14 heures pétantes, à l'angle du ministère de la Santé, avenue Duquesne à Paris, plusieurs centaines de médecins s'attroupent autour d'un camion où trône une grande banderole : « Ave Braunus, ceux qui vont mourir te saluent ». Micro à la main, plusieurs blouses blanches haranguent la foule en tapant dans la main. « Macron ton plan, on n'en veut pas », reprennent en chœur les manifestants, à majorité des généralistes dont beaucoup de jeunes femmes médecins. L'atmosphère est bon enfant pour ce « mouvement historique », lancé ce jeudi et jusqu'à demain, par le jeune collectif « Médecins pour demain », qui a fédéré en quelques semaines près de 15 000 membres sur Facebook. Au cœur de sa revendication : le doublement du tarif de la consultation (de 25 à 50 euros), un mot d'ordre auquel se sont raccrochés - avec des nuances - les syndicats de médecins libéraux en pleine négociation conventionnelle avec l'Assurance-maladie.
Photo Sébastien Toubon
« Cinquante euros, ça peut paraître complètement fou, mais c'est un point sur l'horizon pour s'approcher de la moyenne européenne », répète en boucle le Dr Jérôme Marty, président du syndicat UFML. Présente à ses côtés, la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF, a tenu à justifier : « 50 euros, ce n'est pas pour gagner plus mais pour pouvoir embaucher des secrétaires et travailler dans des conditions correctes. »
Dans la foule, l'ancien patron du syndicat, le Dr Jean-Paul Hamon, tient dans sa main une banderole « Médecins méprisés, j'ai mal à ma vocation ». « Ce n'est plus de mon âge de manifester mais si on ne met pas le holà à la destruction de la médecine libérale, on va droit dans le mur », martèle le généraliste de Clamart. Il était accompagné de plusieurs anciennes figures des grandes grèves de 2002 comme le Dr Pascal Charbonnel, généraliste aux Ulis.
Photo Sébastien Toubon
À l’époque, à l'initiative d'une coordination, les généralistes réclamaient la fin de l'obligation des gardes et la hausse du C à 20 euros. « La colère est pire qu'en 2002, explique-t-il aujourd'hui. Là les jeunes sont en train d'exprimer leur mal-être. Je crois que le ministre ne se rend pas compte. Soit il fait quelque chose, soit la moitié des médecins se barre. Il va y avoir un effet domino. »
Marre de remplir des papiers
Venues de Guignicourt (Aisne), deux généralistes installées dans une maison de santé et non syndiquées sont, elles aussi, très remontées. « Nous voulons que nos tarifs soient revalorisés pour tenir compte de notre travail, témoigne la Dr Orlane Denaives. Aujourd'hui, les consultations prennent du temps et nous voulons continuer à prendre ce temps pour les patients ». Sa consœur, la Dr Céline Delor, déplore la charge administrative : « Nous n'avons pas fait dix ans d'études pour remplir des papiers. Il y en a marre. Nous voulons nous occuper de l'humain. Donc, cette revalorisation nous permettra d'embaucher un secrétaire pour gérer les patients, les papiers. » Faute de quoi, la généraliste menace de déplaquer.
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Un peu plus loin, la Dr Nathalie Benil est venue avec son jeune associé, le Dr Ronni Madar. Les deux généralistes installés aux Lilas (Seine-Saint-Denis), en fermant pour deux jours leur cabinet, refusent d'être « des grands secrétaires de tout le monde » et contestent les délégations de tâches aux autres professionnels de santé. « Je ne veux pas que les pharmaciens fassent la vaccination des enfants ou que les assistants prennent la tension à notre place. Nous demandons qu'on nous décharge de temps administratif pas du temps médical », explique la Dr Benil. Se mêlant à la discussion, le Dr Stéphane Pilorget, 56 ans, installé dans une maison de santé pluridisciplinaire à Châtillon-sur-Marne acquiesce.
Grève dure ?
Le généraliste, qui a déjà manifesté contre la loi Juppé en 1995 et la loi Touraine en 2015, veut défendre l'indépendance dans l'exercice des médecins. « Nous maintenons un secrétariat physique utile pour les patients. Si on ne nous donne pas cet investissement via l'acte revalorisé, nous perdrons cette liberté d'organisation précieuse », dit-il.
Malgré le froid glacial, les slogans fusent et les manifestants chantent sur un fond de musique des Blues Brothers. Pour cette première journée de grève, avec des cabinets médicaux fermés « à 60 % voire 80 % » selon les organisateurs, « le mouvement ne fait que commencer », promet le Dr Marty. Le collectif « Médecins pour demain » a déjà annoncé son intention d’appeler à une grève dure et illimitée, à partir du 26 décembre, si la profession n'est pas entendue.
Photo Sébastien Toubon
Pour l'heure, des rassemblements un peu partout dans les grandes villes ont réuni 200 personnes à Toulouse et à Rennes. À Nantes, ils étaient 450, tandis qu'en Corse un tiers des 300 médecins libéraux de l'île s'étaient déclarés grévistes, selon l'AFP.
Sept milliards d'euros
En fin d'après-midi, le cabinet de François Braun a fait savoir au « Quotidien » que le ministre est « particulièrement attentif pendant cette journée de mobilisation à ce que la continuité des soins des Français soit assurée » et qu'il « a suivi tout au long de la journée la situation de près avec les ARS ». Il faudra cependant attendre le début de la semaine prochaine pour avoir une idée précise de l'ampleur de la fermeture des cabinets lorsque la Cnam aura colligé les données de remboursements de consultations.
« Face à des conditions de travail qui ont tendance à se dégrader depuis plusieurs années, la priorité du ministre est de soutenir la médecine libérale et de redonner du temps médical à ces professionnels », a indiqué son entourage. Mais doubler la consultation à hauteur de 50 euros coûterait 7 milliards d'euros à l'Assurance-maladie, a aussi rappelé aujourd'hui, son directeur général, Thomas Fatôme.
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