Au bout de combien de temps allons-nous regretter ?

Publié le 19/01/2024
Article réservé aux abonnés

VU PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE. Le remaniement ministériel a vu la nomination de la sixième ministre de la Santé française en six ans. Mais pour combien de temps ?

Crédit photo : DR

Et de six. En six ans, soignantes, soignants, citoyennes et citoyens viennent de faire la connaissance de leur sixième ministre de la Santé sous la présidence d’Emmanuel Macron. Peu de ministères peuvent se targuer d’un renouvellement aussi fréquent de leur chef de file. Là où une relative stabilité permettrait un meilleur suivi et une meilleure continuité des dossiers, le cours de l’histoire s’acharne à en vouloir autrement.

Deux ministres, issus de nos rangs, au plus fort de la pandémie

Nous avons eu une ministre qui a dû, pour quelques pixels et autant de centimètres, quitter son poste au début d’une pandémie alors que, de son propre aveu, elle savait que le pire était à venir. Après avoir tenté d’arrêter le SARS-CoV-2 à grand renfort d’affiches dans les aéroports, elle est allée défendre une élection à la mairie de Paris perdue d’avance. La Santé et son ministère étant sacrifiés sur l’autel de la nécessité politique. Exit une ministre de la Santé issue de nos rangs.

Bienvenue à un nouveau ministre de la Santé issu des mêmes rangs. Nous étions, soignantes et soignants, enclins à applaudir cette arrivée comme nous avons plus tard été applaudis le soir à 20 heures. On se disait qu’un médecin, en temps de pandémie, allait mener la barque avec rigueur, esprit scientifique et détermination. C’est d’ailleurs ce que nous avons pu voir lors de ses premières interventions télévisées, où notre ministre expliquait avec beaucoup de pédagogie qu’il fallait aplatir la courbe des nouveaux cas pour que nos ressources, tant hospitalières qu’ambulatoires, nous permettent de soigner un maximum de nos concitoyens sans perte de chance. Puis est venue l’époque des masques que nous ne savions pas mettre, qui n’étaient utiles pour personne, tout le temps où il était difficile de s’en procurer, puis qui devenaient indispensables et obligatoires partout, même sur une plage déserte. L’accent a été mis sur le lavage des mains pour un virus aéroporté… recommandation aussi efficace que de mettre des chaussures imperméables pour protéger son corps d’une pluie battante. Nous en venions presque à regretter notre ancienne ministre, recasée depuis à d’autres responsabilités.

Nouvelle valse des ministres

Puis les élections ont rebattu les cartes. Deux fois. D’abord, après la présidentielle, avec la ministre Bourguignon battue aux législatives une poignée de semaine plus tard et démissionnaire. Nous n’avons pas eu le temps de savoir si nous pouvions la regretter ou non. Un successeur issu, là encore, de nos rangs lui était trouvé. Un urgentiste expérimenté. Et de nouveau l’ensemble des soignants d’espérer que le terrain et le pragmatisme qui lui est rattaché allaient enfin amener à prendre les décisions sans cesse repoussées, pour tenter de contrôler le plus possible une démographique médicale dont les projections les plus pessimistes sont encore tellement loin de la réalité à venir. De nouveau des espoirs vite douchés, avec une situation hospitalière qui ne s’arrangeait guère voire se dégradait, et une médecine de ville dont les négociations conventionnelles ont vu ce fait inédit d’une unité syndicale contre elles, amenant l’échec que nous connaissons. Et de commencer à regretter nos anciens ministres de la Santé…

Nous ne connaissons pour le moment pas ce que seront les grandes orientations de la ministre Catherine Vautrin

Est arrivé son successeur, Aurélien Rousseau, meilleur communicant, mais meilleur avaleur de couleuvres également, se refusant à parler des infections à coronavirus comme d’une épidémie en cours, ou édulcorant largement une campagne de prévention destinée à diminuer la consommation d’alcool de la population. Nous avions vu arriver une personnalité plus technocratique dans notre ministère de tutelle et nous avons oublié d’applaudir. Nous commencions presque à regretter son prédécesseur quand nous avons applaudi les circonstances de son départ lui permettant de rester fidèle à ses convictions. Exit notre ministre. Bonjour Madame la ministre (par intérim) issue de nos rangs de soignants. Nous avons attendu avant d’applaudir, choqués que nous étions des suspicions de conflits d’intérêts liés à sa pratique de soin, là où nous nous efforçons à raison de limiter l’emprise de l’industrie pharmaceutique sur nos décisions de soignants. Moins de vingt-deux jours auront suffi à nous faire regretter son prédécesseur et la voir quitter son poste.

Exit une personnalité issue de nos rangs. Bonjour Mme la ministre d’un profil plus politique, à la tête d’un énorme ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités. Nous ne savons pas pour le moment ce que seront ses grandes orientations. Nous attendons, non sans une certaine dose de fébrilité, la marque qu’elle voudra imprimer à son mandat. Puisse-t-elle écouter les soignants, s’entourer de certains pour la conseiller afin de dessiner la politique sanitaire de demain pour notre pays. Et, surtout, puissions-nous toutes et tous ne pas regretter trop vite l’ensemble de ses prédécesseurs…


Source : lequotidiendumedecin.fr