Face à une démographie en berne, les cardiologues misent sur la délégation de tâches et veulent pousser leurs confrères à prendre des gardes

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Publié le 13/10/2022
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Crédit photo : S.Toubon

Alors que 16 millions de Français poussent au moins une fois dans l'année la porte d'un cabinet de cardiologue, la profession s’inquiète de sa démographie en berne et publie un livre blanc de 15 propositions pour tenter d'y pallier. « Les prévisions font état de 220 départs à la retraite de cardiologues chaque année jusqu’en 2027 », alerte ce 13 octobre le Conseil national professionnel cardiovasculaire, le CNP de cardiologie. Aujourd’hui, un quart des cardiologues a plus de 60 ans, pour un âge moyen de 51,6 ans. « Les cardiologues vieillissent alors qu’en parallèle le nombre de patients pris en charge pour maladie cardiovasculaire augmente », analyse le Dr Jean-Claude Dib, cardiologue et vice-président du Collège national des cardiologues français (CNCF), qui craint « une pénurie à venir », en ville comme à l’hôpital.

Sur les 6 279 cardiologues actifs en 2022, plus d'un millier est âgé de plus de 60 ans. En parallèle, entre 2015 et 2019, 480 000 patients supplémentaires ont été pris en charge dans la filière. Avec la médecine générale et la gynécologie, la cardiologie fait d’ailleurs partie des spécialités qui perdent le plus de praticiens chaque année. « Il y a une inadéquation entre les besoins de la population et l’offre en cardiologie », déplore encore Jean-Claude Dib. Le tout dans un contexte de disparités territoriales criantes. Alors que Paris affiche une densité de 31 cardiologues pour 100 000 habitants de plus de 60 ans, le Lot chute à 7/100 000. « En Indre-et-Loire encore, le délai de rendez-vous est de plus de six mois », illustre-t-il.

Former davantage d'internes

Réunis au sein du CNP, cardiologues libéraux et hospitaliers viennent d'éditer un livre blanc, combinant une quinzaine de propositions pour améliorer l’accès au soin dans la spécialité. Première recommandation, urgente : « augmenter rapidement le nombre de cardiologues formés », résume le Pr Christophe Leclercq, cardiologue au CHU de Rennes et président de la Société française de cardiologie (SFC). Le CNP réclame ainsi 30 à 35 postes d’internes supplémentaires chaque année, pour combler « au minimum » les départs à la retraite. En 2022, 193 postes de futurs cardiologues ont été ouverts, avec des répartitions, une fois de plus, très inégales : 2 postes au CHU de Nice, 89 à Paris.

Une sous-spécialité inquiète particulièrement les cardiologues : la cardiologie interventionnelle. Sur les 1 100 spécialistes des angioplasties, 40 % ont plus de 60 ans. « D’ici cinq à dix ans, il y a aura une pénurie », assure à nouveau le Pr Leclercq. Le CNP propose ainsi de renforcer la filière en permettant plus facilement une spécialisation vers la cardiologie interventionnelle au cours de la carrière.

S'engager dans la permanence des soins

Parmi l'une des recommandations phare du CNP - « qui ne va pas plaire à tout le monde », selon le Dr Marc Villaceque, président du Syndicat national des cardiologues (SNC) : faire participer tout le monde aux gardes et aux astreintes, car « les plannings sont de moins en moins remplis, ce qui va poser des questions de sécurité », indique-t-il. Les cardiologues souhaitent ainsi rouvrir toutes les lignes d’astreintes du privé - « dont certaines ont été fermées par les ARS elle-même ! »- et, en parallèle, revaloriser les gardes.

Côté ville là aussi, « il faudra impliquer tous les cardiologues dans les soins non programmés », martèle le Dr Villaceque, lui-même cardiologue libéral à Nîmes. Le CNP propose ainsi que tous les libéraux libèrent des créneaux sur leur agenda pour prendre en charge, dans la semaine, des patients passés par les urgences par exemple. « Pour les cardiologues qui s’engagent dans ces soins non programmés, notamment via le service d'accès aux soins (SAS) ou les équipes de soins spécialisés, nous demandons en contrepartie un forfait supplémentaire », propose le Dr Vincent Pradeau, président du Conseil national professionnel cardiovasculaire (CNPCV).

« On ne pourra pas se passer des IPA »

Enfin, parmi les 15 propositions de son livre blanc, le CNP indique vouloir mettre le paquet « sur les nouveaux métiers ». « Nous avons besoin d’assistants médicaux, d’infirmières en pratique avancée (IPA) ou d’infirmiers techniques pour contrôler les prothèses rythmiques ou l’imagerie par exemple, imagine le Dr Olivier Piot, coordinateur de ce livre blanc. Ce qui nous permettra de dégager du temps mais aussi de réaliser un suivi plus régulier du patient », alors que le délai d'accès moyen à un cardiologue en ville est de 69 jours.

Demain, hospitaliers et libéraus envisagent ainsi, un travail « en équipe ». « On ne pourra pas se passer des IPA », réaffirme le Pr Leclercq, qui précise que la spécialité est déjà en pointe sur le sujet. « Il faut casser les silos », abonde le Dr Villaceque. Le CNP cardiovasculaire espère diffuser largement son livre blanc à « ses ouailles » pour faire évoluer la pratique de la cardiologie. Les propositions ont en tout cas déjà atterri sur le bureau du patron de la Cnam et du ministre de la Santé.


Source : lequotidiendumedecin.fr