, ex-conventionnée en secteur I, la Dr Paule Annick Ben Kemoun a basculé en secteur III en 2017. Elle raconte son ancien agenda auparavant « ingérable » et son état mental « limite en burn-out » avec des « charges qui grimpaient et un chiffre d’affaires qui stagnait ». L’impossibilité de choisir le secteur II, la stagnation des tarifs et la loi de santé de Marisol Touraine l’ont convaincue de franchir le Rubicon. « J’ai dit à ma directrice de caisse que tout était fini entre nous », glisse-t-elle. Bilan de ces six années hors convention, un agenda « facile à gérer, beaucoup moins de stress et un énorme sentiment de liberté ». Avec une consultation à 50 euros, elle a retrouvé un bénéfice comparable à celui de son exercice conventionné et « n’a plus du tout envie de déplaquer ! ».

« Pas des paillassons »

Rhumatologue à Poitiers et spécialiste de médecine du sport, ex-secteur I, le Dr Antoine Rose expose son burn-out en 2012 et la certitude, alors, de devoir sortir de la convention. « Je me suis libéré en mai 2020 », lâche-t-il sous les applaudissements. « Une lettre à la Sécu et on a la liberté de nos honoraires. Pour moi c’est 75 euros la consultation simple, 60 euros quand je revois les gens, 100 euros avec une infiltration et 50 euros pour les CMU. Évidemment, on fait aussi des actes gratuits et ça ne pose aucun souci »

Gynécologue médicale dans le Val-d’Oise, la Dr Caroline Leroux a d’abord eu une longue expérience du secteur public hospitalier pendant 20 ans. « J’en avais marre de bosser la boule au ventre, c’était l’enfer ». Elle s’installe en libéral en 2017 mais le choc est brutal. « Très vite, j’ai compris que ma façon d’exercer était incompatible avec cette convention et l’obligation de faire de l’abattage ». Le déremboursement de certains actes de colposcopie fut la goutte d’eau. « On n'est pas des paillassons, lance-t-elle. J’ai dit stop, je me déconventionne, c’était ça où je déplaquais ». Ses tarifs ? Elle les ajuste en fonction du temps passé et de la technicité, de 40 à 80 euros.

« Ne plus avoir affaire aux Rosp »

Autre témoignage édifiant, celui du Dr Jean-Marc Sène, médecin du sport à Paris, pratiquant l’ostéopathie et la mésothérapie, qui n’a même jamais été conventionné. Longtemps salarié, il se lance en libéral en 2012. Mais sa rencontre avec sa référente de l’Assurance-maladie le convainc… de rester à l’écart de la Sécu. « Les patients viennent nous voir parce qu’ils sont malades pas parce qu’ils sont remboursés », affirme-t-il, quand le DG de la Cnam souligne au contraire que la sortie du système conventionnel solidaire fait reposer l’accès aux soins « sur les moyens financiers du patient ». Ce praticien explique prendre 30 à 45 mn pour honorer son « obligation de moyens » et défend ses tarifs libres, qu’il adapte à ses charges ou à l’inflation. 

Dernier récit, celui du Dr Pascal Maillé, médecin du sport, qui raconte son parcours de conventionné secteur I, travaillant « un peu à la chaîne ». Son déclic pour basculer ? Une « lettre de menace » de la Cpam lorsqu'il prenait des « petits dépassements » exceptionnels de 5 ou 10 euros. « Un mois plus tard, ils avaient ma lettre », lâche-t-il. C'était en décembre 2019. « J'ai repris ma liberté, celle de prendre du temps, de ne plus avoir affaire aux Rosp, de proposer des projets thérapeutiques. Aujourd'hui, on met la majorité des confrères dans des conditions où ils ne peuvent plus exercer leur art correctement du fait de cette convention indigne » estime-t-il.

Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du médecin