Dr Antoine Leveneur (URPS médecins libéraux) : « La généralisation du service d'accès aux soins est prématurée »

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Publié le 09/01/2023
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Crédit photo : S.Toubon

Président de la conférence nationale des unions régionales des professionnels de santé (URPS) médecins libéraux, le Dr Antoine Leveneur juge prématurée la généralisation du service d'accès soins (SAS), confirmée par Emmanuel Macron. Statut, gouvernance, tarifs : le généraliste normand attend des réponses claires pour inciter vraiment les libéraux à participer au SAS et met en garde le gouvernement contre le « tout 15 ».

LE QUOTIDIEN : Emmanuel Macron a annoncé la généralisation du service d'accès aux soins (SAS), cette plateforme de réponse aux soins urgents et non programmés. Êtes-vous satisfait ?

Dr ANTOINE LEVENEUR : Pas du tout ! La généralisation du service d'accès aux soins en 2023, comme l'avait déjà annoncé le ministre de la Santé, est prématurée car il n'y a pas de prise en compte des difficultés dans les Centres 15/SAS au niveau de la régulation et de l'effection. C'est très préjudiciable car il n'y a eu aucune évaluation accessible sur ce dispositif. Or, il est important de savoir pourquoi la vingtaine de projets pilotes expérimentés depuis deux ans fonctionnent bien… ou de façon très bancale.

Par ailleurs, ce nouveau modèle d'organisation et de prise en charge des patients, que nous soutenons, ne dispose à ce stade d'aucun cadre juridique stable. La structuration se fait sous forme d'associations, de conventions voire de groupements de coopération sanitaire. Certes, c'est souple mais cela pose le problème de la gouvernance qui doit à mes yeux être équilibrée entre les composantes hospitalières et libérales. Jusqu'à présent, c'est un vœu pieux ! Tout cela donne donc l'impression que le gouvernement veut avancer coûte que coûte, à marche forcée. Dans ce climat tendu, douloureux pour les professionnels dont les médecins, ce n'est pas la bonne façon de faire.

Quelle est selon vous la meilleure méthode ?

Outre la mise en place d'un cadre juridique précis, l'urgence est de consolider les équipes de régulation avant de généraliser le SAS. Les premiers projets pilotes, comme celui du Havre, étaient au départ calibrés en nombre d'appels, d'assistants de régulation médicale [ARM], d'opérateurs de soins non programmés, de régulateurs. Mais ce système a explosé ces dernières semaines en raison de la triple épidémie, de la fermeture des lits à cause du manque de soignants à l'hôpital mais surtout de la régulation des passages aux urgences par le 15 pour éviter l'engorgement de ces services. Tout cela engendre un afflux du nombre d'appels et génère une souffrance au travail. Le dispositif imaginé au départ est dépassé. Notre priorité est d'éviter la démission massive des médecins libéraux régulateurs en raison de mauvaises conditions de travail. 

Comment y remédier ?

Il faut faire des efforts à tous les niveaux : recruter des ARM, des opérateurs de soins non programmés et protéger des médecins régulateurs volontaires existants en les rémunérant mieux, en améliorant leurs conditions de travail avec une protocolisation à l'intérieur de cette chaîne de régulation. Cela pourrait aussi passer par le fait d'appliquer aux régulateurs SAS les exonérations fiscales des rémunérations perçues, comme cela se fait déjà pour les régulateurs dans le cadre de la permanence des soins.

Comment inciter les effecteurs à participer au SAS ?

Aujourd'hui, c'est l'accès à la cotation SNP [soins non programmés] qui pose problème. Très peu de médecins libéraux l'ont utilisée. Pourquoi ? On leur demande de s'engager pour dégager des plages de consultation de soins non programmés. Mais pour pouvoir coter le supplément de 15 euros, il faut passer par le 15 et par la plateforme numérique nationale SAS qui ne fonctionne pas partout.

Dans les deux cas, les généralistes n'utilisent pas la cotation SNP. D'où l'échec du SAS. Il faut arrêter de croire que le 15 va tout régler, ce n'est pas vrai. On va faire exploser tout le système. Au contraire, il faut faire confiance aux organisations territoriales comme les CPTS qui ont développé dans leurs projets de santé des outils de coordination et de régulation d'accès aux soins non programmés et leur permettre de facturer les 15 euros. Au lieu d'imposer le « tout 15 » ou la plateforme numérique nationale, le ministère et la Cnam doivent mieux prendre en compte les solutions simples et beaucoup plus fluides comme les CPTS.

Propos recueillis par Loan Tranthimy

Source : lequotidiendumedecin.fr