Assurance maladie

Concernée par une MSO, une généraliste témoigne : « Ils nous font passer pour les grands bandits du siècle »

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Publié le 05/07/2023
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Le Dr B.*, médecin généraliste dans le sud-est de la France, s'est vu proposer une mise sous objectif (MSO) par la CPAM de son département. La raison ? Un volume d'indemnités journalières (IJ) versées qui serait anormalement élevé par rapport à la moyenne des autres praticiens du territoire. Lassée et écœurée par ce «  ciblage injustifié », l'omnipraticienne témoigne pour Le Généraliste.

Crédit photo : GARO/ PHANIE

« J'étais dans mon cabinet lundi dernier lorsque je reçois un appel du directeur de la CPAM de mon département. " Bonjour Madame B, comment allez-vous ?", me demande-t-il. Sur le coup, j'ai trouvé ça étonnant et je me suis tout de suite dit que quelque chose clochait. Il poursuit en me disant :

"Je vous appelle conformément à la loi pour vous annoncer votre mise sous objectif (MSO). Les chiffres de votre Relevé Individuel d’Activité et de Prescriptions (RIAP) révèlent un volume d'indemnités journalières (IJ) trop élevé. Selon notre outil d'analyse, vous n'êtes pas dans les normes départementales. Vous allez donc devoir vous mettre sous-objectif ", insiste-t-il.

Comme j'avais déjà entendu parler de cette procédure, je lui ai tout de suite dit qu'il était hors de question que j'accepte la MSO car accepter cette procédure revient, selon moi, à reconnaître une faute or je ne me sens pas du tout fautive !

La procédure s'engage

Quelques jours après, le samedi il me semble, je reçois une lettre en recommandé de ma CPAM dans laquelle on me propose une MSO noir sur blanc. Dans le document, il est aussi détaillé la période (de septembre 2022 à février 2023) sur laquelle ils estiment que le volume de mes IJ est trop élevé. Ils précisent par ailleurs que je peux leur envoyer mes observations pour leur expliquer pourquoi j'ai prescrit X jours d'arrêts de travail à tel ou tel patient. En bas de la lettre, je lis cette petite ligne très dure, très sibilante : "En l'absence de réponse de votre part, je vous rappelle que vos patients ne seront pas indemnisés tant que le médecin-conseil n'aura pas vérifié la validité des arrêts de travail de certains de vos patients."

Refuser la MSO

Après lecture de la lettre, je leur fais aussitôt part, par lettre recommandée, de mon refus d'être mise sous objectif. Il faut aller vite car, sans réponse de la part du médecin dans les quinze jours, il est automatiquement mis sous objectif. En refusant la MSO, je sais très bien que je m'expose à la mise sous accord préalable (MSAP) et que je devrai, dans ce cas de figure, m'expliquer auprès d'un juge au tribunal administratif. Mais je me sens droite dans mes bottes, je n'ai aucun souci à justifier mes prescriptions.

Un volume d'IJ trop élevé : « je n'ai pourtant pas l'impression d'avoir la main lourde »

Dans sa justification, l'Assurance maladie estime en fait que mon volume d'indemnités journalières (IJ) est trop élevé. Il m'est notamment reproché d'avoir prescrit des arrêts trop longs à une partie de ma patientèle (à peine 0,2 % du total de mes patients actifs). Mais ce qui est malheureux c'est que l'Assurance maladie ne se complique pas à chercher la cause des prescriptions d'arrêts de travail. Ils ne prennent en compte que mon volume d'indemnités journalières. Mais il est évident que je ne vais pas dire à mes 12 ou 14 patients atteints de maladies graves (cancers ou graves accidents avec complication) de reprendre le travail, c'est absurde ! J'exerce en rural et je peux vous dire que quand les patients s'arrêtent c'est qu'ils en ont besoin, sinon ils ne s'arrêtent pas ! Point barre. Je n'ai vraiment pas l'impression d'avoir la main lourde sur les arrêts de travail.

Pas de changement dans sa pratique

Il est d'ailleurs hors de question que je change ma façon d'exercer pour rentrer dans le jeu comptable de la Cnam. Cette mise sous pression ne me remet absolument pas en question mais me dégoûte plus qu'autre chose. Nous sommes aujourd'hui face à des institutions qui ne nous écoutent pas. On finit par se demander ce qu'ils veulent vraiment. Une France sans médecin de famille avec des médecins qui répondent à un instant T, via une téléconsultation, et pour un problème donné sans quelconque suivi médical ? Aujourd'hui c'est exactement ce que les pouvoirs publics rendent possible : proposer des téléconsultations non régulées avec des médecins qui ne sont pas médecin traitant et qui prescrivent des arrêts de trois jours sans que rien ne leur soit ensuite reproché.

« Pas la première fois qu'ils me cherchent des poux »

Cela fait 32 ans que je suis installée et ce n'est pas la première fois qu'ils me cherchent des poux. Il y a très longtemps, on m'a reproché de faire trop de sutures. Quelques années plus tard, j'ai aussi reçu une lettre de Marisol Tourraine me sommant d'arrêter de faire des visites à domicile auprès des personnes âgées. Ils estimaient qu'on gagnait trop de fric à faire des visites. Ils ont jugé qu'il fallait mieux voir, à la place, deux patients au cabinet.

Un an après j'ai reçu une lettre pour me dire qu'il fallait finalement refaire des visites auprès des petits vieux. Il m'a ensuite été reproché d'avoir trop recours au tiers payant. Et ce sans prendre en compte le nombre de mes patients qui bénéficiaient de la CSS (Complémentaire santé solidaire), l'ex CMU-C.

Ils nous traitent comme des fraudeurs

Malgré cette pression permanente, on a continué, j'ai continué, à faire des gardes de régulation libérale (SAS), des gardes de SAMU. Pendant le Covid, j'ai passé des journées entières à vacciner en centre. C'est comme ça que les médecins sont remerciés ? En nous traitant comme des fraudeurs ? En nous faisant passer pour les grands bandits du 21e siècle ? Tout ça est franchement écœurant…

Le dernier qui restait jusqu'à maintenant, et ce jusqu'à ce que mort s'ensuive, c'était le généraliste. Et bien même lui, on va le pousser à se faire hara-kiri. L'hôpital public va mal et, aujourd'hui, tout se répercute sur le généraliste. Comme disait Chirac, la médecine brûle et on regarde ailleurs…

S'accrocher pour ses patients

Ça me dépite car, dans un contexte si peu favorable, beaucoup de médecins se demandent pourquoi faire des efforts si c'est pour se faire bombarder par les charges et les contraintes. Clairement, certains n'ont plus envie de se casser la tête et considèrent que ça ne sert plus à rien de faire plus. À quoi bon si c'est pour que ça nous revienne en pleine figure ?

Heureusement, j'aime mon métier et cette proposition de mise sous objectifs (MSO) ne me décourage pas. Le courage, je le trouve chaque matin pour mes patients qui ont besoin de moi, qui ont besoin que je les fasse avancer dans le bon sens.

J'ai aussi eu la chance de pouvoir partager cette nouvelle avec beaucoup de copains médecins et de collègues soignants qui m'ont apporté leur large soutient. J'en ai également parlé à ma patientèle et je les ai prévenus qu'ils allaient potentiellement être convoqués par des médecins-conseils.

J'ai la chance de pratiquer une médecine polyvalente et c'est aujourd'hui ce qui me fait tenir psychologiquement. En autres parce que j'ai l'occasion de voir régulièrement mes collègues, hospitaliers comme libéraux, et parce qu'on se serre les coudes ».

*Le Dr B. a préféré garder l'anonymat. 


Source : lequotidiendumedecin.fr