Rarement les négociations d'un simple avenant auront été aussi longues et âpres. Lancé à l'été 2020 puis suspendu en décembre à l'approche des élections professionnelles, ce « round » avait repris en juin dernier pour se conclure fin juillet : trois syndicats de médecins libéraux sur six (CSMF, MG France et Avenir Spé-Le BLOC) ont paraphé ce compromis.
Ensemble, les signataires représentent 54 % des généralistes et 61 % des spécialistes – de quoi satisfaire Thomas Fatôme, directeur général de l'Assurance-maladie. « Nous avons une assise large qui donne de la force à cet avenant et à la mécanique conventionnelle », s'est-il réjoui. De fait, la partie était loin d'être gagnée. Pour obtenir cet accord majoritaire, le patron de la CNAM a consenti à des efforts supplémentaires par rapport au train de mesures initiales.
Fin 2020, 549 millions avaient été mis sur la table, provoquant le rejet unanime de la profession en campagne électorale. L'enveloppe finale s'élève à 786 millions d’euros (486 millions hors numérique et 300 millions d'incitations aux usages digitaux). « L'investissement est significatif et même historique », défend le DG, qui obtient là son premier accord important avec le corps médical. Cette fois, généralistes et spécialistes obtiennent une enveloppe équivalente sur les honoraires – soit chacun 165 millions d'euros.
Un cocktail de mesures mais pas de Ségur ambulatoire
Parmi les avancées les plus significatives, l'avenant entérine le doublement du tarif des visites gériatriques pour les plus de 80 ans en ALD, afin de favoriser le maintien des personnes âgées dépendantes à domicile. La CNAM table sur une hausse de 10 à 15 % de ces actes. Au bénéfice des publics prioritaires, 20 millions d'euros ont été prévus pour les consultations des personnes vivant avec un handicap et dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance.
Autre priorité : le soutien ciblé des spécialités cliniques en tension. Ainsi, 80 millions ont été budgétés pour quatre disciplines au bas de l'échelle des revenus (pédiatrie, psychiatrie, endocrinologie, gynécologie médicale). Parallèlement, 85 millions sont investis pour valoriser l'expertise ponctuelle (APC). Côté télémédecine, l'avenant tire les leçons des dérogations accordées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Il assouplit certaines règles de la téléconsultation comme la possibilité de consulter un médecin en dehors de son territoire dans les déserts médicaux. Pour la télé expertise, qui peine à décoller, les critères d’éligibilité des patients sont supprimés et les tarifs réévalués.
À côté des « revalos » directes, l'avenant mise sur des incitations financières. Concernant les soins non programmés, 150 millions d'euros sont prévus pour rémunérer les médecins volontaires qui prendront en charge rapidement ces consultations imprévues dans le cadre du nouveau service d'accès aux soins (SAS). Alors que 22 sites pilotes expérimentent le schéma, l'objectif est une généralisation du modèle dès 2022 pour désengorger enfin les urgences hospitalières.
Parallèlement, 300 millions doivent doper les usages numériques à tous les étages (volet médical de synthèse, alimentation du DMP, messagerie sécurisée, e-prescription, etc.) et accompagner les cabinets dans ce virage numérique. Quelque 100 millions seront versés aux éditeurs de logiciels médicaux, chargés de proposer une prestation complète (package Ségur numérique, installation, formation et maintenance).
En attendant la prochaine convention
Loin du « Ségur de la ville » espéré, cet accord, applicable à compter de 2022, laisse un goût amer. D'abord parce que les revalorisations sont ciblées et feront des déçus, à défaut de valoriser la consultation de référence. Ensuite parce qu'il complexifie encore l'exercice et les nomenclatures (forfaits, indicateurs, majorations). Mais surtout, alors que la médecine libérale a besoin d'un choc d'attractivité, les syndicats ne trouvent guère matière à une réorganisation permettant de meilleures conditions de travail.
Certaines centrales voient toutefois le verre à moitié plein, en attendant la négociation de la prochaine convention à l'horizon 2023. « On attendait beaucoup plus. Mais dans la situation actuelle, avec les efforts tarifaires sur les visites, l'APC ou pour les pédiatres, cet avenant méritait d'être signé, assume le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Il va améliorer le quotidien de certains médecins. » « Il fallait donner aux généralistes des moyens pour prendre en charge les patients âgés dépendants à domicile », justifie aussi le Dr Jacques Battistoni, patron de MG France. Pour Avenir Spé-Le BLOC, la médecine spécialisée libérale a gagné en reconnaissance. « Notre signature est une preuve de confiance pour construire l'avenir. Il faudra y travailler dès septembre ! », projette le Dr Patrick Gasser.
Du côté des non-signataires, on ne se prive pas pour étriller cet avenant. « Une énième rustine conventionnelle qui ne résout rien, une occasion ratée, tempête le Dr Philippe Vermesch, président du SML. Il aurait fallu faire front pour obtenir quelques mesures fortes et lisibles. » « On avait une fenêtre avant l'élection présidentielle pour faire pression », déplore le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Pire, le Dr Jérôme Marty, à la tête de l'UFML-Syndicat, estime que ce texte « va à l'encontre de la simplification souhaitée par la profession et ne répond pas à l’exercice de la majorité des médecins libéraux. » Dans ce contexte, l'UFML, la FMF et le SML devraient annoncer leur volonté de mettre en place un « grand pôle d'opposition libérale » en vue de l'élection présidentielle.
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