Le dernier rapport de l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) n’a pas fini de faire parler de lui. Dans la profession, nombre de confrères répondent que moyennant des aménagements structurels, logistiques et tarifaires, les médecins de famille sont prêts à relever le défi des soins palliatifs. L’expérience de confrères pionniers plaide en ce sens.
Peu formés les médecins de famille ? Peu expérimentés ? L’Observatoire de la fin de vie n’a pas fait dans la dentelle il y a quinze jours dans son rapport sur la fin de vie à domicile. Il pointe qu’à peine 2,5 % d’entre eux auraient bénéficié, depuis 2005, d’une formation aux soins palliatifs. Avec seulement, en moyenne, une à trois prises en charge chaque année, les généralistes seraient, en outre, peu impliqués dans la fin de vie. « Pas assez de fin de vie, trois par an pendant quarante ans ?, s’étrangle Jean-Paul Hamon de la FMF. Les fins de vie, on s’en souvient toute sa vie, elles sont toutes différentes et à chaque fois je me suis senti bien seul ». Le généraliste de Clamart est de ceux qui ne croient pas qu’on puisse se former à cette activité sur les bancs de la Fac, mais sur le tas : « Ce n’est pas avec des graphiques et des heures de cours qu’on apprend ça. Être médecin, ce n’est pas seulement un diplôme ou des connaissances. La fin de vie fait partie du métier. L’empathie aussi ». Claude Leicher est du même avis : « La pratique, c’est aussi un mode de formation. Elle n’est certes pas standardisée, mais elle existe », dit-il.
La logistique ne suit pas
Les uns et les autres conviennent pourtant que les généralistes manquent parfois de zèle. Et pour cause... Le président de MG France évoque des « freins », à commencer pour la prescription de certains médicaments. « Il faut que les généralistes puissent avoir accès à la totalité de la pharmacopée », juge le président de MG France, selon lequel c’est loin d’être le cas. Pour se procurer de l’Hypnovel®, par exemple, très utilisé en phase agonique, les médecins généralistes sont obligés de faire appel à l’hôpital ou à l’hospitalisation à domicile (HAD) pour obtenir une ordonnance. Ensuite, les soins palliatifs ne sont pas gratuits. Pour que le patient puisse bénéficier de certaines prestations (produits, perfusions…) sans avoir de reste à charge à payer, la solution la plus simple est qu’il soit dans un établissement hospitalier.
Autre problème de logistique dénoncé par Claude Leicher : les hospitalisations de quelques jours et les sorties d’hôpital parfois nécessaires pour soulager le malade ou son entourage – notamment dans le cas des hospitalisations dites « de répit » – sont plus difficiles à organiser qu’une hospitalisation de long séjour. « Parfois, on nous demande de passer par les urgences. Un patient en fin de vie dans un couloir à attendre pendant plusieurs heures, ce n’est pas acceptable ! », râle-t-il.
Enfin, la fin de vie est une activité « extrêmement chronophage » qui demande « une disponibilité de la part du médecin traitant », parfois incompatible avec les consultations au cabinet. Si, sur ce dernier point, le chef de file de MG France rejoint l’ONFV, il ne pense pas que la solution soit d’exclure les généralistes des soins palliatifs « en professionnalisant la mission de coordination des soins. La place du généraliste est essentielle. Sans lui, on ne peut pas faire de fin de vie à domicile ».
Une lettre clé « soins palliatifs » ou un forfait ?
Pourquoi alors ne pas confier cette mission aux équipes de proximité ? Michel Chassang opine. S’il est « impossible » pour un généraliste de prendre en charge un patient à domicile tout seul, admet-il, il est tout à fait envisageable qu’une « équipe pilotée par le généraliste au plan médical et coordonnée par une infirmière ou un autre professionnel de santé » s’en charge. « Pour l’instant, on n’a rien construit, on a un train de retard sur ce sujet », déplore-t-il.
Mais comment faire pour rattraper le temps perdu ? Les trois syndicalistes tombent d’accord : il faut que ce surplus de travail soit rémunéré. Le leader de la CSMF imagine déjà « un nouvel acte sur le modèle du V-Alzheimer » – alors qu’aujourd’hui une visite chez un patient en fin de vie est rémunérée comme une visite ordinaire, 33 euros ! – et aussi « une rémunération transversale » du travail de coordination effectué par l’équipe pluridisciplinaire. « Il faut protocoliser tout ça », réclame Michel Chassang. « Il faut dégager des modes de rémunération différents du paiement à l’acte », rebondit Claude Leicher. Même son de cloche du côté de la FMF, où Jean-Paul Hamon réclame, lui aussi « un forfait ».
Hors réseaux, c’est du bénévolat
Questions d’argent qui peuvent, bien sûr, paraître triviales quand on évoque la fin de vie, mais qui expliquent en grande partie la discrétion de la profession à ce stade. En 2009 déjà, un rapport de la Drees estimait que la prise en charge à domicile des patients en fin de vie par les médecins libéraux n’était « reconnue par aucune instance ou institution, ni rémunérée en tant que telle ». Un décret du 3 mai 2002 avait pourtant engagé les partenaires conventionnels à conclure des accords sur la rémunération des professionnels de santé prenant en charge des patients en fin de vie à domicile. Au final, « une portée limitée en termes d’adhésion » et zéro postérité puisqu’on n’en trouve plus trace dans la Convention de 2005…
« Pour l’instant, si on n’est pas dans le cadre d’un réseau, il n’y a pas de rémunération », confirme le secrétaire général de l’UNOF, Luc Duquesnel. Ce qui explique, du moins en partie, que seule « une minorité de généralistes » s’occupent de soins palliatifs et qu’ils le fassent, dans la plupart des cas, dans le cadre de réseaux de soins, pôles de santé pluridisciplinaires ou hôpitaux de proximité.
C’est le cas du Dr Emmanuel Rebillard, 59 ans, généraliste à Chailland (Mayenne) qui travaille également au sein de l’hôpital local d’Ernée. Un DU en soins palliatifs en poche, le médecin surveille les six lits attribués aux soins palliatifs. Chaque semaine il organise une réunion pluridisciplinaire (staff), avec un confrère également formé, des infirmières et des psychologues. Tandis qu’une fois par mois, un staff est organisé avec l’équipe de soins mobile. Une exception ? Pas du tout. « C’est le cas de beaucoup d’hôpitaux locaux », affirme le Dr Rebillard. Pourquoi ? « On a du temps et le personnel est dévoué. Ce n’est pas comme dans un CH, où il faut aller vite. Dans les hôpitaux locaux, nous sommes adeptes d’une médecine plus lente. » Mais on en perçoit vite les limites. Le généraliste mayennais aimerait étendre les soins palliatifs au sein du pôle de santé qu’il a créé, avec des médecins et des paramédicaux, dans le secteur d’Ernée. Mais avec quels moyens ? « Pour l’instant, c’est du bénévolat ! », déplore-t-il.
124 réseaux opérationnels
Les hôpitaux locaux ne sont pas les seuls endroits où les généralistes sont remunérés pour leur temps de coordination. Comme le rappelait un rapport de 2010 sur les soins palliatifs, 124 réseaux de soins palliatifs sont financés et opérationnels, mais très inégalement répartis sur le territoire français. Le Nord-Pas-de-Calais arrive en deuxième position avec une dizaine de réseaux, derrière l’Ile-de- France qui en compte 19. Tel le réseau Émeraude qui « gère l’accompagnement d’une personne en fin de vie à domicile en coordination et à l’appui de son médecin traitant », comme l’explique Claire Foulon, directrice de la plate-forme de santé Prevart (Prévention Artois). Les coordinatrices du réseau sont des médecins généralistes formés aux soins palliatifs. Elles ne réalisent pas de soins, elles coordonnent. En 2012, le réseau a assuré 180 suivis et couvre un territoire de 300 000 habitants. Il intervient sur demande, après signalement. 130 généralistes ont fait appel au réseau en 2012 : ils ont ainsi été épaulés, notamment pour monter des dossiers de demande d’aides sociales, pour appeler le centre de soins ou faire venir une aide à domicile. Autant d’activités chronophages qui leur ont permis de ne pas couper le lien avec leurs patients en soins palliatifs tout en assurant les consultations au cabinet.
En Bourgogne, le Dr Patricia Mercier, professeur associé de médecine générale à l’université de Dijon, s’est penché avec son interne, Céline Beroud, sur un réseau de soins palliatifs départemental également baptisé « Émeraude » qui couvre le département de la Nièvre ainsi que sur le pôle de santé territorial beaunois (GPSPB) qui regroupe 140 professionels et structures de santé en Côte-d’Or.
Le pôle de santé, dont le Dr Mercier est présidente, coordonne les soins à domicile, sans se limiter aux soins palliatifs. Financé par l’ARS Bourgogne, il emploie deux médecins généralistes mais aussi trois infirmières, un ergothérapeute, une psychologue et une secrétaire médico-sociale. Cette équipe de coordination vise à « faciliter le travail à domicile des soignants mais aussi à faire le lien entre ville et hôpital », explique le Dr Mercier. Les généralistes semblent globalement satisfaits du service proposé. Mais selon leur consœur, certains freins « liés à l’inquiétude que s’immisce une tierce personne dans la relation entre médecin traitant et son patient » persistent.