Question des internautes du Quotidien du Médecin :
J'ai noté que le concept de "médecine humaniste" est revenu dans la bouche de nos confrères intervenus sur les lieux des attentats de novembre. Diriez-vous que, paradoxalement, une médecine humaniste se pratique plus naturellement sur des scènes de guerre que dans le confort d'un cabinet ?
Réponse du Pr Christian Hervé :
Pouvons-nous nous mettre d’accord que toute médecine est ou devrait être humaine de la sorte que médecine humanitaire et médecine humaniste seraient des pléonasmes, dès lors que l’on se place dans la clinique et la relation médecin-patient, soignant-soigné.
L’expérience du médecin de la BRI qui contait à la télévision son intervention dans la scène de l’attentat du Bataclan est probante. Alors qu’il était prévu pour assister les membres des forces de l’Ordre qui pouvaient être victimes, très rapidement il a dû s’occuper des autres victimes, un position éthique lui interdisant de ne pas s’en occuper.
Cela montre comment que la médecine humaniste peut se dérouler également (mais plus rarement sans doute que dans le confort d’un cabinet). La médecine de catastrophe avec le triage des blessés ne permet pas de telles considérations, le dépassement des moyens menant l’action à l’essentiel possible, bien réglé dans ces situations sans que l’empathie, la subjectivité n’interviennent.
À votre connaissance, les géants comme Google, qui s'investissent dans le champ de la santé, se sont-ils aussi formés à l'éthique médicale ?
Excellente question, bien qu’il soit difficile d’y répondre précisément…
Mais si nous supposons malgré tout qu’ils le sont, la deuxième question serait alors de savoir à quelle éthique médicale sont ils formés?
En effet, l’approche de l’éthique médicale des français est éloignée de celle des anglo-saxons, en particulier concernant l’autonomie des personnes : d’un côté les anglo-saxons prônant l’autonomie la plus large possible (ex :Google), et d’un autre coté des pays comme la France soutiennent l’idée que l’autonomie est effective si elle est accompagnée de protections (Massé 2003). Deux visions opposées, pourtant, d’un même principe éthique.
En pratique, si nous prenons l’exemple des tests génétiques disponibles sur internet sans prescription médicale, les états Unis considèrent pour l’instant que toute personne qui souhaiterait avoir accès à ses données génétiques, médicales ou non, sous couvert qu’il se soit mis d’accord avec sa famille dans le cas d’analyse clinique, est libre de le faire quel que soit son niveau de connaissance en génétique et des conditions de l’offre et du service proposées (Prainsack 2014).
Cette pratique est fortement critiquée en France, et pour l’instant interdite par la loi, la médiation d’un médecin étant impérative.
Donc avant de répondre à cette question, il faudrait peut-être conseiller, si cela n’est déjà fait, à Google l’étude des problémes éthiques que cela pose où il propose dans le cadre de Google santé ses services et contribuer peut-être également à construire les limites éthiques de ses propres cérations. Massé, R. (2003)Presses de l'Université Laval ed.). Prainsack, B. (2014). DIY Genetics: The right to know your own genome. In R. Chadwick, Levitt, M., and Shickle, D. (Ed.), The Right to Know and the Right Not to Know: Genetic Privacy and Responsibility (Cambridge University Press ed., pp. 100-115).
Diriez-vous que la médecine humaniste est devenue l'apanage de nos confrères généralistes, tandis que les spécialistes pratiquant une "médecine d'organe" pointue s'en éloignent ?
Je me permets de répondre « non ».En effet, la médecine d’organe, en fonction des apports de la génétique et de l’informatique, va être supplantée par ce que l’on peut dénommer « la médecine personnalisée » (autre pléonasme quand est concernée la relation clinique) par les spécialités qui sont actuellement et a fortiori prochainement confrontées à des nouveaux traitements plus adaptés aux caractéristiques génétiques des organes malades.
C'est déjà le cas pour la lutte contre le cancer et ce sera bientôt le cas de toutes les maladies chroniques, lesquelles sont en augmentation et constitueront le maximum des efforts de ces spécialistes.
Il n’empêche que cette médecine pour laquelle les thérapeutiques ainsi ciblées en fonction de marqueurs génétiques positifs se devra d’être également humaine et participer à cette médecine humaniste, la pertinence des résultats technologiques ne permettant pas la construction d’un pacte de confiance avec le patient.
P. Ricœur. Visions éthiques de la personne (2001), L’Harmattan. et Le nouveau paradigme de la médecine personnalisée ou médecine de précision. (20014), Ethique biomédicale et juridique, Dalloz.
Comment le corpus des études médicales tel qu'il existe aujourd'hui peut-il former des médecins humanistes ?
Contrairement à une pensée commune, des avancées ont été faites depuis 1992, moment où le ministère de l’enseignement et de la recherche introduisait le module de culture générale qui comptait alors pour 20% de la note finale du concours.Aux révolutions génétique et informatique qui changent la médecine, répondent l’introduction des sciences humaines (SH) dans le module 7 de la première année de médecine, complété par des passerelles pour entrer au-delà de cette première année en médecine, concernant notamment des littéraires.
Cette introduction des SH poursuivi dans le deuxième cycle par deux modules « Sciences humaines » et « éthique médicale et médecine légale » qui abordent les comportements, discours et attitudes attendues par les patients depuis les lois sur la recherche biomédicale (1988), des droits des malades (2002), de la fin de vie (2005-16) lesquelles fixent avec les lois de bioéthique (1994, 20O4-11) les limites de l’action médicale, les devoirs mais aussi la réflexion critique.
Des enseignements d’ailleurs (dans certaines universités, notamment à l’Université René Descartes ) effectués par des patients à partir de leurs témoignages de prises en charge diverses et un master éthique médicale et bioéthique, ont été également organisés dans le deuxième cycle ainsi que des thèses d’université dans le troisième effectuées par bons nombres d’internes et chefs de clinique.
Enfin, une université de Patients se développe également, ce qui montre la nécessaire adaptation de nos enseignements à l’écoute, à l’accompagnement à l’empathie et à la sollicitude qui est due à tout patient. Enfin, une convention entre le doyen de la faculté de médecine de l’Université Paris Descartes (Paris 5) et la présidente de l’Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3) concerne un enseignement de « Médecine et Humanités » tel qu’il est enseigné dans les pays anglo-saxons, interdisciplinaire il s’agit alors d’un double cursus particulièrement recommandé par notre doyen à tous les étudiants en médecine.
Ne faut-il pas réformer, voire réécrire complètement, notre code de déontologie ?
Le code déontologie est une structure vivante qui répond également aux mouvements de société et qui allie les devoirs immémoriaux des médecins, symbolisés par le texte du Serment d’Hippocrate. Cependant, comme il a été mentionné auparavant, la mondialisation nous demande, également à nous médecins, de nous interroger sur nos valeurs et leurs interprétations dans la société dans laquelle nous vivons « avec et pour les autres dans des institutions justes » dirait Paul Ricœur.Cela pose la notion de la réponse faite ou à faire aux demandes provenant de patients acceptées à l’extérieur de nos frontières et souvent accessibles par Internet ou en se déplaçant d’un pays à l’autre aux lois différentes, posant alors les conditions d’un suivi d’actes répréhensibles sur le territoire national.
Le nouveau paradigme génétique, la pratique de stocker les données médicales et de les travailler pour en sortir des résultats – lesquels peuvent être échangés voire monnayés et constituer une réponse à l’emploi et à la croissance - qui nous guideront pour des conseils à la population et aux malades, demandent à ce que des notions abordées dans ce Code de déontologie soient à nouveaux explicitées, à la lumière de ces éléments nouveaux. C’est ce qu’effectue dans ses réunions le Conseil national de l’Ordre des médecins qui après avoir organisé une rencontre-débat sur les données de santé qui participent à la e-sante, cette semaine a organisé une autre sur la e-santé dans la société de communication qui est devenue la nôtre (site du CNOM)….
Aussi, à cette question judicieuse, je répondrais point n’est nécessaire de la réformer, de l’appliquer - sans doute - semble plus pertinent mais surtout d’en étudier les nouvelles représentations que les médecins vont avoir à penser de leurs devoirs nouveaux dans la société actuelle, en fonction de limites qui se discutent éthiquement. C’est pourquoi le ministère Allègre a placé l’éthique médicale en rapport avec la déontologie dans la discipline « médecine légale et droit de la santé » pour réfléchir éthiquement et proposer des nouvelles formes de la médecine, dont les valeurs exprimées dans le code de déontologie vont prendre un sens nouveau que ce soit par volonté des professionnels, ou induit par les avancées scientifiques et techniques qu’utilise la médecine, voire imposé par la demande sociale.
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