Pierre Ouanhnon (ARS Île-de-France) : « Nous attribuons 10 000 euros de plus à chaque généraliste s’installant en zone ZIP+ »

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Publié le 31/03/2022
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L'agence régionale de santé (ARS) Île-de-France a dévoilé ce jeudi 31 mars son nouveau zonage pour les médecins généralistes. Depuis 2018, la démographie médicale s'est fortement dégradée : plus de 62 % des Franciliens, soit 7,6 millions d'habitants, résident désormais dans des territoires en grande difficulté démographique (classés ZIP, zones d'intervention prioritaire), contre 37 % il y a quatre ans. Et 34 % des habitants sont dans un territoire où l'offre de soins est insatisfaisante (ZAC, zones d'action complémentaire).

Au total, ce sont plus de 96 % des habitants de la région qui habitent dans des territoires classés sous-denses ! Dans ce contexte, l'ARS a décidé de créer un nouveau zonage « ZIP + » qui donne le droit à de fortes incitations supplémentaires. Le directeur adjoint de l'offre de soins à l'ARS, Pierre Ouanhnon, s'explique en exclusivité sur les enjeux de cette nouvelle cartographie et les aides aux généralistes.  

LE QUOTIDIEN : Plus de 96 % des Franciliens vivent désormais en territoire sous-dense, éligible aux aides à l'installation des médecins. Comment en est-on arrivé là ?

PIERRE OUANHNON : Une des causes principales de la diminution du nombre de médecins en Île-de-France est la pyramide des âges. Le gros bataillon des médecins qui manquent aujourd’hui sont ceux qui sont partis en retraite depuis une bonne dizaine d’années. La région est en avance sur la France car la pyramide des âges y est plus défavorable, beaucoup de médecins ont plus de 60 ans, voire 65 ans. Cela est valable partout, on a des médecins âgés que l’on soit à Versailles ou à Clichy-sous-Bois.

Mais il n’y a pas que cela. Les installations ont du mal à se faire en Île-de-France pour d’autres raisons : le coût de la vie est particulièrement élevé, et notamment le coût de l’immobilier et des locaux. Pour un jeune médecin de 30 ans, ce n’est pas évident puisqu’il a les mêmes honoraires, qu’il exerce en Lozère ou en plein centre de Paris. Il y a aussi l’aspect qualité de vie, certainement accéléré par le Covid. Beaucoup de jeunes ont préféré s’installer dans des territoires plus réputés, notamment sur les franges littorales de l’ouest et du sud. Il y a la question du temps de travail : les médecins de 2020 n’ont pas le même emploi du temps que ceux des années 2000 et même 2010, leur activité est différente, plus mixte, avec davantage de salariat.

Enfin, il y a un accroissement et un vieillissement de la population. L’Île-de-France est une des régions qui augmente le plus en population – et les patients de plus de 50-60 ans ont désormais davantage de pathologies chroniques et donc consomment des soins. Mécaniquement, la demande augmente, tandis que l’offre diminue.

C’est donc surtout au niveau des installations en libéral que cela coince ?

Oui, on le constate en regardant les écarts entre les départs et les installations. On peut dire qu’on a des départs partout, quels que soient les territoires. En revanche, il n’y a pas la même dynamique d’installation partout, et c’est là où se nichent les cas les plus compliqués en termes de démographie médicale.

Cela ne concerne pas que les territoires ruraux ou précaires, il n’y a pas d’uniformité, c’est cela qui est surprenant ! Entre 2018 et 2020, la région a perdu 155 médecins généralistes, soit près de 2 % des médecins généralistes. Cela veut dire qu’on perd 80 médecins généralistes par an (sur 8 000 environ dans la région), ce n’est pas rien. On est toutefois un peu plus optimiste car, avant 2018, on perdait 200 médecins par an ! Notre autre facteur d’optimisme est que dans les territoires aidés par le classement en ZIP [zone d'intervention prioritaire] en 2018, la baisse du nombre de médecins s’est limitée à 0,2 %.

Globalement, la situation devrait s’améliorer d’ici à quelques années dans les territoires où les installations continuent à se faire, lorsque la pyramide des âges s’inversera. Ce sera plus difficile dans ceux où peu de médecins s’installent… C’est ce que nous avons essayé de pointer avec notre nouveau zonage.

Précisément, vous créez un nouveau zonage « ZIP + », pour les zones les plus en difficulté, afin de les soutenir davantage. Qu’est-ce que cela va changer ?

Le ministère nous a fixé un seuil maximal de 62 % du territoire pour les ZIP, ce qui est déjà énorme. Quand il y a une telle masse de territoires où on aide financièrement à l’installation, on a le risque paradoxal que les médecins s’installent quand même dans les endroits les plus « attractifs » parmi ces zones très tendues.

Donc, si on ne faisait pas quelque chose en plus pour ces territoires sans installation, il n’y avait aucune raison que les choses s’améliorent. Nous avons donc décidé de discriminer, au sein même des ZIP, les secteurs avec soit des inconvénients majeurs (forte précarité, problématiques sociales importantes) ; soit avec zéro dynamique d’installation, souvent des zones rurales où il est compliqué de trouver un collège pour les enfants, un boulot pour le conjoint, des services publics. Ces ZIP + représentent 103 territoires où vivent 3,8 millions d’habitants, soit près de 28 % de la population francilienne.

Que ferez-vous concrètement ? 

Nous aiderons davantage les généralistes qui s’installent dans ces zones ZIP +, avec des avantages financiers. Nous mettrons au bout des aides de l’Assurance-maladie ou de l’État un financement complémentaire de 10 000 euros pour chaque médecin généraliste s’y installant. Nous subventionnerons aussi le secrétariat pour les médecins qui s’installent, via une aide forfaitaire, fixe, fonction du temps de travail de la secrétaire.

Nous soutiendrons aussi les médecins retraités qui veulent maintenir leur activité en cumul emploi retraite, en finançant une partie de leurs cotisations sociales, pour qu’ils ne soient pas désavantagés au-delà d’un certain niveau d’activité.

Nous allons aussi aider les maîtres de stage de médecine générale qui accueillent des étudiants et des internes dans ces zones, avec une indemnisation en plus de la rémunération versée par l’université. 

Enfin, pour attirer les jeunes, nous allons favoriser la création de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou de centres de santé dans ces zones ZIP + avec un doublement des aides versées en temps normal. De la même manière, nous aiderons à l’amorçage des CPTS, par exemple avec un coordonnateur. Toutes ces aides entreront en vigueur dès que le zonage sera publié.


Source : lequotidiendumedecin.fr