Hypocholestérolémiants

Le coup de force de la Sécu fait des vagues

Publié le 03/10/2014
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Le patron du service médical de la Cnamts défend la décision de soumettre les prescriptions d’ézétimibe et de rosuvastatine à l’entente préalable. Pour les experts, l’argumentation scientifique de cette décision ne tient pas la route.

Coup de tonnerre. L’annonce au JO de la Cnamts du 24 septembre relative à la procédure d’accord préalable désormais nécessaire pour bénéficier de la prescription d’ézétimibe et de rosuvastatine a stupéfié les médecins prescripteurs et leurs syndicats. En effet, jusque-là, la demande d’entente préalable ne concernait que certaines prestations comme l’oxygénothérapie, certains produits de LPP ainsi que des médicaments d’exception. Cette mesure est-elle pour autant scientifiquement justifiée ?

Le Pr Luc Barret, médecin-conseil national de la Cnamts, semble aller dans ce sens quand il évoque « les recommandations de la HAS non suivies ». La HAS recommande d’utiliser l’ézétimibe en cas de CI et/ou d’intolérance aux statines et de l’associer à une statine si l’objectif thérapeutique n’est pas atteint. Les données de consommation montrent que dans la majorité des cas, les traitements initiés par ézétimibe se font aujourd’hui seuls et sans antécédents de prescription de statine, hors des recommandations de l’AMM.

Une décision discutable

Concernant la rosuvastatine, conformément aux recommandations, une alternative thérapeutique plus efficiente est disponible, souligne l’Assurance Maladie. Le Dr François Paillard, cardiologue au CHU de Rennes, trouve quant à lui « cette décision d’autant plus discutable que les algorithmes de décision thérapeutique sur la rosuvastatine accompagnant cette décision au JO comportent des éléments comme l’identification par le médecin d’une hypercholestérolémie homozygote ». Or, en pratique, ce cas est rare, un cas sur un million d’habitants. De plus, « l’algorithme se poursuit par une segmentation des niveaux de LDL (2 g, 2 g à 2,20 g, plus de 2,30 g…) qui n’est issue d’aucune étude scientifique ».

Même constat pour le Dr Sophie Beliard (endocrinologue, CHU de La Timone, à Marseille), pour qui cette mesure n’est pas justifiée scientifiquement. En effet, « les recos de 2009 sur la prescription d’ézétimibe conseillaient une monothérapie uniquement en cas d’intolérance aux statines. Or cette intolérance, estimée par la HAS aux environs de 1 % est dans les faits de la pratique médicale plutôt de l’ordre de 10 % ». La nécessité de prescription de l’ézétimibe aux intolérants aux statines est donc également sous-évaluée. De plus, ajoute-t-elle, « la HAS recommande l’ézétimibe en association à une statine quand le LDL-cholestérol n’est pas à la cible. Mais la définition de la cible à 2 g, qui date des recos de 2005, est caduque. Le LDL cible a, depuis, été revu à la baisse entre 0,7 et 1 g. Il faut donc d’autres armes thérapeutiques pour atteindre ces nouvelles cibles, non atteignables chez tous les malades par une statine seule ». Quant à la rosuvastatine, « c’est la statine qui donne le moins de douleurs musculaires car elle est plus lipophile que les autres. Sa longue durée d’action permet également de la prescrire en séquentiel (2 à 3 fois par semaine) chez les gens qui ont des douleurs musculaires. On peut aussi l’administrer aux patients polymédiqués, ou sous anticoagulants car son action ne passe pas par le cytochrome P450 ».

Trop coûteux pour l’Assurance Maladie

Pour l’Assurance Maladie, l’argumentation scientifique passerait-elle au final derrière les justifications économiques ? À cet égard, le Pr Barret avance que ces mesures s’inscrivent dans la continuité des actions mises en place pour la promotion du bon usage des hypolipémiants et la prescription plus efficiente des statines. Elles s’expliquent par leur caractère particulièrement coûteux pour l’Assurance maladie. On ne saurait être plus clair. Et le médecin-conseil ne se prive d’ailleurs pas d’enfoncer le clou : « En 2013, Crestor® (rosuvastatatine) et Inegy® (ézétimibe/ simvastatine) faisaient partie des dix médicaments de ville les plus remboursés par l’Assurance Maladie, occupant respectivement la troisième et la neuvième place.

L’ambition de cette mesure est bien de privilégier des traitements plus efficients. L’existence d’alternatives thérapeutiques à la rosuvastatatine présentant une efficacité équivalente dans les mêmes indications et le respect des bonnes conditions de prescription de l’ézétimibe permet, en effet, de garantir à tous les patients un traitement sûr et efficace pris en charge par l’Assurance Maladie ».

Dans cette optique, les propos du Dr François Paillard selon lequel cette mesure constitue un coup d’arrêt à la prescription de ces deux molécules a tout pour plaire à la Cnamts. Pour ce qui est des médecins prescripteurs…

Dr Alain Dorra

Source : lequotidiendumedecin.fr