Tribune Jean-Pierre Blum

IA, turbulences et changements de paradigme

Publié le 25/05/2023

L'intelligence artificielle (IA) pourrait (devrait) remplacer l'équivalent de 300 millions d'emplois à temps plein, selon le dernier rapport de la banque d'investissement Goldman Sachs. Elle pourrait remplacer un quart des tâches professionnelles aux États-Unis et en Europe, lesquelles ? Elle pourrait aussi être à l'origine de nouveaux emplois et d'un boom de la productivité. Enfin, elle pourrait augmenter de 7 % la valeur annuelle totale des biens et services produits dans le monde. Schumpeter sort d’ici ! L'IA générative, capable de créer un contenu impossible à distinguer du travail humain, constitue « une avancée majeure », selon le rapport. Le mot « avancée » est discutable, avancée pour qui ? On se doute.

Perspectives

En Angleterre - nous n’avons pas de données s’agissant de la France -, « le gouvernement souhaite promouvoir l'investissement dans l'IA au Royaume-Uni », qui, selon lui, « stimulera en fin de compte la productivité dans l'ensemble de l'économie », et a tenté de rassurer le public sur son impact. « Nous voulons nous assurer que l'IA complète la façon dont nous travaillons, sans la perturber, qu'elle améliore nos emplois au lieu de les supprimer », a déclaré Michelle Donelan, secrétaire d'État à la technologie. Le rapport de Goldmann Sachs souligne que l'impact de l'IA variera selon les secteurs : 46 % des tâches administratives et 44 % des tâches juridiques peuvent être automatisées, contre seulement 6 % dans le secteur de la construction et 4 % dans celui de la maintenance. BBC News a précédemment rapporté les inquiétudes de certains artistes qui craignent que les générateurs d'images de l'IA ne nuisent à leurs perspectives d'emploi.

Conséquences, des salaires plus bas ?

« La seule chose dont je suis sûr, c'est qu'il n'y a aucun moyen de savoir combien d'emplois seront remplacés par l'IA générative », a déclaré Carl Benedikt Frey, directeur de l'avenir du travail à l'Oxford Martin School de l'Université d'Oxford. « Ce que ChatGPT fait, par exemple, c'est permettre à un plus grand nombre de personnes ayant des compétences rédactionnelles moyennes de produire des essais et des articles. » Les journalistes seront donc confrontés à une concurrence accrue, ce qui fera baisser les salaires, à moins que la demande pour ce type de travail n'augmente de manière significative. Prenons l'exemple de l'introduction de la technologie GPS et de plateformes comme Uber. Le fait de connaître toutes les rues de Londres a perdu beaucoup de sa valeur - et les chauffeurs en place ont donc subi d'importantes baisses de salaire, de l'ordre de 10 %. Le résultat a été une baisse des salaires, et non une diminution du nombre de chauffeurs. Au cours des prochaines années, l'IA générative devrait avoir des effets similaires sur un ensemble plus large de tâches créatives.

Quels emplois

Selon les recherches citées dans le rapport, 60 % des travailleurs exercent des professions qui n'existaient pas en 1940. Mais les études suggèrent que l'évolution technologique depuis les années 1980 a déplacé les travailleurs plus rapidement qu'elle n'a créé d'emplois. Si l'IA générative est semblable aux progrès antérieurs des technologies de l'information, le rapport conclut qu'elle pourrait réduire l'emploi à court terme. « L'impact à long terme de l'IA est toutefois assez incertain », a déclaré Torsten Bell, directeur général du groupe de réflexion « Resolution Foundation », et de poursuivre en indiquant que « toutes les prédictions fermes doivent donc être prises avec des pincettes ». « Nous ne savons pas comment la technologie évoluera ni comment les entreprises l'intégreront dans leur mode de travail. » Cela ne veut pas dire que l'IA ne perturbera pas notre façon de travailler, mais nous devrions aussi nous concentrer sur les gains potentiels en termes de niveau de vie découlant d'un travail plus productif et de services moins coûteux, ainsi que sur le risque d'être distancé si d'autres entreprises et économies s'adaptent mieux aux changements technologiques.

Les économistes de Goldman Sachs prédisent que 18 % des emplois dans le monde peuvent être informatisés. Ils estiment que les effets se feraient davantage sentir dans les économies avancées que dans les marchés émergents, les cols blancs étant plus menacés que les travailleurs manuels. Une bonne nouvelle pour les acteurs de soins comme les infirmières.

En premier lieu des emplois menacés, on trouve les emplois fondés sur des « bases de données » dit emplois « non intelligents », c’est-à-dire non créatifs mais prédictifs. Ce sont les avocats, juges, administratifs, médecins, accès à des droits (notaires, employés de mairie et territoires, greffiers, cadastre, etc.), commentateurs comme les journalistes. Ces emplois substituables ne le seront que partiellement, un médecin de ville à 80% par exemple, ce qui bouleverse nos organisations très profondément.

Bienvenus dans un monde de progrès humaniste solidaire ! Ceci dit, quand on observe – à l’usage – l’état de nos services publics, on se pose quelques questions. Comme disait un ami, quand on voit ce qu’on voit, quand on entend ce qu’on entend, qu’on lit ce qu’on lit, on est sans doute en droit de penser ce qu’on pense.


Source : lequotidiendumedecin.fr