Dr Renaud Marin La Meslée, médecin coordonnateur et président du SNGIE

« Ce qui est scandaleux, c’est la sous-dotation des Ehpad par la puissance publique ! »

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Publié le 02/02/2022
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Les révélations du livre de Victor Castanet sur les conditions de vie dans les Ehpad du groupe Orpea ont fait polémiques ces dernières semaines. Le Dr Renaud Marin La Meslée, médecin coordonnateur à Biarritz et Saint-Jean de Luz et également président du Syndicat national des généralistes et gériatres intervenant en Ehpad (SNGIE), développe pour Le Généraliste sa vision de la situation dans ces établissements aujourd’hui.

Crédit photo : Capture d'écran Dailymotion

Les révélations sur les pratiques du groupe Orpea vous ont-elles surpris ?

Dr Renaud Marin La Meslée : Je n’avais aucune connaissance particulière du groupe Orpea et je n’ai jamais travaillé là-bas. Mais depuis une trentaine d’années, j’ai exercé dans de nombreux établissements et j’ai commencé comme médecin d’hospice communal en 1981. Alors, Orpea, je l’ai vu se créer et jusqu’ici je n’avais ni atome crochu, ni détestation. Je ne connais pas du tout les établissements cités, dont celui de Neuilly.

Ceci étant dit, ces établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, institués par une loi de 2002, sont tous en déficit chronique de personnel. Dans le plan « solidarité grand âge », présenté en 2006 par Philippe Bas (à l’époque ministre délégué aux personnes âgées, ndlr), il était question d’obtenir un salarié par résident dépendant. C’était écrit en toutes lettres ! Et pour les personnes peu dépendantes, il en était préconisé 0,65 ; soit deux salariés pour trois résidents en établissement d’hébergement pour personnes âgées (Ehpa). J’ai intégré le syndicat en 2007 car il n’y avait aucune équivalence entre les personnes âgées et les personnes handicapées. Si on avait appliqué son plan, avait dit Philippe Bas, on aurait eu, en cinq ans, une résorption et une équivalence des aides. Ce plan date de quinze ans ; et cela fait quinze ans qu’on souffre.

Quels problèmes avez-vous pu constater dans les Ehpad ?

Dr R. M. L. M.  : Ce qui est scandaleux, c’est la sous-dotation des Ehpad par la puissance publique ! Il ne peut pas y avoir un tel déficit de moyens sans qu’il n’y ait de conséquences, mais ce n’est pas cantonné au privé lucratif. Qu’il y ait des nécessités de rentabilité, oui, mais c’est le manque de financement qui est le problème principal.

Remettons les choses en perspective. À Bayonne, il y a une douzaine d’années, l’Ehpad « Les Colombes » a été fermé. Suite à une dénonciation par un intervenant extérieur, jugé indésirable par la direction, les autorités sanitaires avaient fait une descente à cinq heures et demie du matin. Elles avaient trouvé des personnes âgées, dont les protections étaient souillées. Je ne connais aucun endroit où les protections sont changées à cette heure-là ! Ce n’est pas un scandale ! Elles seront changées plus tard. Même avec un ratio d’un soignant par résident, elles ne le seraient pas à cette heure. Ainsi, les critères sur lesquels les inspections se basent sont parfois inutiles car diligentées à partir de la plainte d’une personne ou d’une famille ayant dû se séparer de son parent et qui, une fois placé, veut montrer que l’établissement a faux. Il faut donc slalomer entre les grandes exigences du cahier des charges, sans être à l’abri de tout.

Tous les Ehpad n'ont pas de médecin coordonnateur. En quoi cela pose-t-il question ?

Dr R. M. L. M.  : Le baromètre des Ehpad 2021 de KPMG est très intéressant. Il indique que plus de 30 % des Ehpad n’ont pas de médecin coordonnateur. Et je m’interroge : y a-t-il une corrélation entre les signalements de mauvais traitements et l’absence de coordonnateur dans l’Ehpad ? Car partout où il y en a, c’est un contre-pouvoir d’autorité. Par exemple, dans des établissements publics, le pouvoir discrétionnaire du maire, ou d’un membre du conseil d’administration, fait que des admissions inadéquates arrivent et elles sont des sources de maltraitance inévitables. Je suis fier de soigner en Ehpad, mais il ne faut pas nous mettre des bâtons dans les roues. On nous amène des personnes dont ce n’est pas notre boulot de nous en occuper. En cas de conflit avec la direction, comme il a de nombreuses autres possibilités de travailler, le médecin coordonnateur part.

Y en a-t-il assez ?

Dr R. M. L. M. : Il va bientôt en manquer : 4 000 médecins sont recensés comme exerçant à temps partiel la coordonnation en Ehpad. La préconisation, c’est 3 000 emplois temps plein. Il manque donc 30 % de personnel et c’est exactement ce que montre le baromètre des Ehpad. À partir du moment où on n’aura pas réussi à appliquer le plan de Philippe Bas, on sera toujours en grande difficulté pour accueillir, soigner, héberger et considérer les personnes âgées.

Aussi, la revalorisation des émoluments des médecins coordonnateurs en Ehpad nous tient à cœur et on ne lâchera pas là-dessus. Nous sommes les oubliés et les exclus du Ségur de la santé. Nous demandons un rattrapage et sommes actuellement en négociation. Un chiffre : à bac + 10, un médecin coordonnateur, c’est 3 200 euros brut. Ça laisse rêveur…

« L’Ehpad bashing », ça vous énerve ?

Dr R. M. L. M.  : Personnellement j’y suis habitué, ayant une sœur journaliste. Je sais qu’on parle plus des trains en retard, que de ceux qui arrivent à l’heure. Ce qui m’énerve, c’est l’amalgame, fait à partir d’un exemple d’un groupe puis d’autres du même groupe. À savoir : « les Ehpad sont des lieux de maltraitance ». Non ! Évidemment que non ! C’est stupide de dire ça ! Les familles sont vigilantes et c’est normal. Mais déjà, il faudrait résoudre un problème majeur : 80 % des personnes qui entrent en Ehpad ont des troubles cognitifs. Et on leur fait signer des contrats. La famille propose la candidature du père ou de la mère comme « personne de confiance » et signe à sa place… Sauf que ça n’a jamais été établi juridiquement ! Il faut que les familles considèrent leur parent comme un être responsable. S’ils savent que leur parent n’est pas en capacité de faire ses choix, il lui faut une protection juridique. Et elle ne coûte même pas un centime !

La loi grand âge a été abandonnée au profit de dispositions dans le PLFSS, vous avez pointé l’absence de retombées du Ségur de la Santé pour les coordonnateurs d’Ehpad ; quel bilan faites-vous de l’action du gouvernement en termes de soins des personnes âgées ?

Dr R. M. L. M.  : Tout dépend d’où on se place. D’un point de vue de gestionnaire d’établissement, c’est une catastrophe. Les soignants s’en vont. Ils s’entendent dire qu’ils sont mauvais, que travailler en Ehpad est une honte. Comment voulez-vous avoir envie de continuer ? Le gouvernement a beaucoup à se reprocher à ce sujet.

Je regrette de profundis que la loi grand âge ait été enterrée. Ce n’est pas la première fois ! Cela fait quinze ans que le plan de Philippe Bas traçait de très bonnes lignes pour une politique du grand âge et de la solidarité. On réclame une équité rétablie entre le handicap et le vieillissement. Pourquoi croyez-vous que lorsque les résidents de foyers pour personnes handicapées atteignent leurs 60 ans, ils sont transférés en Ehpad ? C’est l’un des scandales les plus frappants et choquants aujourd’hui ! Il faut une société pour tous les âges, mais c’est loin d’être réalisé.


Source : lequotidiendumedecin.fr