Deserts médicaux
Depuis plusieurs années, suite à la désertification d’un certain nombre de zones rurales et à cause d’un numerus clausus longtemps drastique, des agences spécialisées dans le
recrutement de médecins étrangers ont vu le jour en France. Deux d’entre elles dominent ce marché, l’ARIME et Revitalis-Conseil. Principal vivier de ces recruteurs, la Roumanie, entrée dans l’Union Européenne au 1er janvier 2007. Si ce pays dispose de médecins souvent convenablement formés, certains ont obtenu leur diplôme, selon l’Ordre des médecins français, dans des universités libres dispensant un enseignement de qualité inégale, voire médiocre. De culture francophone, ces médecins qui voient la France comme un véritable Eldorado, connaissent dans leur pays des conditions de travail difficiles, (ils gagnent en moyenne 500 euros par mois), et se laissent facilement bercer par la promesse d’un avenir meilleur. Malheureusement, la greffe ne prend pas toujours, et les gazettes se font régulièrement l’écho de ces médecins fraîchement installés qui constatent amèrement que la réalité quotidienne ne correspond pas vraiment au tableau qui leur en a été dressé. Ils disparaissent parfois du jour au lendemain, sans prévenir quiconque de leur départ. Les agences qui les ont fait venir monnaient chèrement leurs services (jusqu’à près de 50 000 euros) et certains élus, qui paient la facture, contestent la qualité de leur prestation. Pour leur part, ces mêmes élus vont parfois un peu vite en besogne en estimant indispensable la venue d’un nouveau médecin, même si on peut légitimement penser que ces entreprises pourraient à tout le moins s’assurer de la réalité d’un
besoin dont elles facturent chèrement la satisfaction. Pour l’Ordre des médecins, opposé à
l’existence de ces agences, « ces recrutements devraient passer par les ministères des Affaires étrangères et de la Santé, c’est au pays d’origine que de l’argent doit être versé, pas à ces agences ».
Les mésaventures du Dr Stanculescu (voir ci-contre) constituent une bonne illustration des méthodes parfois utilisées par les agences de recrutement spécialisées. Le premier reproche souvent adressé à ces agences se rapporte au prix de leurs prestations. Certes, il varie d’une agence à l’autre, mais il n’en reste pas moins que facturer 40 000 euros hors taxes à une commune pour y faire venir un praticien originaire d’un autre pays de l’Union européenne semble un prix assez conséquent. Sophie Leroy, de l’agence ARIME, ( Association pour la recherche et l’installation de médecins européens) justifie pourtant ce montant : « Cela comprend le suivi du médecin depuis deux ans, sa présentation sur son futur lieu d’exercice, la gestion des formalités, les papiers à obtenir, et la fourniture d’argent (6 000 euros) pour équiper son cabinet ». La responsable de l’ARIME va plus loin et précise que « pour un spécialiste à l’hôpital, nous facturons 46 000 euros hors taxes ». Après sa mésaventure, (voir ci contre) le maire des Ancizes, Pascal Estier, trouve d’ailleurs l’addition passablement salée : « 20 ou 25 000 euros, à la rigueur, mais 40 000, c’est beaucoup trop ». L’édile qui estime qu’il a été trompé ne compte d’ailleurs pas en rester là, et a l’intention d’écrire à l’ARIME : « Le business de l’ARIME est très lucratif. Je vais leur demander des comptes, car ils avaient justifié leurs tarifs élevés par le fait que leurs candidats étaient de première qualité et que nous n’aurions pas de mauvaise surprise ». Amer, Pascal Estier charge encore un peu plus la barque : « D’après mes informations, ces agences assurent aux candidats roumains qu’ils vont gagner 10 000 euros par mois, alors bien sûr, leur désillusion est grande ».
L’OMS s’en mêle
Autre grief parfois formulé, celui de faire peu de cas de la situation démographique réelle des zones où vont s’implanter ces médecins étrangers, et de ne pas suffisamment prévenir les candidats que leur installation ne sera sans doute pas une partie de plaisir. A cet égard,
l’exemple des Ancizes est emblématique : une analyse rapide de la situation démographique du bassin de vie (et non de la seule agglomération, qui constitue un échantillon évidemment trop restreint) aurait dû conduire l’ARIME à renoncer à ce projet. Xavier de Penfentenyo, de l’agence Revitalis-Conseil (qui a convaincu le Dr Stanculescu à quitter les Ancizes pour Mondoubleau) le confirme lui-même, chargeant implicitement au passage ses concurrents l’ARIME : « Le canton des Ancizes compte 3 500 habitants pour 6 médecins, et celui de Mondoubleau (où est parti ensuite exercer le Dr Stanculescu) 6 500 habitants pour trois médecins, C.Q.F.D. ». Certes, les médecins libéraux déjà installés ne voient pas forcément d’un bon il ces médecins roumains débarquer à proximité de leur cabinet, et ne prennent pas toujours de gants pour préserver ce qu’ils considèrent comme leur pré carré. Mais les agences de recrutement devraient prendre en compte cet aspect des choses avant toute implantation, afin de diminuer au maximum les risques de rejet. Sans dresser une liste exhaustive de ces implantations ratées, on peut citer celle d’un autre médecin roumain, installé fin 2007 par une agence de recrutement à Triguères, dans le Loiret : ce praticien se demande encore pourquoi on l’a fait venir ici, alors que six généralistes au moins exercent à moins de 10 kilomètres de son cabinet. Plus d’un an après son installation, il ne réalise guère plus de deux consultations par jour et envisage un retour au pays. Ou encore, cité par le Dr Raynal, président du conseil départemental du Puy-de-Dôme, l’exemple d’un autre médecin roumain implanté dans son département et dont l’activité « n’est pas mirobolante ». Ou enfin celle d’un autre médecin roumain qui a effectué un passage éclair à Anor, dans le département du Nord. Après à peine quelques mois dans la commune, il est reparti pour son pays. Mais il ne faut pas accuser ces agences de tous les maux, et certains médecins roumains venus s’installer en France sans leur concours n’ont pas connu plus de succès, comme le Dr Popoviciu (« Le Quotidien » du 4 septembre 2008). Ce praticien roumain, qui a répondu à une annonce émise par une municipalité picarde a en effet dévissé sa plaque au bout de quelques mois et a disparu du jour au lendemain. Personne ne sait trop s’il exerce ailleurs en France ou s’il est retourné en Roumanie.
Enfin, il semble que ces agences se livrent entre elles un combat peu confraternel. La mésaventure des Ancizes en constitue encore une fois un bel exemple. Certes, le Dr Stanculescu ne serait sans doute pas resté dans le Puy-de-Dôme, même sans l’aide de la société Revitalis-Conseil qui l’a convaincu de quitter les lieux pour rejoindre Mondoubleau, mais Sophie Leroy, de l’ARIME, ne décolère pas pour autant : « Certaines agences de recrutement sont incapables de trouver un médecin étranger sauf en nous suivant à la trace. J’ai d’autres médecins installés qui ont été démarchés par des concurrents. On va arrêter de communiquer sur les médecins qu’on installe ». Quant à Xavier de Penfentenyo, de Revitalis-Conseil, il justifie curieusement son attitude vis-à-vis du Dr Stanculescu : « J’ai agi de la sorte parce que s’il était rentré en Roumanie, cela aurait donné aux futurs candidats au départ une mauvaise image de
l’accueil qu’ils peuvent espérer trouver en France ». Cela aurait peut-être aussi risqué de compromettre un bien lucratif marché..
Mais l’OMS se penche sur ce dossier. L’organisation mondiale de la Santé a en effet commencé à soumettre à ses 193 états membres un projet de code de bonne conduite qui comprend des dispositions sur ce commerce médical. Si ce texte, non coercitif mais qui induit un engagement politique fort des états signataires, est voté en juin prochain, la France sera amenée à réglementer cette activité.
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