Le président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) constate un « effondrement » de l'activité depuis le début de l'épidémie. Dans un entretien au « Quotidien », le Dr Thierry Bour exhorte le gouvernement et la CNAM à agir pour assurer la survie économique des cabinets face à une crise durable.
LE QUOTIDIEN : A ce jour, quelles sont les conséquences de l'épidémie pour les cabinets libéraux d'ophtalmologistes ?
Dr THIERRY BOUR : Depuis le début du confinement, il a été demandé aux patients de privilégier la consultation à distance et le traitement des urgences uniquement. Or, en ophtalmologie, la téléconsultation est presque impossible et il y a peu de risques vitaux pour la grande majorité de nos patients.
Nous continuons à assurer les soins indispensables mais les annulations de rendez-vous sont massives. Même parmi les cas les plus urgents, la moitié des patients ne se présentent plus au cabinet. C'est certainement par peur d'attraper le virus. Notre patientèle est souvent âgée et entre dans la catégorie des personnes à risque.
On assiste donc à un effondrement d'activité qui peut être estimé à 95 %. Environ 40 % des cabinets ont carrément fermé leurs portes, souvent faute de protections nécessaires. Toute l'activité chirurgicale réglée a été suspendue. Les urgences ont été divisées par deux ou trois.
Sur quelles pathologies le renoncement aux soins est-il dangereux ?
Tout dépend du temps que va durer cette crise ! Chez nous, le risque du renoncement aux soins, c'est l'augmentation de la malvoyance voire la cécité.
Quatre situations peuvent y mener. On opère 850 000 cataractes par an habituellement, c'est la première intervention au niveau national. Une aggravation de cette pathologie par un retard de l'opération peut être très dangereuse. Un glaucome mal stabilisé ou non suivi peut aussi basculer vers la cécité. La DMLA pose aussi problème car la thérapeutique passe par des injections intravitréennes qui nécessitent des traitements réguliers. Aujourd'hui seulement 40 % des suivis sont assurés. Le dernier point, c'est la rétinopathie diabétique qui, si elle n'est pas traitée pendant plusieurs mois, entraîne des conséquences irréversibles.
Quelles sont les conséquences financières pour les cabinets ?
L'équilibre financier des cabinets a été détruit par cette crise et il n'est pas assuré dans les mois à venir. Olivier Véran a demandé à l'assurance-maladie d'étudier des mécanismes de compensation.
De notre côté, nous avons écrit directement au Premier ministre et au ministère de la Santé pour demander que le douzième du chiffre d’affaires des cabinets médicaux libéraux soit assuré par la CNAM et l'UNOCAM (Union nationale des complémentaires). Actuellement, on sait qu'avec l'effondrement des consultations, l'Assurance-maladie fait 350 millions d'économies sur les soins de ville chaque semaine. Ce à quoi il faut rajouter les économies que font les complémentaires santé…
Mais étant donné que la crise va se prolonger, il faudra trouver une sorte de forfait à ajouter à l'activité réellement effectuée pour compenser sur la durée. Si cela n'est pas fait, certains cabinets vont fermer et des personnels seront licenciés.
Enfin, les jeunes installés sont dans une situation catastrophique. Les praticiens proches de la retraite se posent également des questions. Le gouvernement doit absolument rassurer les ophtalmologistes sur le plan économique.
Comment appréhendez-vous le déconfinement ?
La situation ne va pas être simple pour plusieurs raisons. D'abord il va falloir programmer un dépistage et un interrogatoire avant chaque opération pour savoir s'il n'y a pas de signe de Covid-19 chez le patient. Cela va alourdir la procédure et sans doute diminuer les volumes. Le redémarrage sera très progressif.
L'activité dans les cabinets va pouvoir reprendre mais toujours selon des procédures strictes qui auront aussi un impact sur les volumes. D'autant qu'on va probablement passer d'un confinement total à un confinement chronique. Bref, la situation ne sera pas équivalente à celle d'avant la crise, notre activité devrait baisser d'environ 30 % à 50 %.
Paradoxalement, je ne pense pas que les délais de rendez-vous vont s'allonger car on s'attend à beaucoup de réticence à venir dans les cabinets notamment de la part des personnes âgées. Il faudra remettre en route progressivement la machine et redonner confiance aux patients.
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