La Cour des comptes accable l’Ordre des médecins pour sa « gestion opaque » et son inefficacité

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Publié le 09/12/2019
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Crédit photo : GARO/PHANIE

Représentativité laissant à désirer, gestion comptable discutable, missions principales délaissées ou encore instances disciplinaires pas à la hauteur… Le rapport définitif de la Cour des comptes (CDC) sur l’Ordre des médecins publié ce lundi, dont certains détails avaient déjà fuité en début d’année, accable l’institution.

Dans ce document, élaboré après le contrôle du Conseil national (CNOM), de 46 conseils départementaux (CDOM) sur 101 et de l’intégralité des ordres régionaux (CROM), la Cour des comptes déplore que l’institution, malgré plusieurs contrôles depuis le début des années 2000, n’ait procédé qu’à une « petite partie des changements qui lui étaient recommandés ». Et émet un constat cinglant : « la gestion [de l’Ordre] reste caractérisée par des faiblesses, voire des dérives, préoccupantes ». « Son fonctionnement ne s’est pas suffisamment modernisé, soulignent également les sages de la rue Cambon. Des missions importantes qui justifient son existence sont peu ou mal exercées, le Conseil national n’exerce qu’un contrôle ténu sur les conseils départementaux ou régionaux. »

Première critique adressée à l’Ordre : celui-ci n’est pas assez représentatif de la profession. Alors que l’âge moyen des médecins actifs est de 51 ans, celui des membres du Conseil national est de 68 ans ! Et parmi les plus de 3 000 conseillers ordinaux, à peine un tiers sont des femmes alors qu’elles représentent près de la moitié de la profession.

De hauts niveaux d’indemnisation

« L’esprit de bénévolat réputé animer les fonctions ordinales est inégalement présent, note aussi la CDC. Si certains perçoivent des indemnités modestes, d’autres bénéficient (…) d’indemnités confortables ». Selon le rapport, les seize membres du bureau national de l’Ordre ont ainsi perçu au total plus d’un million d’euros d’indemnités en 2017. De plus, ces indemnités « peuvent être abondées par des remboursements de frais dont les justifications (…) sont parfois incertaines, voire inexistantes », précise le document.

Les hauts niveaux d’indemnisation ne sont pas les seuls visés par le document. La Cour des comptes relève de « grands désordres comptables et de gestion ». Dans plusieurs CDOM, la comptabilité n’a pas été tenue depuis plusieurs années. « L’une d’entre elles avait été détruite avant le passage de la Cour », observent même les magistrats. Ceux-ci relèvent en outre que les cotisations des médecins « font l’objet d’une comptabilisation irrégulière et incomplète, ce qui participe de l’insincérité des comptes ».

Le Conseil national se montre également défaillant dans le contrôle des CROM et des CDOM. Ce qui a permis à certains conseils d’effectuer des « achats coûteux, effectués sans mise en concurrence » et de « fréquentes dépenses étrangères aux missions de l’Ordre ».

La Cour pointe aussi les dépenses de personnel du Conseil national, qui ont crû de 58 % entre 2011 et 2017. « La politique salariale du CNOM est particulièrement avantageuse », souligne-t-elle. Et de préciser qu’aux échelons inférieurs, les indemnités sont parfois moindres aux préconisations du CNOM. Des disparités qui s’observent aussi pour les primes et avantages sociaux, selon les Sages de la rue Cambon, qui appellent à mettre fin à la « pratique des recrutements favorisant les liens familiaux ».

Les missions principales de l’Ordre délaissées

Tous les éléments cités ci-dessus font dire à la Cour des comptes que « l’Ordre se caractérise par une gestion peu rigoureuse et en partie opaque des fonds qui lui sont confiés par les médecins cotisants, alors même qu’il s’investit insuffisamment dans ses missions les plus essentielles ».

La tenue du tableau est la première évoquée. Si cette tâche est effectuée dans des « conditions correctes », la CDC évoque en revanche des « outils aujourd’hui dépassés ». Concernant les autres missions de l’Ordre, ça se corse. La Cour affirme ainsi que l’Ordre « ne vérifie pas le respect des obligations de DPC ». « Cette mission est largement perdue de vue, tant par les conseils départementaux que par le Conseil national », appuie le rapport.

Plus grave encore, la Cour des comptes souligne que « la mission de détection et d’accompagnement (…) des praticiens dont l’insuffisance professionnelle ou l’état de santé rend dangereux l’exercice de la médecine souffre d’approches trop différenciées selon les conseils régionaux ».

Quant au contrôle du respect des règles déontologiques — qui est la « raison d’être de l’Ordre », rappelle la CDC — celui-ci n’est pas « exercé de matière satisfaisante ». La Cour explique notamment que les conventions conclues entre médecins et l'industrie pharmaceutique ne sont pas examinées par les CDOM.

Et alors que le CNOM ne remplit pas les missions qui justifient son existence, la Cour des comptes constate que celui-ci intervient « de plus en plus sur le terrain de la défense des intérêts de la profession ». Or, selon l’ordonnance de 1945 ayant créé l’Ordre, son rôle est d’assurer la discipline de la profession et lui interdit d’empiéter sur les missions des syndicats.

Le traitement des plaintes relatives à des agressions sexuelles

En outre, la Cour des comptes affirme que « plusieurs affaires médiatisées relatives à des viols et agressions sexuelles sur patients ayant conduit à la condamnation pénale de médecins, n’ont pas été traitées, sur le plan ordinal, avec la rigueur nécessaire » ces dernières années. Ainsi, 43 % des 150 plaintes pour des faits à caractère sexuel enregistrées entre 2014 et 2017 dans les chambres disciplinaires de première instances (CDPI) ont fait l’objet d’un rejet.

Le rapport observe également que les CDOM « prennent rarement l’initiative de déposer plainte devant la juridiction disciplinaire ». Cela a été le cas huit fois en 2016, dont six après le prononcé de condamnations pénales. L’analyse d’une cinquantaine de décisions rendues entre 2016 et 2017 par la Cour révèle « l’existence d’irrégularités de procédure » (les plus fréquentes concernent des plaintes traitées comme de simples doléances) ou un manque de diligence dans le traitement des dossiers.

Enfin, le document souligne que les poursuites et sanctions disciplinaires interviennent souvent bien après des sanctions pénales. Et celui-ci de citer le cas d’un médecin déjà condamné pour agression sexuelle à six mois d’interdiction d’exercer par le tribunal correctionnel au début des années 2000, « que le conseil de l’Ordre n’a décidé de poursuivre au disciplinaire qu’en mai 2016, après une récidive dont l’Ordre était informé depuis 2015 ».

Dysfonctionnements de la justice ordinale

Doté d’un pouvoir disciplinaire, l’Ordre est également épinglé pour son « manque de rigueur » dans le traitement des plaintes et se signale par des « dysfonctionnements de la justice disciplinaire ». Malgré la médiatisation de procédures disciplinaires mettant en cause l’Ordre pour avoir retardé la condamnation de médecins fautifs, les Sages de la rue Cambon estiment que la situation n’a pas évolué. « Les conditions d’indépendance et d’impartialité des juridictions ordinales ne sont qu’imparfaitement réunies » rapportent-ils. Aussi, ils ont constaté une « hétérogénéité de traitement des litiges suivant les conseils » — comme l’illustrent les décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance pour des signataires de la tribune anti « Fake Med » — et un « manque de rigueur dans la gestion des conflits d’intérêts des médecins chargés de juger leurs pairs ».

L'Ordre se défend

Dans la foulée de la publication de ce rapport, l’Ordre « conteste publiquement sur le fond et sur la forme le rapport de la Cour des Comptes » dans un communiqué visant à « rétablir les faits ». L’institution s’étonne que certaines de ses missions essentielles aient été « passées sous silence » et dénonce une analyse « parcellaire » de l’efficacité des missions visées par le document de la Cour des comptes. Concernant l’empiètement sur le terrain syndical, décrit par le rapport, l’Ordre indique qu’il « continuera à faire entendre la voix des médecins dans le débat public dans le cadre de ses missions et des pouvoirs de l’institution, en s’appuyant sur son ancrage territorial. »

L'Ordre regrette églament la non prise en compte d'un très grand nombre de ses réponse et le « choix de la période auditée » qui n'a pas permis la « prise en compte de nombreuses actions correctives menées depuis presque deux ans ».

(Plus d’informations à venir…)


Source : lequotidiendumedecin.fr