Transfert de compétences et délégation de tâches

Le généraliste doit affirmer son rôle de coordinateur du parcours de soins

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Publié le 21/03/2022
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Les transferts de compétences et délégations de tâches émaillent les politiques de santé depuis plusieurs années, partageant petit à petit les actes des médecins généralistes à d’autres professionnels de santé. Si certaines dispositions sont bien accueillies par les médecins de famille, d’autres sont dénoncées, comme en témoignent les résultats de l’enquête menée par Le Généraliste auprès de ses lecteurs.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Quand on interroge les médecins généralistes sur les principaux défis de la profession, deux thèmes arrivent en tête : affirmer son rôle de coordinateur du parcours de soins (33,2 % des participants) et se libérer du temps médical (32,4 %). C’est ce qui ressort de l’enquête menée par Le Généraliste, à laquelle près de 150 professionnels de santé ont participé (82,4 % de médecins généralistes, 9,5 % de médecins d’une autre spécialité, 6,8 % d’autres professionnels de santé et 1,4 % d’étudiants en médecine). Et, sans surprise, en matière de tâches qui les détournent le plus du temps médical, plus de 88 % des répondants pointent l’administratif, loin devant l’éducation thérapeutique et la prévention (10,1 %).

Pourtant, si les médecins généralistes appellent à ce que du temps médical leur soit libéré, les participants à l’enquête sont 60 % à ne pas considérer les transferts de compétences et les délégations de tâches comme opportuns pour leur dégager ce temps.

Plus de la moitié des répondants ont expérimenté les délégations de tâches

Et les médecins généralistes ont majoritairement expérimenté les délégations de tâches contrairement aux transferts de compétences. Ce qui paraît cohérent avec la définition de ces deux dispositifs de la Haute Autorité de santé (HAS). Dans un rapport publié en 2007, l’instance définit la délégation comme étant « l’action par laquelle le médecin confie à un autre professionnel de santé la réalisation d’une tâche. La délégation comprend l’idée de supervision. » Tandis que « le transfert est défini comme l’action de déplacer l’acte de soin d’un corps professionnel à un autre. Les professionnels non médicaux sont donc autonomes dans la décision et la réalisation », précise le rapport. Les médecins généralistes ne sont donc pas systématiquement informés qu’un de leurs patients recourt à un autre professionnel de santé. Les participants à l’enquête sont ainsi 53,4 % à avoir fait l’expérience des délégations de tâches, 27,7 % des transferts de compétences et 40,5 % aucun des deux.

Pour les 93 répondants ayant expérimenté ces dispositifs, près de 60 % l’ont fait avec les infirmiers et près de 12 % avec les infirmiers de pratique avancée (IPA) tandis que 20,4 % ont collaboré avec les pharmaciens. Et, dans plus de 45 % des cas, ces collaborations se font dans le cadre d’équipes de soins primaires, devant les MSP (33,8 %), centres de santé (23,5 %) et CPTS (20,6 %).

Par ailleurs, face au développement des outils numériques, les participants à l’enquête estiment à 63,5 % que la messagerie sécurisée de santé peut faciliter la coordination entre les médecins généralistes et les autres professionnels de santé. Une proportion qui fait écho à celle du nombre de médecins libéraux utilisateurs de ces messageries. En effet, en août 2021, ils étaient 62,7 %, selon des chiffres de l’Agence du numérique en santé (ANS).

Mises en place en 2013, ces messageries se placent, par ailleurs, loin devant le dossier médical de Mon espace santé, présenté début février et qui recueille 35,8 % des réponses, et la téléexpertise (27,7 %).

Les assistants médicaux, dispositif à renforcer

Étendus aux cabinets des médecins dans le cadre de l’avenant 7 signé en août 2019, les assistants médicaux sont le dispositif « le plus utile à renforcer » pour près de 32 % des répondants. Un dispositif qui peine pourtant à décoller, comme le montrait un dossier du Généraliste en décembre dernier. Les autres dispositifs à consolider sont ensuite le protocole de coopération Asalée (18,2 %), les IPA (16,9 %), la téléconsultation assistée avec un infirmier auprès du patient (16,2 %), le pharmacien correspondant (12,2 %) et la dispensation adaptée par le pharmacien (4,7 %).

Du côté des transferts de compétences existants ou envisagés, la vaccination par les infirmiers arrive en tête avec 62,2 % des répondants considérant cet acte comme pertinent. La vaccination par les sages-femmes et en officine n’obtenant pas les mêmes niveaux, avec respectivement 39,2 % et 20,9 %. Alors que les lignes ont bougé pendant la crise sanitaire et dans le cadre de la vaccination anti-Covid, la HAS a publié fin janvier des recommandations pour élargir à ces trois professions la prescription et l’administration des vaccins non vivants inscrits au calendrier vaccinal pour les personnes de 16 ans et plus. Dans les dispositifs mis en place dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale 2022, les accès directs aux orthophonistes et aux kinési­thérapeutes ne sont pas perçus de la même manière. Les premiers sont considérés comme pertinents par 48,6 % des répondants contre 23,6 % pour les seconds.

Et si la plupart des transferts de compétences se sont faits au détriment des médecins généralistes ces dernières années, les praticiens se montrent enclins à accueillir ou renforcer des actes. Ainsi, ils sont 53,4 % à trouver utile la mise à disposition de l’ensemble des TROD disponibles en cabinet. La réalisation d’échographies est, elle, sélectionnée par 51,4 % des répondants tandis que 45,3 % des participants seraient pour l’utilisation de la dermatoscopie. Sur la vaccination, près de 42 % des participants considèrent comme utile la possibilité de commander, stocker et délivrer les vaccins directement au cabinet. Ils sont autant à trouver utile de pouvoir prescrire et dispenser la totalité des médicaments à prescription restreinte. Enfin, 37,2 % des participants estiment utile de pouvoir prescrire et dispenser les dispositifs médicaux dans les suites de traumatismes et dans les pathologies ostéo-articulaires courantes.

Un besoin de concertation pointé du doigt

Mais ce qui ressort de l’enquête, ce sont bien les besoins de coordination et de concertation autour de ces transferts de compétences et délégations de tâches. Ainsi, près de 70 % des répondants estiment qu’ils doivent se faire obligatoirement dans le cadre d’un exercice coordonné, face au risque d’instaurer une concurrence déloyale entre les médecins et les autres professionnels de santé. Seuls 30 % ne considérant pas que cela remet en cause le rôle pivot du médecin dans le parcours de soins d’un patient.

Et, face au manque de concertation régulièrement pointé du doigt suite aux décisions inscrites au fil des années dans les projets de loi de financement de la Sécurité sociale, 92,6 % des participants se montrent favorables à l’organisation d’une concertation entre l’ensemble des représentants des professionnels de santé (ordres, syndicats, conseils nationaux) afin de réfléchir de manière conjointe à l’évolution des périmètres des métiers. S’agit-il d’un vœu pieux, à l’heure où la nouvelle convention pharmaceutique a été signée, où les kinésithérapeutes négocient un avenant à leur convention et où vont s’ouvrir les discussions sur la future convention médicale ?

Des nouveaux transferts de compétences dans la convention pharmaceutique

Signée avec l’Assurance maladie début mars, la nouvelle convention des pharmaciens entérine de nouveaux transferts de compétences, autour notamment de la vaccination et du dépistage. À partir d’octobre, le pharmacien pourra remettre les kits de dépistage du cancer colorectal à toutes les personnes éligibles ou encore réaliser tous les vaccins non vivants inscrits au calendrier vaccinal pour les personnes de plus de 16 ans. Du côté des délégations de tâches, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, un des deux signataires du texte, cite l’inscription des missions de pharmaciens correspondants et les protocoles de délivrance de certains médicaments. Ainsi, un « protocole cystite » pourra être établi entre un pharmacien et un médecin pour l’ensemble de la patientèle de ce dernier. Alors, pour les personnes présentant des symptômes de cystite aiguë, le pharmacien pourra délivrer des bandelettes urinaires et procéder à leur analyse. La convention pharmaceutique prévoit également le développement de la téléconsultation assistée par le pharmacien et de la e-prescription, signale Philippe Besset.


Source : lequotidiendumedecin.fr