Courrier des lecteurs

Stages : il faut rendre attractive la médecine rurale !

Publié le 21/11/2019

La pratique de la médecine est tout un art qui est tout à fait différent en fonction du lieu d’exercice du praticien. Bien entendu ce principe ne doit pas être réducteur, et il est possible de voir certains confrères (il est vrai que cela est rare) en ville travaillant comme ceux des campagnes.

Volontaire depuis des années pour donner le goût, voire dans certains cas la passion de notre pratique professionnelle, j’ai décidé d’accueillir des internes français et étrangers, des médecins ayant des difficultés dans leur exercice professionnel mais aussi des externes.

Conscient du fait que mon lieu d’exercice est assez éloigné des grands centres urbains, j’ai décidé de prendre en charge personnellement le logement de ces étudiants. Même si le studio fourni n’est pas d’un luxe extraordinaire, toutes les commodités y sont associées. Cette initiative a pour but de montrer que, dans ce métier, nous pouvons être solidaires, et que nous avons la volonté de pouvoir s’entraider.

C’est ainsi qu’il est souvent intéressant et palpitant de faire découvrir aux jeunes externes une profession qu’ils ne connaissent pas du tout. De plus dans notre secteur ces étudiants découvrent une pratique très large en ce qui concerne la réalisation de certains actes (suture, plâtre…). Nos futurs confrères peuvent également prendre conscience des raisons qui nous poussent à être des hommes orchestres ; cela du fait d’un manque cruel de médecins dans de nombreuses zones rurales. Le plus fascinant, c’est de faire participer ces jeunes dans la réalisation de certains actes ou d’une recherche de diagnostic. Fréquemment, ils sont comme des enfants qui découvrent une nouveauté attractive.

De ce fait, j’ai donné la priorité à ces jeunes qui découvrent une profession souvent méconnue. Les logeant (j’estime que c’est un devoir lorsqu’on sait qu’ils gagnent moins de 200 € par mois), j’ai pu bénéficier d’une « priorité » (ce qui avait dit au départ) dans ces choix ; prise de position qui me ravi.

Discrimination

En décembre une nouvelle promotion s’apprête à venir se frotter à la médecine générale. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé la demande d’un interne étranger en fin de cursus qui voulait rester quelques semaines car il avait une certaine appréhension de se trouver face aux patients. Très à l’écoute de son « mal-être », je lui ai proposé une autre période qui ne lui convenait pas pour des raisons financières. Étant en consultation, je n’ai pas pris la peine de lui demander ses coordonnées.

Ce refus a pour but de favoriser les étudiants de la faculté de mon lieu d’exercice en priorité, et ce d’autant plus qu’une relation de confiance s’est établie depuis quelques années dans ce domaine. Curieusement, j’apprends quelques jours plus tard qu’en décembre du fait de futures grèves (calendrier prévisionnel sans réel fondement) de la SNCF, il ne sera pas possible de m’envoyer des étudiants. C’est ainsi qu’ils ont été répartis dans 90 % des cas dans le département de la faculté.

Travailler en zone rurale, c’est aussi vivre une telle discrimination vis-à-vis des transports (on oublie par ailleurs d’autres modes de transport peu onéreux comme les bus ou blabacar). Imaginons une tramontane trop importante, et une fois de plus il sera impossible d’envoyer des étudiants dans notre coin hostile par manque de tenues adéquates.

Tout cela pour dire qu’il est parfois difficile d’admettre que nous sommes rejetés par les jeunes générations qui veulent rester dans leur ville universitaire. D’ailleurs un des responsables universitaires l’a bien dit : « on leur laisse le choix, et on peut les comprendre ».

Il est certain que de cette façon on ne bouscule pas l’ordre déjà en place, et on évite des confrontations inutiles. Cependant, ne serait-il pas juste d’éviter une discrimination (ce qui se produit actuellement) en évitant d’envoyer certains étudiants dans des zones rurales (ce qui est vécu comme une punition pour certains), et donner à tous les étudiants l’impératif de coupler sur 2 mois un stage rural et un stage urbain ? De cette façon il serait possible de mieux connaître la médecine générale sous ses différents aspects.

Au final, je reste quelque peu frustré par le fait que j’ai refusé une proposition d’un étudiant (je suis certain qu’il arrivera à rebondir) pour ne pas être secondairement choisi pour des raisons futiles ! Il est triste de voir que certains praticiens tentent d’attirer, et de valoriser la médecine rurale, et que certains acteurs responsables dans les universités ne prennent pas la peine de s’investir pour permettre aux étudiants de connaître ce pan de l’activité du médecin.

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Dr Pierre Frances, Médecin généraliste, Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin